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VENDREDI 29 NOVEMBRE 2019 économie & entreprise| 17
L’Allemagne veut moderniser son réseau de
téléphonie mobile, criblé de « zones blanches »
La 5G arrive dans les centres urbains, alors que des régions rurales n’ont aucun accès de base
berlin correspondance
L
e couac n’a duré que quel
ques secondes, mais n’en
fut pas moins révélateur.
Lundi 18 novembre, Kristin Bec
ker, journaliste à la chaîne publi
que allemande ARD, intervenait
en direct, au sujet d’un « sommet
numérique » du gouvernement
d’Angela Merkel consacré à l’amé
lioration des réseaux de télépho
nie mobile dans le pays. La chance
lière et ses ministres étaient réu
nis dans le cadre champêtre du
château de Meseberg, à 70 kilomè
tres de Berlin. Brusquement, l’en
voyée spéciale disparaît de l’écran.
« Je crois que le réseau à Meseberg
nous a lâchés », enchaîne Claus
Erich Boetzkes, le présentateur du
journal télévisé, après un instant
de flottement.
Sur les réseaux sociaux, l’inci
dent provoque une avalanche de
commentaires narquois. Il est
vrai qu’outreRhin, la mauvaise
qualité du réseau mobile est un
problème qui empoisonne le quo
tidien de millions d’Allemands.
Même le travail du gouverne
ment en fait les frais.
« J’ai demandé à mes collabora
teurs de ne plus me transférer d’ap
pels de mes homologues étrangers
pendant mes déplacements, con
fiait, en novembre 2018, Peter Alt
maier, le ministre de l’économie.
C’est humiliant de devoir les rappe
ler sans cesse, à cause des coupu
res. » Pour le ministre, ces caprices
du réseau téléphonique ternissent
la réputation de l’Allemagne en
matière de technologie.
Derrière l’Inde ou le Pérou
M. Altmaier a de quoi être embar
rassé : selon une étude compara
tive internationale, publiée en
mai 2019 par OpenSignal, une so
ciété britannique d’analyses des
réseaux mobiles, 76,9 % du terri
toire allemand étaient couverts
par la 4G. La locomotive indus
trielle européenne se languissait
ainsi à une peu enviable 54e place
sur 87 pays, distancée par la France
(79,7 % de couverture), mais aussi
par des pays bien plus pauvres
comme l’Inde ou le Pérou.
Dans de nombreuses régions ru
rales d’Allemagne, le problème est
le manque d’accès au réseau mo
bile tout court. Le gouvernement
recense 5 000 « zones blanches »,
qui ne bénéficient d’aucune cou
verture. Ainsi, en périphérie de
Berlin, une cinquantaine de locali
tés du Brandebourg, la région où
se situe la résidence de Meseberg,
sont encore privées de réseau. Cet
anachronisme constitue un obsta
cle réel au développement écono
mique de nombreuses bourgades,
partout dans le pays.
Mais pour les trois opérateurs té
léphoniques présents sur le mar
ché allemand – Deutsche Telekom,
Vodafone et Telefónica –, la cou
verture des régions peu peuplées
n’est pas rentable. « Les opérateurs
sont des entreprises comme les
autres et veulent gagner de l’ar
gent », explique Torsten Gerpott,
professeur d’économie des télé
communications à l’Université de
DuisbourgEssen.
Berlin a donc décidé de mettre
les moyens pour en finir avec ces
« trous du réseau » (Funklöcher).
Lors de son « sommet du numéri
que », le gouvernement a décidé
d’allouer 1,1 milliard d’euros à la
construction de 5 000 antennes
relais, qui viendront s’ajouter aux
74 000 pylônes existants. Berlin
assouplira également la procé
dure d’octroi de permis. L’objectif
est de couvrir 99,95 % des ména
ges et 97,5 % de la surface du pays
d’ici à 2024.
Pour les acteurs économiques,
ce n’est pas trop tôt. « La résolution
de ce problème est plus urgente que
le déploiement de la 5G sur le terri
toire national », a souligné Dieter
Kempf, le président du BDI, le
puissant lobby des entreprises in
dustrielles. En Allemagne, l’arri
vée de l’Internet mobile à très
haut débit est imminente : des an
tennes 5G sont déjà installées à
Berlin, Cologne, Munich et Bonn.
Jeudi 21 novembre, de nouvelles
enchères pour allouer des fré
quences supplémentaires aux in
dustriels ont débuté.
