Le Monde - 29.11.2019

(Martin Jones) #1

0123
Vendredi 29 novembre 2019
Spécial livres jeunesse|


9


Aux auteurs jeunesse!


Delphine Perret, auteure et illus­
tratrice jeunesse, et Eric Garaut,
photographe, ont rendu visite à
des illustrateurs. D’où viennent
leurs traits? A quoi ressemble la
mise en route d’une journée de
création? « Le dessin me pose tou­
jours beaucoup de problèmes »,
confie Gilles Bachelet, dévoilant sa
personnalité besogneuse. « Il faut
que mon œil soit convaincu par ce
que je lui propose », détaille quant
à elle Lauren Capelli. On retrouve
Magali Le Huche, Béatrice Ale­
magna, Benjamin Chaud, François
Place... Les photos donnent la juste
place aux détails de leurs univers,
et les textes créent une intimité
généreuse. Un très bel hommage
au travail de ces artistes.r. bo.
Les Ateliers de l’illustration et
de la
création,
de Delphine
Perret et
Eric Garault,
Les Fourmis
rouges,
248 p., 36,50 €
(en librairie le
5 décembre).

Avis de recherche


Chaque histoire commence par un
papier scotché sur un tronc d’ar­
bre, une porte de boulangerie, un
distributeur de banque. « Qui a vu
Macao? Merci d’appeler à ce nu­
méro... Je n’ai pas de collier pour
m’identifier. » Une perruche s’est
envolée, un chien a fugué ou
même un sac avec un chat à l’inté­
rieur a été oublié sur le trottoir. Le
style des annonces est souvent
savoureux, comme cette Sidonie
qui cherche son « super matou,
super gentil Raymoundo (...). Il est
borgne, pucé, castré et c’est une
crème ». Bruno Gibert a collecté
ces véritables avis de recherche.
Les mots de ces maîtres en peine
lui ont ensuite inspiré des nouvel­
les. Chaque animal écrit à son maî­
tre, lui raconte ce qu’il vit et ré­
pond à la petite annonce qui le
concerne! C’est souvent drôle et
fin, d’autant que les bêtes savent
aussi très bien régler leurs comp­
tes quand c’est nécessaire. Ce livre
se picore plaisamment, chacun
calque son imagi­
naire sur ces peti­
tes annonces qui,
d’un coup, devien­
nent un peu moins
désespérées.
r. bo.
Pas perdus !,
de Bruno Gibert,
L’Ecole des loisirs,
160 p., 12 €. Dès 8 ans.

Prêt au pire
Justin se retrouve seul chez lui le
temps d’une escapade de sa fa­
mille chez l’oncle Bob. Mais voilà
qu’advient l’apocalypse. Le jeune
garçon découvre le carnage et fuit
la ville, direction la forêt. Il doit
sauver sa peau! Il n’est pas seul, il
est accompagné par Björn, un
guerrier imaginaire, héros du car­
net que le collégien griffonne de
ses exploits pour survivre. « On a
l’impression que le monde moderne
a toujours existé. Que l’eau est tou­
jours arrivée dans les immeubles et
les salles de bains. Que l’électricité a
toujours fait disparaître la nuit. »
Mais Justin sait bien que non! Le
lecteur le suit tandis qu’il se bat
pour trouver des solutions. Il a un
atout : les heures passées avec son
oncle dans la nature! Trouver de
l’eau potable, poser un piège, se
construire un abri... il sait faire.
Un singulier roman d’aventures
aux allures de
guide pour survi­
valiste, drôle et
instructif.r. bo.
Masca. Manuel
de survie en cas
d’apocalypse,
d’Erik L’Homme
et Eloïse Scherrer,
Gallimard Jeunesse,
160 p. 14,50 €. Dès 9 ans.

