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VENDREDI 29 NOVEMBRE 2019 0123 | 29
C
e 20 novembre, l’édito
rial du New York Times
portait ce titre : « “ 1984 ”
in China » (« “1984” en
Chine »). Pour comprendre ce
qui se passe dans le pays de Xi
Jinping, il faudrait relire un ro
man britannique de 1949 – Nine
teen Eighty Four, signé George
Orwell. Pourquoi maintenant?
Parce que l’œuvre d’Orwell, pas
seulement 1984, devrait être
un antidote à l’un des périls de
l’époque : les régressions multi
formes de la liberté.
1984 (« Folio ») et La Ferme des
animaux (1945, « Folio ») sont
deux livres dans lesquels Orwell
(19031950) soulève le capot de la
mécanique totalitaire. Il s’appuie
sur ce qu’il a connu : fascisme, na
zisme et communisme soviéti
que. Il décrypte l’escamotage de la
réalité, l’usage systématique du
mensonge, la réécriture de l’his
toire, la répression de toute dissi
dence et, surtout, la volonté de
« contrôler les esprits ». Immenses
succès, ces deux romans illustrent
de façon prémonitoire ce qui se
passe dans la Chine de Xi Jinping.
1984 est interdit en Chine.
Les informations du New York
Times et celles du Monde ont
confirmé et détaillé le sort réservé
aux minorités musulmanes de
Chine, ouïgoure et kazakhe, no
tamment. Des centaines de mil
liers de musulmans, peutêtre
plusieurs millions à ce jour, sont
ou ont été internés dans des
camps de rééducation idéologi
que. Ils sont visés pour ce qu’ils
sont, musulmans, et soumis à un
lavage de cerveau collectif, afin de
ne plus l’être, emprisonnés sans
procès pour « crime de la pensée »,
victimes d’un système de sur
veillance collective numérique
sans précédent. Les portables des
quelque 30 millions de Ouïgours
sont mécaniquement et systéma
tiquement espionnés. L’Etatparti
veut tout savoir de tous : préfigu
ration d’une tyrannie 2.0 imposée
à l’ensemble des Chinois?
Un modèle en vogue
A ce jour, le seul pays à majorité
musulmane à avoir dénoncé le
sort réservé aux Ouïgours est la
Turquie. Les autres pays de l’aire
araboislamique se taisent, mar
ché et investissements chinois
obligent. La Chine entend imposer
sa conception des droits de
l’homme à l’étranger. Pékin veut
policer le discours sur la Chine
hors de ses frontières et use de sa
puissance économique à cette fin.
Trop souvent galvaudé, l’adjectif
« orwellien » colle à la réalité.
Deux livres récents éclairent la
puissance évocatrice et analyti
que de l’œuvre de cet Anglais dé
gingandé, fine moustache et
vieille veste en tweed, cravate mal
ficelée, maigre comme un chat
sauvage et pauvre pour rester
libre : Dans la tête d’Orwell, un
inédit de Christopher Hitchens
(19492011), préfacé et traduit par
Bernard Cohen (SaintSimon,
172 pages, 19,80 euros), et Sur
les traces de George Orwell, de
notre confrère du Figaro Adrien
Jaulmes (Equateurs, 154 pages,
15 euros) – voir l’article d’Alain
BeuveMéry dans Le Monde du
2 novembre. Ecrivain à l’œuvre
multiple, Orwell, rappellent ces
deux livres, a payé de sa personne
pour chacune des causes qu’il a
défendues. Qu’il s’agisse d’être
aux côtés des républicains espa
gnols, de partager la vie du prolé
tariat du RoyaumeUni ou des
plus misérables des Parisiens.
Orwell a pourfendu tous les « is
mes » de son époque. Chez lui,
écrit Cohen, « tout converge vers
une seule idée, la liberté de l’es
prit », dont la préservation condi
tionne le maintien de la démocra
tie. Or, cette dernière régresse
aujourd’hui. Le modèle autocrati
que est en vogue. Pour la pre
mière fois depuis 2000, le nom
bre de pays se dirigeant vers un
style de gouvernement autocrati
que dépasse ceux qui vont vers la
démocratie. L’Institut Montaigne
cartographie Le Monde des nou
veaux autoritaires (Editions de
l’Observatoire, préface de Michel
Duclos, 270 pages, 19 euros).
L’autocratie séduit jusque dans
les rangs des démocraties occi
dentales. A la tête de la plus puis
sante d’entre elles, Donald Trump
est béat d’admiration devant les
tyrans de son temps.
En France, la diplomatie au culot
d’un Vladimir Poutine fait des
adeptes : « Lui, au moins, il en a! »
Au temps de la guerre froide,
Orwell dénonçait déjà cette sorte
« d’envie occidentale devant le total
manque de scrupule soviétique »
sur la scène internationale. La
Chine vante l’efficacité économi
que de son modèle de gouver
nement et en assure discrètement
la promotion. Face à la complexité
des questions à résoudre – crois
sance, climat, migrations, lutte
contre les inégalités –, la démocra
tie libérale ne serait plus le bon
modèle. On nous refait le – mau
vais – coup des « libertés formel
les » dites « bourgeoises », affaires
secondaires comme chacun sait,
opposées aux « réelles », les impé
ratifs de la croissance ou la célé
bration nationaliste.