Mais les opérateurs téléphoni
ques ont dû s’engager, lors des en
chères qui se sont terminées en
juin, à débourser 6,55 milliards
d’euros pour obtenir des fréquen
ces sur le nouveau réseau. Cette
somme faramineuse les ampute
de capacités d’investissement, no
tamment pour résorber les zones
blanches. Avec l’arrivée du réseau
mobile de dernière génération
dans les centres urbains, le fossé
numérique entre les villes et les
campagnes menace donc de
s’élargir.
Pour Torsten Gerpott, les zones
blanches ne disparaîtront pas
complètement, même au prix de
dépenses considérables. « Mais
l’essentiel, c’est que le gouverne
ment s’attaque enfin au problème
pour de bon », se réjouit l’expert.
jeanmichel hauteville
Les commerces s’inquiètent
d’une grève pendant les fêtes
Les enseignes redoutent que le mouvement social dans les transports
perdure audelà du 5 décembre, empêchant les clients de venir acheter
N
ous sommes très in
quiets ». Nicolas Hou
zé, le directeur géné
ral des Galeries La
fayette et du BHV Marais, ne ca
che pas son appréhension à
l’approche de la grève du 5 décem
bre dans les transports contre le
projet de réforme des retraites. Le
mouvement des « gilets jaunes »,
avait en 2018, déjà perturbé très
fortement l’activité de son
groupe, à un moment où Français
et touristes étrangers préparent
leurs achats de Noël. Et l’intrusion
d’un groupe de « gilets jaunes »
dans son grand magasin du bou
levard Haussmann, à Paris, le sa
medi 16 novembre, lors d’une ac
tion pour la première année du
mouvement, a conduit la direc
tion à en fermer les portes pour
toute la journée.
Eprouvés l’an passé au moment
des fêtes par les manifestations et
les dégradations, les commerces
physiques avaient enregistré des
manques à gagner de 20 % à 30 %
de leur chiffre d’affaires. Le
groupe Fnac Darty, lui, avait es
timé sa perte de chiffre d’affaires
à 45 millions d’euros en raison
des fermetures de magasins et
des baisses de trafic, fin 2018.
Depuis, de manière régulière,
plusieurs artères commerçantes
des centresvilles sont bloquées
les samedis.
Les enseignes craignent au
jourd’hui que le mouvement so
cial dans les transports ne per
dure dans le temps. En plus
d’éventuels bouleversements lo
gistiques, il risque d’empêcher les
clients de se rendre dans les ma
gasins pour faire leurs achats de
Noël. Le pessimisme ambiant
pourrait même leur couper l’en
vie de consommer s’inquiètent
les professionnels. « Nous avons
exhumé les chiffres de la grande
grève de 1995, indique M. Houzé.
Nous avions fait 20 % de chiffre
d’affaires en moins. »
Le mouvement social de 1995
contre le « plan Juppé » sur les re
traites, très suivi, avait duré
22 jours – dont 16 ouvrables – en
tre les mois de novembre et de dé
cembre. Il avait affecté d’environ
deux dixièmes de point de PIB la
croissance française du dernier
trimestre. L’Insee avait relevé
« une forte baisse de la consomma
tion des ménages » avec des dé
penses « en équipements du foyer,
en baisse de 6 % en décem
bre 1995 », et un recul de l’habille
mentcuir de 4 %. La grève de 2007,
qui avait touché les transports pu
blics pendant 10 jours (dont
8 ouvrables) entre octobre et no
vembre, avait eu moins d’impact
économique. « L’intensité de la
grève de 2007 peut être estimée à
environ 40 % de celle de 1995 »,
écrivait à l’époque l’Insee dans
une note.
Un manque de visibilité
Au centre commercial de Beau
grenelle, l’heure n’est pas à la séré
nité. « 40 % des clients viennent en
transport en commun », précise
Fabrice Bansay, PDG d’Apsys, pro
priétaire de Beaugrenelle, ajou
tant que 10 % viennent en voiture,
et 50 % à pied, en mobilité douce
ou en deux roues. « Nous sommes
en train de regarder comment
nous pourrions monter en puis
sance sur Internet, en augmentant
l’offre de notre site marchand avec
des marques qui n’y sont pas ac
tuellement », explique Nicolas
Houzé dont le groupe vient d’y
ouvrir un magasin de 8 000 mè
tres carrés.
