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VENDREDI 29 NOVEMBRE 2019 international| 3
La santé au cœur de la campagne britannique
La dégradation du système public, fierté nationale qui pourrait pâtir du Brexit, inquiète les électeurs
REPORTAGE
bristol (royaumeuni)
envoyée spéciale
B
ristol, au petit matin. Il
pleut à grosses gouttes
glacées. Les étudiants
gagnent, en procession,
la faculté sur les hauteurs de la
ville. A deux pas, le Royal hospi
tal, section adultes, d’un côté, en
fants, de l’autre. A cette heure,
l’accueil est calme au sein de l’éta
blissement. On croise quelques
familles avec des bébés dans les
couloirs pastel, on aperçoit un
Wallace et un Gromit géants – les
célèbres personnages créés dans
cette ville du sudouest de l’An
gleterre – rangés dans un renfon
cement, on observe des infirmiè
res qui s’affairent.
Les bâtiments administratifs
sont attenants. Là, c’est une autre
histoire : bureaux étriqués, esca
liers biscornus, « pas sûr que ce
soit aux normes antiincendie »,
glisse Hanna (son prénom a
été changé), une secrétaire tra
vaillant pour deux cardiologues.
Elle est employée depuis dix ans
au NHS (National Health Service),
le système de santé britannique.
Premier employeur du Royaume
Uni (1,5 million de salariés), c’est
un énorme paquebot, qui pour
voit des soins gratuits à tous les
Britanniques depuis sa création,
en 1948, par le gouvernement tra
vailliste de Clement Attlee.
Le NHS se retrouve au cœur de
la campagne des élections géné
rales britanniques, qui se tien
dront le 12 décembre. Les conser
vateurs ont promis de lui accor
der 20 milliards de livres
(23,3 milliards d’euros) en plus
dans les cinq ans, et de procéder
au recrutement de 50 000 infir
mières supplémentaires. Et de
puis l’été, le premier ministre, Bo
ris Johnson, visite presque un hô
pital par semaine. Quant aux
travaillistes, ils ont choisi de faire
de ce joyau national leur princi
pal argument de campagne : ils se
sont engagés à faire progresser
son budget de 4,3 % l’an dans les
cinq prochaines années, soit en
viron 26 milliards de livres d’ar
gent frais. Ils martèlent qu’il faut
« en finir avec dix années d’austé
rité conservatrice ».
Surtout, Jeremy Corbyn, leur
chef de file, accuse Boris John
son de vouloir « vendre » le NHS
au président américain, Donald
Trump, dans le cadre d’un futur
accord de libreéchange entre les
EtatsUnis et le RoyaumeUni.
Mercredi 27 novembre, mis en
difficulté, à nouveau, sur les
soupçons d’antisémitisme au
sein du Labour, le patron du
parti a convoqué la presse, dans
le centre de Londres, et fait dis
tribuer 451 pages de leaks (« fui
tes »), des comptes rendus de
six réunions préparatoires entre
officiels britanniques et améri
cains ayant eu lieu entre 2017
et l’été 2019. Ces documents, à
en croire M. Corbyn, constituent
la « preuve » des intentions de
M. Johnson ; il s’agit « d’un véri
table complot contre notre
pays », atil ajouté.
Boris Johnson a vivement réagi,
affirmant que le NHS « ne sera
pas à vendre ni ne fera partie d’un
accord de libreéchange (...) avec
ce gouvernement ni aucun autre
gouvernement conservateur ». De
fait, les documents portent très
peu sur le NHS et exposent
surtout le point de vue des négo
ciateurs américains : ceuxci sou
haiteraient logiquement que
leurs firmes pharmaceutiques
vendent davantage de médica
ments aux Britanniques, et le
plus cher possible. Mais rien n’in
dique dans ces comptes rendus
que Londres a accepté.
Audelà de cette nouvelle passe
d’armes et du concours de géné
rosité entre les deux principaux
partis politiques du pays, il y a
une réalité que personne ne con
teste : le système de santé britan
nique va mal. Avec le vieillisse
ment de la population, la crise des
vocations, la stagnation des inves
tissements, il a du mal à mainte
nir un service réputé d’excellence.
Le 14 novembre sont parues les
dernières statistiques officielles le
concernant : 83,6 % seulement
des patients passés par les servi
ces des urgences hospitalières en
octobre 2019 ont été « traités » (ad
mis, soignés, renvoyés) dans les
quatre heures suivant leur arri
vée, plus basse performance en la
matière depuis que la collecte de
ces données a commencé, en
juillet 2015. D’autres voyants sont
au rouge, comme les temps d’at
tente pour voir un spécialiste,
pour obtenir un traitement anti
cancéreux, ou la pénurie d’infir
mières et de sagesfemmes
(40 000 postes vacants).
A Bristol, Hanna est inquiète.
Elle assure avoir vu progressive
ment la situation de « ses » doc
teurs et autres personnels se dé
grader. Elle raconte « ces infirmiè
res qui ne restent pas à cause de la
flexibilité horaire » qu’on exige
d’elles, celles qui « auraient fait de
parfaites professionnelles en pé
diatrie, mais n’avaient pas l’argent
pour la formation » (en 2016, le
gouvernement conservateur a
supprimé les bourses pour les
étudiantes infirmières). Elle évo
que aussi la liste où figurent les
noms de jeunes patients en at
tente d’une opération (plusieurs
mois de patience). Pour autant,
assuretelle, « la qualité des soins
reste très bonne ».
