20 |horizons VENDREDI 29 NOVEMBRE 2019
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Le long chemin
européen de « VDL »
L’Allemande Ursula von der Leyen présidera
la Commission européenne à compter du 1
er
décembre.
L’aboutissement d’un parcours semé d’embûches
U
rsula von der Leyen, alias
« VDL », sera bien la pre
mière femme à présider la
Commission européenne.
Mercredi 27 novembre, l’ex
ministre allemande de la
défense a franchi la dernière étape d’un par
cours semé d’embûches. Le Parlement de
Strasbourg a donné son aval à son collège,
avec une large majorité : 461 voix pour,
157 contre et 89 abstentions.
Pour en arriver là, cette fidèle d’Angela Mer
kel a dû surmonter bien des obstacles durant
cinq mois. Elle confie avoir eu des moments
de découragement et d’incompréhension
dans ce monde des institutions européennes
dont elle a découvert les usages parfois à ses
dépens. Entre un Parlement en quête de pou
voir, des Etats membres désireux de lui tenir
la bride et une Commission sceptique, son ap
prentissage s’est fait en milieu hostile.
Pour le comprendre, il faut revenir à sa no
mination, le 2 juillet. Certes, à l’époque, Berlin
et Paris pensent à elle depuis quelques mois
déjà, mais comme un recours éventuel, un
« second choix » dans le cas où les VingtHuit
échoueraient à s’accorder sur quelqu’un
d’autre. L’Allemand Manfred Weber ou le so
cialiste néerlandais Frans Timmermans pa
raissent plus légitimes. Le Bavarois, issu de
la CSU (le parti allié de la CDU de Mme Merkel),
a emmené la liste Parti populaire européen
(PPE) aux élections européennes, qui est arri
vée première au scrutin et revendique la tête
de l’exécutif communautaire.
M. Timmermans, qui a conduit les so
ciauxdémocrates (SD) et est par ailleurs le
bras droit du président en exercice de la
Commission, JeanClaude Juncker, y pré
tend également. Mais le président français,
Emmanuel Macron, ne veut pas entendre
parler du premier, et la droite européenne
barrera la route du second.
Le conseil du dimanche 30 juin est un désas
tre. Les VingtHuit se séparent le lendemain
sur un constat de désaccord. A ce stade, le nom
de Mme von der Leyen est évoqué pour la pre
mière fois autour de la table des chefs d’Etat et
de gouvernement, mais pour le poste de haute
représentante de l’Union pour les affaires
étrangères. Les dirigeants européens ne la
connaissent pas, ou peu. Il faut dire qu’elle n’a
rien d’une spécialiste de l’Europe, même si elle
a vécu jusqu’à l’âge de 13 ans à Bruxelles, où
son père était haut fonctionnaire européen.
Ce lundi 1er juillet, « VDL » est loin de ces trac
tations. Elle a dû interrompre un séminaire
avec ses équipes, près de Berlin, pour filer en
BasseSaxe, où un hélicoptère militaire s’est
écrasé. A son retour, dans la soirée, son amie
Angela Merkel l’informe que l’on songe à elle
pour la présidence de la Commision. M. Ma
cron, lui, l’appellera le mardi matin.
En réalité, le couple francoallemand sous
estime les difficultés à venir, en particulier la
faiblesse de Mme Merkel en Allemagne et
auprès des droites européennes. D’ailleurs, la
chancelière doit s’abstenir, le 2 juillet, lors du
vote par le Conseil en faveur de sa ministre :
furieux du sort réservé à M. Timmermans, le
SPD allemand, qui participe à sa coalition, re
fuse de soutenir cette nomination...
ACCUEIL GLACIAL
Le choix de Mme von der Leyen apparaît alors
comme le fruit « d’une construction politique
désincarnée, imaginée par Macron et Merkel »,
témoigne l’eurodéputé macroniste Stéphane
Séjourné. Estelle consciente d’arriver en ter
rain miné? Manfred Weber a pris la tête du
groupe PPE, dans un Parlement furieux de
s’être fait imposer « VDL » par les Etats mem
bres. S’agissant de Frans Timmermans, ils
somment Mme von der Leyen d’en faire son vi
ceprésident exécutif, un gage donné aux so
ciauxdémocrates. Ils lui demandent égale
ment de prendre pour viceprésidente exécu
tive la libérale Margrethe Vestager qui, elle
aussi, se projetait volontiers à la tête de l’exé
cutif européen... « Les loups sont dans la
place », assure un observateur avisé.
« VDL » accepte « sans hésiter » le défi.