Même inquiétude chez les ac
teurs du jouet, qui réalisent « 50 %
du chiffre d’affaires de l’année en
tre octobre et décembre, déclare
Nathalie PeronLecorps, direc
trice générale de PicWicToys, né
cette année du rapprochement
entre PicWic et Toys R Us Fran
ce. On aimerait que cela se passe
mieux que l’an dernier mais on
n’est pas très serein. Perturber no
tre activité à ce moment précis,
c’est aussi favoriser un autre type
de commerce non physique. Il y a
une forme d’iniquité dans tout
ça ». Jacques Baudoz, président de
JouéClub veut garder son opti
miste : « Je pense que les gens vont
s’organiser car l’an dernier ils ont
été frustrés. Cette année, ils ont
vraiment envie de faire Noël. On va
néanmoins alerter les pouvoirs pu
blics sur cette problématique et
nous nous adapterons selon l’am
pleur que prendra le mouvement »,
expliquetil.
Depuis plusieurs semaines, les
distributeurs s’enquièrent régu
lièrement de la situation à venir
notamment auprès de la RATP,
sans toutefois avoir davantage de
visibilité sur la durée du mouve
ment. « Il y a de gros points d’inter
rogation et un peu d’angoisse sur
l’impact économique », rapporte
Yohann Petiot, directeur général
de l’Alliance du commerce.
Déjà fortement concurrencés
par les géants de la vente en ligne,
les commerçants sont lassés
de ne plus pouvoir travailler se
reinement depuis plus d’un an.
« Les réunions de crise économi
que suite aux attentats se sont
transformées en réunions gilets
jaunes toutes les semaines avec la
préfecture de police concernant la
sécurisation des périmètres de ma
nifestations du samedi. Cela ne
s’est jamais arrêté », regrette ainsi
Yohann Petiot.
Une chose est certaine, le per
sonnel des magasins risque
d’avoir des difficultés à se rendre
à son travail. Sur les 2 500 em
ployés du magasin Galeries La
fayette du boulevard Haussmann,
seuls 500 personnes habitent
dans Paris intramuros, 1 000 vi
vent en première couronne et les
autres en deuxième couronne.
cécile prudhomme
« Selon les
chiffres de la
grande grève de
1995, nous avions
fait 20 % de
chiffre d’affaires
en moins »
NICOLAS HOUZÉ
directeur général
des Galeries Lafayette
Au départ, Feroza Aziz, une ado
lescente du New Jersey, parle ma
quillage. Mais très vite, elle
aborde le vrai sujet : « Mainte
nant, vous posez votre recourbe
cils et reprenez votre téléphone
pour chercher ce qui se passe en
Chine. » En l’occurrence, le traite
ment réservé à la minorité mu
sulmane ouïgoure à l’extrême
ouest du pays. Posté sur TikTok,
le réseau social préféré des ado
lescents du monde entier, le clip
disparaît soudain des écrans et le
site de Feroza Aziz est bloqué sa
medi 23 novembre. Censure? La
rumeur monte, car, derrière l’ap
plication au milliard d’utilisa
teurs dans le monde, se cache
ByteDance la dernière star de
l’Internet chinois.
L’émotion gagne le monde po
litique, et le retour de la vidéo,
cinquante minutes plus tard, ac
compagné des plates excuses du
site, ne change rien à l’affaire. Il
faut dire que ByteDance est un
cas. Elle est, avec Huawei, l’entre
prise chinoise la plus internatio
nalisée. Elle revendique plus
d’utilisateurs à l’extérieur de son
pays natal qu’à l’intérieur, où elle
aurait tout de même 400 mil
lions d’usagers. Son histoire est
singulière. Deux jeunes Shan
ghaïens créent, en 2014, l’applica
tion Musical. ly, qui permet aux
utilisateurs de produire très faci
lement de courtes vidéos avec
des effets spectaculaires. Ils choi
sissent vite de se concentrer sur
le marché américain. Le succès
est immédiat.
Facebook, que l’on accuse
d’avoir tué la concurrence en
achetant les derniers réseaux à la
mode, WhatsApp et Instagram,
rate complètement cette va
guelà, et c’est le groupe chinois
ByteDance, auteur d’un site agré
gateur d’actualités très populaire
en Chine, Toutiao, qui s’offre Mu
sical. ly et la fusionne avec son
application maison, TikTok. Déjà
présent aux EtatsUnis, le site
trouve vite le succès en Europe.
Guerre froide numérique
Une véritable guerre froide nu
mérique s’est installée entre Chi
nois et Américains. Amazon, Fa
cebook et Google se partagent le
marché mondial avec leurs équi
valents chinois Alibaba, Tencent
et Baidu. Chacun chez soi. TikTok
est le seul service numérique
aussi populaire à l’Est qu’à
l’Ouest. Mais l’aventure de Feroza
Aziz montre les limites du mo
dèle. En Chine, ByteDance em
ploie 10 000 « modérateurs »
chargés de censurer les contenus
incorrects, comme ceux qui évo
quent Taïwan ou les Ouïgours. Le
soupçon s’installe en Occident.
