Le Monde - 29.11.2019

(Martin Jones) #1
0123
VENDREDI 29 NOVEMBRE 2019 culture| 23

« Other Spaces », immersions parallèles à Londres


Le studio de création numérique UVA propose une plongée moins hypnotique que méditative


ARTS
londres

A


u cœur du Strand, ar­
tère animée du centre
de Londres, et d’un bâ­
timent brutaliste de­
venu le temple des entreprises
créatives, 180 The Strand, on pé­
nètre dans « Other Spaces »
comme on entrerait dans un
club : par un long et large couloir
sombre ouvert sur la rue. Ce sas
débouche sur une déambulation
où le visiteur, guidé seulement
par la lumière de trois œuvres im­
mersives, est plongé dans un état
méditatif.
« Other Spaces », des espaces
autres. Le titre de cette exposition
du studio de création numérique
UVA (United Visual Artists) est un
emprunt à Michel Foucault. « Je
suis tombé sur cette formule dans
un livre consacré à Manet, qui
était son peintre préféré, explique
Matt Clark, le fondateur d’UVA.
Foucault évoque à travers elle la

notion d’hétérotopie, c’est­à­dire
d’espaces réels où la fiction s’in­
vite. Ce que nous voulions créer
avec l’exposition résonnait avec
cette idée d’espaces à l’intérieur
d’espaces. » Pour ses 15 ans, ce stu­
dio londonien, qui enchaîne les
collaborations prestigieuses avec
des institutions internationales
et des artistes dans les domaines
de la performance et des sciences,
sort donc de l’ombre avec ce pre­
mier projet d’exposition, qui re­
groupe trois pièces jusqu’ici ja­
mais montrées hors de leur
contexte de création.
Trois œuvres comme trois
mondes transitoires en dialogue
avec la réalité. La première se tra­
verse dans un léger brouillard et
sous des pendules faisant tanguer
lumière et son. Entre chaos et ac­
calmies, les cycles se succèdent
dans une dramaturgie aléatoire
qui manipule notre perception
du temps. Il s’agit d’une adapta­
tion d’une installation montrée
en 2013 au Barbican Center, sur

une musique de Mira Calix. Le
deuxième espace est frontal et
technoïde : des rais de lumière
viennent structurer le vide à tra­
vers un programme d’architec­
ture s’appuyant sur les règles
de la perspective de la Renais­
sance. Le rythme est haletant et la
rigueur non dénuée d’humour.

Une frise temporelle lumineuse
C’est à l’occasion d’une création
du chorégraphe Benjamin Mil­
lepied pour l’Opéra de Paris
qu’Hervé Chandès, directeur de
la Fondation Cartier, avait décou­
vert le travail d’UVA en 2015. Il les
avait contactés dans la foulée
pour concevoir une installation à
partir d’enregistrements sonores
du musicien et bioacousticien
américain Bernie Krause, deve­
nue la pièce maîtresse de l’expo­
sition « Le Grand Orchestre des
animaux » en 2016, qui est pré­
sentée ici pour la première fois
au Royaume­Uni, et sur écran
LED géant.

C’est l’œuvre la plus vaste et la
plus ambitieuse, devant laquelle
on peut s’installer pour une
immersion dans les sons du
monde sauvage en sept étapes, du
Canada au Brésil, en passant par
la République centrafricaine, le
Zimbabwe, les Etats­Unis et les
océans. Chaque source sonore est
représentée par un spectro­
gramme, qui se déroule le long
d’une frise temporelle lumineuse.
Saisissantes, ces partitions sono­
res et visuelles ont été élaborées à
partir de plus de quarante années
et quelque 5 000 heures d’enregis­
trements sur tous les continents.
L’écoute des habitats les plus
variés du monde est devenue
l’œuvre d’une vie pour Bernie
Krause, pionnier de la bioacous­
tique, qui, dès la fin des années
1960, a quitté le monde de la mu­
sique pour devenir chercheur
dans ce domaine, où il a théorisé
les notions de géophonie (sons
non biologiques), de biophonie
(sons des organismes vivants) et

d’anthropophonie (sons hu­
mains). Si la richesse sonore si­
dère (il a répertorié près de
15 000 espèces à travers son tra­
vail d’écoute), la réalité est plus
sombre : « Six des sept exemples
donnés dans ces paysages sono­
res ont été captés dans des habi­
tats qui n’existent plus », relève
Bernie Krause.
Ils ont disparu sous la double
pression de la colonisation hu­
maine et du réchauffement cli­
matique. « Habituellement, nous
réfléchissons en termes d’espèces
qui n’existent plus, mais là, ce sont
des habitats entiers qui ne peuvent

plus être entendus, et qui sont de­
venus silencieux. La question qui
se pose est : “Que faisons­nous de
cette information ?” Nous devons
faire des choix face à cette situa­
tion », commente l’écouteur amé­
ricain, qui n’a encore jamais pu
exposer dans son pays ce pavé
dans la mare climatosceptique.
La sécheresse est à l’origine de
l’incendie de la vallée de Sonoma,
en Californie, qui a vu partir en
fumée sa maison et ses enregis­
trements en 2017. Quelques mois
plus tôt, dans le contexte de
l’arrivée au pouvoir de Donald
Trump, il avait confié une copie
de l’ensemble de ses archives
sonores à la Fondation Cartier.
Qui a à cœur de faire circuler cette
installation résonnant comme
un cri d’alerte écologique.
emmanuelle jardonnet

Other Spaces, présenté par
The Store X, la Vinyl Factory
et la Fondation Cartier, à Londres,
jusqu’au 9 décembre. Accès libre.