« C’était comme rentrer à la maison », confiet
elle. Audelà de ses souvenirs d’enfance, elle
sait le moment venu, à bientôt 61 ans, de chan
ger de vie après quinze ans auprès de Mme Me
rkel. Ses cinq ans au ministère de la défense
l’ont épuisée, elle y a affronté crise sur crise, et
en sort très impopulaire. En femme politique
aguerrie, elle pressent l’ampleur de la tâche.
Dès le 3 juillet, elle se rend à Strasbourg, à la
rencontre des eurodéputés, et se heurte à un
accueil glacial. Ce sera le début de son chemin
de croix. « La Commission von der Leyen va
souffrir du péché originel, la façon dont son
nom est sorti du chapeau », prévient l’eurodé
puté LR Arnaud Danjean.
Revenons à ce début juillet caniculaire.
Mme von der Leyen a moins de quinze jours
pour convaincre 751 eurodéputés de 28 pays,
représentant plus d’une centaine de partis po
litiques nationaux, répartis entre sept grou
pes, de voter pour elle le 16 juillet! Et cela dans
un Parlement plus fragmenté que jamais, où
les deux grandes formations, PPE et SD, ont
perdu la majorité pour la première fois depuis
1979 et où plus de 60 % des élus sont nou
veaux... Flanquée de ses deux fidèles acolytes
- Jens Flosdorff, pour la communication, et
Bjoern Seibert, pour diriger son cabinet –, qui
ne sont pas plus experts qu’elle en matière
communautaire, Mme von der Leyen débarque
à Bruxelles. Martin Selmayr, le secrétaire gé
néral de la Commission, a mis à sa disposition
des bureaux du bâtiment Charlemagne ainsi
que quatre de ses collaborateurs.
Il faut s’arrêter sur la personnalité de cet Al
lemand de 48 ans pour mesurer dans quelles
conditions « VDL » se lance. Bombardé à ce
poste par M. Juncker, celui que l’on surnomme
« le Monstre » s’est octroyé des pouvoirs iné
dits, source de bien des fantasmes, et sait son
avenir incertain. Dans ce contexte, certains
prétendent qu’il a procuré à « VDL » une
équipe de bras cassés pour la faire tomber.
D’autres affirment, comme ce diplomate, que
le haut fonctionnaire « veut se rendre indispen
sable ». Ambiance... Quant à M. Juncker, que
Mme von der Leyen voit régulièrement, il ne se
montre pas vraiment coopératif. « Ces rencon
tres étaient flottantes », décritelle.
« VDL » comprend vite qu’elle va dans le
mur. Elle a beau multiplier les contacts au
Parlement, rien n’y fait : le compte n’y est
pas. Certes, les Etats se sont accordés sur son
nom, mais, à Strasbourg, les élus ne suivent
pas. « Elle a subi un procès en illégitimité, sans
exclure une certaine misogynie », commente
un diplomate. « Juncker déployait son aura,
son empathie, son téléphone. Von der Leyen
est plus sur un modèle chef d’entreprise. Tu
fais ci, tu fais ça. Elle est plus méthodique,
plus systémique, plus calviniste » , juge l’un de
ses commissaires.
A quelques jours de l’audition, « on n’y
croyait plus, on était épuisés », racontetelle.
Les capitales s’affolent. Paris mobilise LRM et
les autres libéraux du Parlement, Berlin fait
pression sur le PPE, Madrid sur les SD. A la
Commission, au Conseil et au Parlement,
certains préconisent un report du vote.
« VDL » refuse. Son programme est « rosi » et
« verdi ». Quant à M. Selmayr, détesté à Stras
bourg, il est remercié.
Le 16 juillet, elle se lance dans l’hémicycle,
phrasé précis, sourire aux lèvres. Aux sociaux
démocrates, elle promet un système euro
péen de réassurance chômage. Aux travaillis
tes britanniques, elle assure ne pas exclure un
report du Brexit. Aux Verts, elle vend son
« green deal ». Aux pays de l’Est, elle annonce
des aides généreuses. Aux parlementaires, elle
offre le « droit d’initiative », dont ils sont pri
vés. Aux jeunes, elle fait miroiter moins de
chômage et rappelle qu’elle a sept enfants... Il
y en a pour tout le monde, sauf pour le PPE,
qui trouve qu’elle gâte trop sa gauche.
Cela suffit tout juste à obtenir une courte
majorité de neuf voix, grâce aux ultraconser
vateurs du parti Droit et justice (PiS) polonais
et aux populistes italiens du Mouvement
5 étoiles. Au PPE, une quarantaine de voix lui
ont manqué, notamment à la CDU. Chez les
SD, un tiers des élus lui ont refusé leur soutien,
dont ceux du SPD. « Une majorité est une ma
jorité », se félicitetelle malgré tout. Le soir,
lors d’un dîner avec son équipe, elle s’autorise
pour une fois un verre de vin.