Bien sûr, au départ, ce ne sont
pas les adolescents qui cherchent
noise à TikTok, mais la classe po
litique, qui voit désormais des es
pions dans tout ce qui vient de
l’empire rouge.
Après avoir failli voir son site
d’information Toutiao interdit
par Pékin pour cause de « conte
nus pornographiques et vulgai
res », le fondateur de ByteDance,
Zhang Yiming, avait alors déclaré
être « dévoré par la culpabilité et
le remords ». Ses nuits doivent
désormais être encore plus
agitées face à la tempête qui
se lève à l’Ouest.
PERTES & PROFITS|BYTEDANCE
p a r p h i l i p p e e s c a n d e
Un Internet
mondial est-il possible?
Plaidoyer pour un Black Friday
à la française
U
n « French Friday » plutôt qu’un Black Friday? Jeudi
28 novembre, à la veille du célèbre événement com
mercial venu des EtatsUnis, un site Internet référence
les PME françaises qui ont un effet positif sur l’économie hexa
gonale, en prévision des achats de Noël. Quelque 200 à 300 en
treprises françaises – qui ont leur propre site de vente en ligne –
et une dizaine d’annuaires de spécialistes du made in France
sur le Web seront regroupés sur Noelpme. fr. Avec un slogan :
« Offrez Français, offrez local. »
A l’origine de cet annuaire en ligne construit en partenariat
avec la Confédération des petites et moyennes entreprises, l’an
cien secrétaire d’Etat au numérique (mai 2017mars 2019),
Mounir Mahjoubi, et son coup de gueule contre Amazon. Dé
puté LRM du 19e arrondissement de Paris, il accusait, dans une
analyse parue vendredi 22 novembre, le géant américain
d’avoir « détruit 7 900 emplois en France » et invitait les consom
mateurs, à l’approche des fêtes, à se tourner vers les « alternati
ves locales » et les « PME françaises ».
Consciente du poids pris par les géants étrangers de la vente
en ligne et du manque de moyens pour rééquilibrer la situa
tion, la classe politique cherche à
convaincre les consommateurs
qu’ils portent une responsabilité
dans le déclin des magasins et des
usines en France. « Je ne dis pas aux
gens d’éviter Amazon, mais de re
garder, s’ils le peuvent, d’autres ini
tiatives comme celleci. Il y a une né
cessité politique de faire prendre
conscience aux consommateurs de
l’incidence de leurs achats. Mais ce
n’est pas à l’Etat de [créer] la mega
plateforme concurrente d’Ama
zon », dit M. Mahjoubi. L’initiative
sera pour le moment ponctuelle,
car alimentée par des bénévoles.
Lorsqu’il était au gouvernement, en 2018, M. Mahjoubi avait
référencé une centaine de PME françaises pour une opération
« Noël des PME ». Mais, affichée sur une page d’un site Internet
du ministère, l’opération n’avait pas marqué les esprits.
Dans le même temps, la secrétaire d’Etat auprès du ministre
de l’économie et des finances, Agnès PannierRunacher, et les
représentants des commerçants et des artisans ont, mardi
26 novembre, appelé les Français « à privilégier les achats, no
tamment [dans la perspective] des fêtes de fin d’année, chez leurs
commerçants et leurs artisans de proximité », qui ont été fragili
sés, « fin 2018 et au premier semestre, par le mouvement des “gi
lets jaunes” ». « L’enjeu est désormais de redynamiser l’activité
des commerces de proximité, a indiqué le ministère. Pour cela, la
mobilisation de tous s’avère nécessaire. »
cécile prudhomme
« IL Y A UNE NÉCESSITÉ
DE FAIRE PRENDRE
CONSCIENCE
AUX CONSOMMATEURS
DE L’INCIDENCE
DE LEURS ACHATS »
MOUNIR MAHJOUBI
député LRM de Paris
La confiance des ménages au plus haut
La confiance des consommateurs français a augmenté de façon
inattendue en novembre, atteignant son plus haut niveau depuis
l’élection d’Emmanuel Macron en mai 2017. L’indicateur de
l’Insee synthétisant cette confiance, publié mercredi 27 novem-
bre, s’est établi à 106, contre 104 au cours des deux mois précé-
dents. L’Insee relève que les craintes des ménages concernant
l’évolution du chômage sont à leur plus bas depuis août 2017
et que leurs perspectives économiques générales sont à leur
meilleur niveau depuis janvier 2018. Cet optimisme est d’autant
plus surprenant qu’il se manifeste quelques jours avant la grève
du 5 décembre contre la réforme des retraites.