« Il y a des tensions »
Cecilia Gonzalez Corcia est car
diologue. Ce matin, elle a une in
tervention, une autre, l’après
midi, a été annulée – fait excep
tionnel. Elle a un peu de temps. La
jeune femme, d’origine argen
tine, s’est installée en 2018 à Bris
tol, après avoir été démarchée par
l’hôpital pour enfants. Elle fait
partie des huit cardiologues de
l’établissement ; « on devrait être
deux fois plus nombreux ». Elle
aimerait consacrer plus de temps
à sa famille, mais reste constam
ment sur le quivive, l’œil braqué
sur son téléphone portable.
En venant de Belgique, où elle
pratiquait avant, Cecilia a fait un
choix de carrière mais elle a été
surprise par les conditions de tra
vail dans l’institution. Pas de pla
ces de parking gratuit pour les
praticiens et les infirmières, mal
gré leurs horaires décalés et les
astreintes, pas de rembourse
ments de frais pour participer à
des congrès médicaux, vétusté
des bureaux... Pourtant, elle reste
passionnée par son travail. Et elle
continue d’admirer cette « totale
absence de discrimination » des
patients face aux soins.
Andrew Parry, 57 ans, est l’un
des quatre chirurgiens cardiolo
gues de l’hôpital. Vêtu de sa
blouse rose, le praticien d’origine
écossaise est légèrement agacé
par l’intérêt soudain des politi
ques pour le NHS. « Il est sans
doute ce dont les Britanniques
sont le plus fiers, la seule chose
qui fasse vraiment consensus
chez nous. Les politiques exploi
tent la situation et jouent sur
l’émotion des gens. »
Les politiciens ont tendance
à noircir le tableau, estime
M. Parry, mais il le reconnaît : « Il y
a des tensions. Les nouveaux trai
tements sont extrêmement oné
reux, en faire bénéficier tout le
monde a un coût. » La population
vieillit, les pathologies lourdes –
diabète, cancer – se multiplient.
« Il est difficile de recruter des in
firmières spécialisées, difficile de
convaincre les jeunes médecins
d’entrer dans une carrière présen
tant des risques juridiques et
énormément de travail. Et beau
coup de médecins seniors cessent
de faire des heures supplémentai
res [une réforme datant de l’ère
Cameron leur impose de lourdes
taxes quand les contributions à
leurs fonds de retraite augmen
tent]. C’est un cercle vicieux. » A
en croire les chiffres officiels,
il manque 40 000 infirmières
au NHS Angleterre et Pays de
Galles (les NHS Ecosse et Irlande
du Nord sont gérés de ma
nière autonome).
Manque de personnel
Le principal problème du NHS,
selon Nuno Duarte, un Portugais
de 30 ans, physiologiste cardia
que à Bristol, c’est le manque de
personnel. « Il est lié à la faiblesse
des salaires. Les infirmières sont
payées entre 24 000 et 30 000 li
vres [entre 28 000 et 34 000
euros] par an [avant impôts] : les
caissières chez Tesco ou Aldi sont
payées à des niveaux équivalents
mais sans avoir investi dans un di
plôme, avec un job moins stres
sant. C’est pour cela qu’il y a tant
de personnel étranger au NHS.
Pour nous, les salaires restent plus
intéressants que dans nos pays. »
A ce malaise s’ajoute l’angoisse
liée au Brexit : 9,5 % des médecins
et 6,4 % des infirmières sont des
nonBritanniques venus d’Eu
rope. Comment fonctionnera
l’institution si, après le divorce,
leurs diplômes et leurs droits de
séjour sont contestés? Si les re
crutements de personnels étran
gers sont brutalement stoppés?
Pour l’instant, ni les travaillistes
ni les conservateurs n’apportent
de réponses absolument rassu
rantes. Pour les tories, les Euro
péens devront être traités
comme les migrants venus
d’autres zones. Le personnel
étranger « devrait pouvoir venir »
dans le pays s’est au contraire
contenté d’affirmer le travailliste
John McDonnell, lors d’un mee
ting consacré au NHS à Londres
à la minovembre. L’enjeu est
clair : sans les professionnels
étrangers, la situation du service
public de santé risque de dégéné
rer encore davantage.
cécile ducourtieux
Les caissières
chez Tesco ou Aldi
peuvent
être payées
à des niveaux
équivalents à ceux
des infirmières
LE CONTEXTE
SONDAGES
Le Parti conservateur du premier
ministre, Boris Johnson, est cré-
dité d’une majorité de 68 sièges
au Parlement pour les législati-
ves du 12 décembre, grâce à une
percée dans les terres travaillis-
tes, selon un sondage YouGov
publié mercredi. Les conserva-
teurs rafleraient 359 sièges (+ 42
par rapport à 2017), tandis que le
Parti travailliste tomberait à 211
sièges (– 51). Le phénomène est
particulièrement marquant dans
les circonscriptions travaillistes
ayant voté en faveur du Brexit
en 2016. Cent mille personnes
ont été interrogées. En 2017,
cette méthode avait permis
de prédire un Parlement sans
majorité, à contre-courant des
autres sondages qui donnaient
les conservateurs gagnants.
« Le NHS est la seule
chose qui fasse
consensus chez
nous. Les politiques
jouent sur l’émotion
des gens »
ANDREW PARRY
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