Au début de l’automne, inter
venant lors du Monde Festival, le
politologue Dominique Reynié
observait : « Nous sommes dans
un cycle historique où il est possi
ble que la démocratie dispa
raisse. » Evoquant la Chine, le pa
tron de la Fondation pour l’inno
vation politique s’interrogeait sur
« un monde où la plus grande puis
sance serait un pays qui récuse for
mellement toutes les valeurs de la
démocratie occidentale ». Contre
la tentation autocrate, la philoso
phe Cynthia Fleury réaffirmait, à
cette même tribune, la force et la
pertinence de la démocratie libé
rale. Elle est peutêtre médiocre,
laborieuse, grisailleuse, pagail
leuse, mais, dit Fleury, c’est le ré
gime qui « intègre en son sein la
complexité et le contradictoire ».
Ce qui laisse l’impression qu’elle
est « toujours en crise », mais fait
aussi son humanité. Cette vérité
est au cœur des livres d’Orwell,
puissants manuels de lutte contre
tous les manichéismes. Plus né
cessaires que jamais.
PS : Sujet pas si éloigné, Arte
diffuse le mardi 3 décembre
« Venezuela, l’ombre de Chavez »,
passionnant film de Laurence
Debray pour comprendre
cette tragédie : comment ruiner
un pays en moins d’une
génération (et sur Arte.tv du
26 novembre au 31 janvier 2020).
A
près moult péripéties et un mois
de retard, la nouvelle Commission
européenne, présidée par Ursula
von der Leyen, première femme à occuper
ce poste, entre enfin en fonctions le 1er dé
cembre, dans un environnement politique
et diplomatique particulièrement difficile.
La large majorité avec laquelle le Parle
ment européen a finalement voté, mer
credi 27 novembre, l’investiture de Mme von
der Leyen et de ses 26 commissaires –
461 voix pour, 157 contre et 89 abstentions
- tranche heureusement avec les neuf peti
tes voix de majorité qu’il avait accordées à
la présidente en juillet.
Mais elle ne doit pas non plus faire illu
sion : les dossiers qui attendent l’exministre
allemande de la défense relèvent tous de dé
fis majeurs pour l’Europe, dans un monde
incertain. La nouvelle présidente a ainsi
choisi de consacrer son premier déplace
ment, dès le 3 décembre, à l’environnement,
en se rendant à Madrid à la conférence de
l’ONU sur le climat. Mme von der Leyen a en
effet présenté son « green deal » comme
l’une des priorités de la Commission, dont
est chargé Frans Timmermans, l’un des trois
viceprésidents. Mais la question de la ré
duction de plus de 50 % des gaz à effet de
serre d’ici à 2030 et celle d’une taxe carbone
aux frontières de l’UE ne font pas pour l’ins
tant l’unanimité entre Européens.
Autres priorités : le numérique, sous la
houlette de Margrethe Vestager, et le ren
forcement de la coopération en matière
économique et financière au moment où
l’UE est sur le point de se trouver amputée
du RoyaumeUni. Comme l’a plaidé cette
semaine l’Allemande Sabine Weyand, nou
velle directrice générale du commerce à la
Commission : « Lorsque l’on maigrit, il faut
se refaire du muscle. » La nouvelle équipe est
également attendue sur un « nouveau
pacte » migratoire promis par la présidente,
avec un droit d’asile commun et une ré
forme du règlement de Dublin, un dossier
sur lequel l’unité de l’Europe reste à bâtir.
C’est aussi dans un contexte de grande in
terrogation sur la place de l’Europe dans un
monde de nouveau livré à la compétition
des grandes puissances qu’Ursula von der
Leyen prend les rênes de la Commission. A
plusieurs reprises depuis sa nomination, la
présidente a plaidé pour une « commission
géopolitique ». Le nouveau haut représen
tant pour la politique extérieure, Josep Bor
rell, souhaite également que l’Europe se
pose en acteur sur la scène mondiale, tout
en soulignant que la politique étrangère et
de défense relève, institutionnellement,
des Etats membres. Le nouveau président
du Conseil européen, Charles Michel, est,
lui aussi, favorable à un renforcement des
capacités d’action extérieure de l’Union.
Il y a dans cette équipe une prise de cons
cience claire de la nécessité pour l’UE de se
renforcer sur la scène internationale. L’ob
jectif est de se donner les moyens de pré
server ses intérêts face à trois grandes puis
sances – les EtatsUnis, la Chine et la Russie
- qui défendent très activement les leurs,
aux dépens des Européens s’il le faut. C’est
cette réalité brutale qui implique une réac
tion du Vieux Continent. Que la nouvelle
Commission en soit consciente est une
première étape dans la bonne direction.
Elle dispose de quelques leviers pour s’af
firmer, notamment dans les domaines du
commerce et du numérique. Mais la Com
mission ne pourra répondre à ce défi ma
jeur si elle ne dispose pas de la solidarité
des Etats membres dans cet effort. A eux, à
présent, d’en prendre conscience et de sur
monter leurs divisions.
« 1984 » ET « LA
FERME DES ANIMAUX »
ILLUSTRENT DE FAÇON
PRÉMONITOIRE CE QUI
SE PASSE DANS LA
CHINE DE XI JINPING
DÉFIS MAJEURS
POUR LA
COMMISSION
EUROPÉENNE
INTERNATIONAL|CHRONIQUE
pa r a l a i n f r a c h o n
La leçon d’Orwell,
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