Entre chaos
et accalmies,
les cycles se
succèdent dans
une dramaturgie
aléatoire

Marianne Crebassa,


inoubliable « Ariodante »


La mezzo­soprano éblouit dans le drame
d’Haendel dirigé par Marc Minkowski

OPÉRA


M


arc Minkowski l’a re­
monté tout exprès
pour elle en version
de concert : vingt­deux ans après
l’enregistrement d’Ariodante, qui
révéla au grand public le chef­
d’œuvre haendélien (Deutsche
Grammophon/Archiv Produk­
tion), le chef d’orchestre a offert à
Marianne Crebassa une prise de
rôle qui laisse ébloui.
Sous les rudes aplats lumineux
d’un auditorium de Radio France
privé de projecteurs et, plus dom­
mageable, de micros (les audi­
teurs devront, hélas, se passer de
la diffusion de l’opéra initiale­
ment prévue le 18 décembre), à
cause d’une grève d’une partie du
personnel, plus de trois heures de
musique d’une intensité excep­
tionnelle. La foi intacte de Marc
Minkowski n’a pas accusé le pas­
sage du temps, si ce n’est pour par­
faire encore ce qui pouvait l’être, la
rondeur palpitante des cordes, des
vents enivrés d’eux­mêmes, plus
de rage dans les soubresauts du
cœur, d’exubérance dans la joie,
de profondeur dans la douleur.
Comme l’âme du vertueux che­
valier Ariodante, le sceau de l’ab­
solu marque chaque note, chaque
intention musicale, précipité de
couleurs ou rebond dynamique.
Le temps vole à la vitesse de
l’éclair, pour passer des pleurs à la
réjouissance, de l’amour à la
haine, du combat à la concorde.
Le miracle s’appelle Marianne
Crebassa, sa voix d’ambre chaud,
dont les teintes mordorées se font
tour à tour capiteuses, tendres à
mourir ou fermentées de volup­
tés guerrières. Volubile, assurée,
frondeuse, la vocalise se meut
dans l’orbe généreux de la respi­
ration, les passages élégiaques,
imparables d’émotion, culminant
au firmament de l’expressivité.

La grande jeune femme brune
possède une présence magnéti­
que. Un simple chemisier blanc
sous la veste noire tombée au sol
et voilà le chevalier désarmé par
la trahison de celle qu’il aime.
Cœur battant de l’œuvre, le célè­
bre Scherza infida (« amuse­toi,
infidèle »), tout habillé de noir­
ceur, refusera la berceuse que lui
offre la musique.
La plupart des interprètes ac­
centuent le mot « infida » (« infi­
dèle ») et son rythme pointé, dési­
gnant la blessure d’amour infli­
gée. Marianne Crebassa s’attarde
au contraire sur « scherza », l’in­
soutenable torture qui consiste à
imaginer le plaisir de l’aimée
dans d’autres bras. La reprise de
l’air, à peine murmurée, est celle
d’une inoubliable agonie.

Distribution de haut vol
Autour de ce rôle­titre d’antholo­
gie, une distribution de haut vol.
La Ginevra noble et ardente d’Ana
Maria Labin, au beau timbre de
tragédienne, la fraîche et sédui­
sante Dalinda de Caroline Jes­
taedt, aigus lumineux et beau
tempérament de petit démon,
que manipule le Lurcanio furioso
de Valerio Contaldo, ténor à la
voix souple et puissamment pro­
jetée, tandis que le roi d’Ecosse de
James Platt aux magnifiques cou­
leurs de basse profonde se prend
aux manœuvres malavisées du
Polinesso presque monstrueux
de Yuriy Mynenko, contre­ténor
machine de guerre à l’ambitus
gargantuesque.
Inaugurée le 20 novembre à la
MC2 de Grenoble, la tournée de
cet opus magistral passera, les 28
et 30 novembre, par Bordeaux,
avant de s’achever le 2 décembre à
Toulouse. Souhaitons que les mi­
cros soient aussi de la partie.
marie­aude roux

Ariodante, d’Haendel.
Les Musiciens du Louvre, Marc
Minkowski (direction). Auditorium
de l’Opéra de Bordeaux, les 28 et
30 novembre à 20 heures. De
45 € à 90 €. Halle aux grains
de Toulouse, le 2 décembre,
à 20 heures. De 20 € à 70 €.
Troisième symphonie de Mahler,
avec Marianne Crebassa, Orchestre
de Paris, Esa­Pekka Salonen
(direction). Philharmonie de Paris,
Paris 19e. Les 12 et 13 décembre,
à 20 h 30. De 10 € à 80 €.

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