Devenir renard


E N F A N C E

Une page consacrée


à la littérature pour les enfants


et les adolescents, alors que


se tient à Montreuil le Salon


du livre jeunesse (jusqu’au


2 décembre). L’événement en est


le très attendu dénouement de


la tétralogie de Christelle Dabos


Pour la Passe­Miroir,


l’âge de raison


pauline croquet

S


ix ans après avoir publié le pre­
mier tome de sa tétralogie La Pas­
se­Miroir (Les Fiancés de l’hiver,
Gallimard Jeunesse), Christelle
Dabos livre l’épilogue attendu de cette
saga de fantasy. Si le lecteur a rencontré
avec Ophélie une jeune femme un peu
gauche, pétrie des doutes de
l’adolescence et promise au
mariage avec un inconnu
dans un territoire étranger, il
voit désormais s’épanouir
une héroïne affirmée, aguer­
rie à ses pouvoirs surnaturels
lui permettant de lire au tou­
cher le passé d’un objet et de
voyager en traversant les mi­
roirs. Elle est aujourd’hui dé­
terminée à combattre les
castes supérieures et à s’af­
franchir d’un système infantilisant et
opaque pour lever le voile sur la genèse
de ce monde où des esprits de famille,
sortes de demi­dieux amnésiques, rè­
gnent sur des arches, micro­Etats sus­
pendus dans les airs après la Déchirure,
un très ancien cataclysme.

A l’instar du troisième tome, l’intrigue
de La Tempête des échos se déroule à Ba­
bel. Un territoire ensoleillé qui évoque
une cité à la croisée de Babylone et de
l’Inde, un carrefour migratoire où Ophé­
lie avait retrouvé Thorn, son époux fugi­
tif. Au mariage de convenance s’est subs­
tituée une relation de confiance et de
tendresse entre deux érudits curieux.
Les époux sont lancés sur la piste d’Eula­
lie Dilleux et de l’Autre, protagonistes de
la Déchirure, tandis que les habitants des
arches affrontent des catastrophes faus­
sement naturelles et la dérive autoritaire
de leurs administrateurs. En véritables
espions sous de fausses identités, Ophé­
lie et Thorn infiltrent un institut au
cœur de l’observatoire de Babel et se re­
trouvent impuissants dans un lieu fait
d’illusions et de faux­semblants, tel un
terrier façonné par Lewis Carroll. Plus
Ophélie s’affirme et se construit, plus
elle se rend compte que la situation lui
échappe. Et que les événements ayant
conduit cette petite gardienne de musée
de prime abord insignifiante jusqu’à
Babel étaient prédestinés.

Dénouer tous les fils
La romancière de 39 ans a dû s’atteler,
dans ce dernier volume, à dénouer tous
les fils tissés dans une œuvre vaste et
foisonnante, bondée de personnages, de
phénomènes surnaturels et de tableaux

parfois loufoques. En résultent des pre­
mières pages denses, brumeuses, mys­
tiques, qui requièrent des souvenirs
solides des précédents volumes. Aux lec­
teurs persévérants, Christelle Dabos of­
fre toutefois une résolution minutieuse
et parvient, en quelques chapitres, à re­
lancer une aventure dont chaque mys­
tère se résout au pas cadencé – et parfois
sous un jour inattendu.
A mesure qu’elle a fait grandir son per­
sonnage, Christelle Dabos a également
aiguisé son style onirique, paré de mots
soigneusement choisis. Son lexique riche
et polymorphe est au service des émo­
tions et des monologues de ses person­
nages, mais aussi des illusions et des dé­
cors. Parmi ces univers moirés, certains
s’inspirent d’ambiances anglo­saxonnes
du XIXe siècle, d’autres convoquent des
atmosphères orientales quand ce ne sont
pas des imaginaires plus scandinaves.
Couronné dès le tome I du prix du
Premier Roman jeunesse Gallimard­
RTL­Télérama, en 2013, ce cycle est de­
venu un phénomène littéraire (écoulé à
500 000 exemplaires) après être né sur
un site Web d’écriture amatrice, en guise
de catharsis après une lourde opération
chirurgicale. Mais, avec ce quatrième
volet, l’écrivaine parachève une œuvre
d’apprentissage qui confirme son im­
portance dans la littérature adolescente
française.

la tempête
des échos.
la passe­
miroir,
livre 4,
de Christelle
Dabos,
Gallimard
Jeunesse,
572 p., 19,90 €.
Dès 13 ans.