UN COUP À GAUCHE, UN COUP À DROITE
Mme von der Leyen a frôlé la catastrophe, elle le
sait. Et rien n’est gagné, puisqu’il lui faudra en
core solliciter le soutien des eurodéputés, lors
qu’elle aura composé son collège. Pour
l’heure, elle doit câliner les Etats, qui n’ont pas
toujours apprécié ses promesses au Parle
ment. Et négocier avec eux les nominations
des commissaires, un par pays. Le 17 juillet,
elle fait une pause à Berlin, pour fêter les
65 ans de Mme Merkel. Avant d’enchaîner sur
Paris, Varsovie, Zagreb, Madrid, Rome,
La Haye, et Helsinki. « 99 % des Etats membres
voulaient un portefeuille économique impor
tant », se souvientelle.
En cette fin d’été, elle travaille seule avec ses
deux lieutenants, au risque de susciter des ac
cusations de « bunkérisation ». Cellesci redou
bleront quand elle confirmera, courant sep
tembre, avoir engagé des travaux pour se faire
aménager un studio de 25 mètres carrés con
tingent à son futur bureau, au 13e étage du Ber
laymont, le bâtiment de la Commission, la
bulle dans la bulle. Qu’importent les critiques.
Pour l’instant, il s’agit de choisir vingtsix com
missaires. Même les nominations aux plus
hauts postes dans l’administration de la Com
mission sont mises entre parenthèses, empê
chant le « mercato » bruxellois traditionnel
dans cette période de transition et créant des
frustrations chez les hauts fonctionnaires...
Le 10 septembre, Mme von der Leyen pré
sente son collège, respectueux des équilibres
politiques, géographiques et de genre. On y
trouve tout de même « quelques scories », re
late un diplomate. Comme le choix de con
fier à un Hongrois l’élargissement. Ou l’inti
tulé polémique – « protection de notre mode
de vie européen » – du portefeuille qui cou
vre les questions migratoires. Aux Etats
membres, elle réserve une surprise : la nomi
nation d’un troisième viceprésident exécu
tif, le conservateur letton Valdis Dombrovs
kis. Une manière donc de prendre de la hau
teur par rapport aux capitales et... de conten
ter le PPE. Un coup à gauche, un coup à
droite : ainsi avance « VDL ».
Mais la politique européenne ne tient pas
que de l’arithmétique et elle l’expérimente à
ses dépens le 10 octobre. Ce jourlà, le Parle
ment, qui n’a pas digéré les conditions de sa
nomination et que M. Macron a irrité dans
cette séquence, rejette la candidature de Syl
vie Goulard, pressentie pour être la commis
saire française au marché intérieur, mais citée
dans l’affaire des emplois fictifs du MoDem.
Pour M. Macron, c’est un camouflet. « Je ne
comprends pas », lancetil, renvoyant la res
ponsabilité de ce revers à Mme von der Leyen.
« Macron a hésité à créer une crise institution
nelle. Finalement, il ne l’a pas fait et a proposé
rapidement le nom de Thierry Breton », témoi
gne un proche de l’Elysée.
Mais l’édifice construit par Mme von der
Leyen est d’autant plus fissuré que le Parle
ment lui a également refusé les nominations
du conservateur hongrois et de la socialiste
roumaine. « Chacun a joué avec son couteau
dans une pièce sombre. Et, quand on a rallumé
la lumière, il y avait du sang partout sur les
murs », résumeton du côté de l’Elysée.
« VDL » doit retarder son entrée en fonctions
d’un mois, au 1er décembre – le temps que Pa
ris, Bucarest et Budapest lui soumettent
d’autres commissaires –, et renouer le lien
avec le Parlement, appelé à voter sur son col
lège au complet le 27 novembre. C’est l’heure
des dernières concessions. Les sociauxdémo
crates obtiennent le changement de l’intitulé
du portefeuille du Grec Margaritis Schinas, dé
sormais chargé de « promouvoir » et non plus
de « protéger » le mode de vie européen. Le PPE
gagne un commissaire de plus, profitant d’un
changement de majorité politique en Rouma
nie. Cette fois, « VDL » est parvenue à ses fins.
virginie malingre
(bruxelles, bureau européen)
Ursula von der Leyen, à Berlin, le 24 juillet 2019. HANNIBAL HANSCHKE/REUTERS
L’EXMINISTRE
ALLEMANDE DE LA
DÉFENSE A FRANCHI
LA DERNIÈRE ÉTAPE :
LE PARLEMENT DE
STRASBOURG
A DONNÉ SON AVAL
À SON COLLÈGE,
AVEC UNE LARGE
MAJORITÉ : 461 VOIX
POUR, 157 CONTRE
ET 89 ABSTENTIONS