élisa thévenet

A


vril 1857 : Abner Marsh,
propriétaire bourru
d’une compagnie de
fret fluvial, a rendez­
vous dans un hôtel prisé par les
marins de Saint­Louis, Missouri.
Joshua York, esthète ombrageux,
lui propose de financer le rêve de
sa vie : construire le vapeur le plus
rapide du Mississippi. Une offre
inattendue. Marsh est ruiné, les
eaux glacées du fleuve ont brisé
sa flotte et seul son fidèle Eli
Reynolds, un roue­arrière pous­
siéreux, achemine péniblement
quelques passagers sur l’Illinois.
Un maigre butin pour un investis­
seur fortuné.
Mais York recherche avant tout
un associé pragmatique et dis­
cret, qui sache tenir la barre aussi
bien que sa langue, et il est prêt à
débourser 375 000 dollars pour
s’en assurer. Abner Marsh embar­
que bientôt sur le Rêve de Fevre,
son rutilant vapeur, pour un
périlleux voyage. Au fil des se­
maines, le capitaine découvre
qu’un sillage de morts entache le
parcours et décide d’enquêter.
Coûte que coûte.
Dans ce roman fantastique,
teinté d’horreur publié en 1982,

Mississippi, fleuve de sang


Bien avant le succès de « Game of Thrones », George
R. R. Martin signait un sombre roman de vampires...

traduit par Mnémos en 2005 et
réédité aujourd’hui par Pygma­
lion, George R.R. Martin, auteur
de la saga Le Trône de fer, plonge
dans l’Amérique du XIXe siècle. Ici,
pas de dragons, mais des vampi­
res, créatures déchirées par des
pulsions de vie, loin des clichés
véhiculés par les imitateurs de la
trilogie à succès Twilight. Chez
Martin, la mort n’est pas poéti­
que, elle est brutale. Intense
et crue. Dans les langueurs du
Mississippi, l’écrivain américain
sculpte des personnages vibrants,
pièces maîtresses d’une intrigue
sans surprise, et tisse avec savoir­
faire une mythologie libérée de
ses superstitions catholiques.
Rêve de Fevre est un roman
d’amitié, une réflexion sur la bes­
tialité et la peur de l’autre. Sous
la plume touffue de George
R. R. Martin, le sud du Mississippi
livre une tranche de son histoire,
lacérée par les atrocités de
l’esclavage.

rêve de fevre
(Fevre Dream),
de George R. R. Martin,
traduit de l’anglais (Etats­Unis)
par Alain Robert,
Pygmalion, 520 p., 19,90 €.
Dès 13 ans.
Signalons, du même auteur, la
parution de Feu et sang. Intégrale,
traduit par Patrick Marcel,
illustré par Doug Wheatley,
Pygmalion, 992 p., 30 €.

F A N T A S T I Q U E

L’illustration originale de Laurent Gapaillard pour la couverture de « La Tempête des échos ». LAURENT GAPAILLARD/GALLIMARD

F A N T A S Y

LES DUNES, L’OCÉAN, LES HERBES SAUVAGES, LES OISEAUX... Et le museau en l’air, fier,
un renardeau! On le rencontre d’abord sur quelques doubles pages sans texte. Impos­
sible de le rater, avec sa fourrure orange « fluo » au milieu des paysages aux tons passés.
Petit Renard observe, joue avec les mouettes, imite un grand oiseau noir, et se met
à suivre deux papillons violets. Mais dans son imprudente course, il fait une chute, perd
connaissance et s’enfonce dans un rêve. Le lecteur le suit dans les souvenirs de son en­
fance, le retrouve « tout emmêlé » au milieu de ses frères et sœurs, évoquant ses parents
et sa découverte du monde en sortant du terrier. Le renardeau partage avec le lecteur ses
bonheurs sauvages et fugaces. Qui est maintenant cet enfant qui arrive sur son vélo? Le
renardeau est­il endormi? Inconscient? Va­t­il rouvrir les yeux? Pour le lecteur, le rêve
est doux et inquiétant à la fois. L’auteur, Edward van de Vendel, ancien instituteur néer­
landais, signe un texte musical et délicat. Les allers­retours entre le songe et la réalité
apportent une belle richesse au récit. Signée Marije Tolman, l’illustration, qui mêle
photographies et dessins, évolue de la double page silencieuse aux petites cases natu­
ralistes. Magnifique.raphaële botte
Petit Renard (Vosje), d’Edward van de Vendel et Marije Tolman,
traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron, Albin Michel Jeunesse, 88 p., 15,90 €. Dès 3 ans.


ALBIN MICHEL JEUNESSE
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