Le Monde - 29.11.2019

(Martin Jones) #1

6 |international VENDREDI 29 NOVEMBRE 2019


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Fragile espoir de détente au Yémen


après l’annonce de libérations


L’Arabie saoudite prévoit de relâcher 200 prisonniers houthistes.


A Sanaa, les habitants attendent un assouplissement du blocus


A


près quatre années de
conflit enlisé, de frap­
pes aériennes meur­
trières, de chaos mili­
cien et de crise humanitaire, l’es­
poir – mince – d’un processus de
paix serait­il en train de pointer
au Yémen? Riyad a annoncé,
mardi 26 novembre, la libération
prochaine de deux cents prison­
niers appartenant au camp hou­
thiste.
Cette mesure de confiance in­
tervient après l’ouverture de
pourparlers informels entre le
Royaume et ces rebelles soute­
nus par l’Iran, contre lesquels
l’Arabie saoudite était entrée en
guerre en 2015. En réponse à un
cessez­le­feu partiel des houthis­
tes déclaré début octobre, les
bombardements destructeurs de
l’aviation saoudienne avaient
drastiquement baissé en inten­
sité, malgré la poursuite de com­
bats localisés.
Dans les régions du Nord, te­
nues par les rebelles et où se
trouve la capitale, Sanaa, le blo­
cus saoudien sévit toujours, se
traduisant par des prix très éle­
vés et une situation humanitaire
dégradée. Toutefois, les habi­
tants de ces territoires sont dé­
sormais en position d’espérer un
relatif assouplissement de la te­
naille saoudienne à mesure que
des signes d’apaisement se font
jour. Mardi, Riyad, qui contrôle
l’espace aérien, a également an­
noncé, après trois années de blo­
cage, la réouverture de l’aéroport
de la capitale aux malades ayant
besoin de se soigner à l’étranger.
Ces preuves de bonne volonté
mises en avant par l’Arabie saou­
dite en direction de ses adversai­
res houthistes et des populations
qui vivent sous leur autorité
pourraient désormais présager
d’ouvertures plus importantes.
« La situation humanitaire gravis­

sime qui règne au Yémen ne
pourra être résolue que lorsque les
armes se tairont dans le pays. Ces
annonces récentes sont des signes
qui permettent d’espérer que ce
terrible conflit sera très bientôt
terminé », a déclaré au Monde
Lise Grande, coordinatrice hu­
manitaire des Nations unies au
Yémen.
La priorité de Riyad au Yémen
semble bien désormais de mettre
fin à une guerre coûteuse finan­
cièrement et politiquement.
Après avoir promis une victoire
au bout de quelques semaines
en 2015, l’Arabie saoudite s’est
trouvée durablement enlisée
dans un conflit dévastateur pour
son image. Par ailleurs, loin de
remplir ses objectifs militaires,
l’Arabie saoudite a vu ses adver­
saires houthistes se renforcer à la
faveur du chaos. Leurs capacités à
frapper profondément à l’inté­
rieur du territoire du Royaume
n’ont cessé de s’accroître.
C’est cependant l’attaque spec­
taculaire qui a visé des sites pé­
troliers saoudiens stratégiques à
la mi­septembre qui a précipité
l’inflexion de Riyad. Revendi­
quée par les houthistes, la des­
truction de ces installations, qui
a sérieusement affecté la produc­
tion pétrolière saoudienne, a été

nécessaire pour envisager un pro­
cessus de paix avec les houthistes
et elle a été pensée comme telle
par les Saoudiens », précise une
source proche, qui ajoute : « Avec
le départ des Emirats arabes unis
du sud du pays, Riyad doit mon­
trer que l’Arabie saoudite contrôle
le sud pour être en position de né­
gocier avec les houthistes. »
Un gouvernement de transi­
tion dont l’éventualité commen­
cerait à peine à être envisagée, sé­
parément, par les acteurs du con­
flit devra de toute manière réunir
des factions aux intérêts contrai­
res. « Lorsque le processus de paix
sera enclenché, qui sera dans le
gouvernement? A quel poste?
Comment le pouvoir sera­t­il par­
tagé? Chacune de ces questions
comporte sa part de périls, de con­
flits potentiels », indique une
source diplomatique, précisant :
« Ce qui nous attend, malgré la fin
des affrontements, est peut­être
plus complexe encore que ce que
nous avons vécu au cours des cinq
dernières années. »
Si la fin des combats pourrait
intervenir à court terme, qu’elle
soit annoncée officiellement ou
non par les deux parties, les con­
ditions d’une nouvelle escalade
sont toujours réunies. « Il y a, des
deux côtés, des groupes qui profi­
tent de l’économie de guerre et qui
n’ont pas intérêt à ce que les négo­
ciations se poursuivent », relève
une source familière du proces­
sus en cours.
Pour cette source, l’optimisme
n’est pas encore de mise : « Le
manque de confiance entre les
parties reste très fort... Le constat
général, c’est que la guerre est ter­
minée. Les choses vont dans le bon
sens, généralement. Mais il suffit
d’une erreur de calcul tragique
pour que les fronts s’enflamment
à nouveau. »
allan kaval

Irak : le consulat iranien de Nadjaf incendié


Les manifestants accusent les partis chiites au pouvoir de servir les intérêts de Téhéran


D


e hautes flammes ont
dévoré pendant plu­
sieurs heures, dans la
soirée de mercredi 27 novembre,
une partie du consulat iranien de
Nadjaf, dans le sud de l’Irak. Aux
cris de « l’Iran dehors! », des cen­
taines de manifestants ont atta­
qué la représentation consulaire
et remplacé le drapeau iranien
par celui de l’Irak. Après avoir
tenté de disperser la foule avec
des gaz lacrymogènes, au prix
d’une cinquantaine de blessés se­
lon des sources médicales citées
par l’Agence France­Presse, les for­
ces de sécurité se sont retirées et
le personnel du consulat a été
évacué avant que les manifes­
tants y pénètrent. Un couvre­feu
a été imposé dans la ville.
Le ministère des affaires étran­
gères iranien a réclamé à Bagdad
« une action décisive, efficace et
responsable contre les agents des­
tructeurs et les agresseurs ». L’in­
cendie de la représentation ira­
nienne dans la ville sainte, où des
millions de pèlerins iraniens
viennent chaque année visiter le
mausolée de l’imam Ali, cousin
du prophète Mahomet et premier
imam du chiisme, est hautement
symbolique. Il marque un nou­
veau tournant dans la contesta­
tion entamée le 1er octobre. Les
manifestations étaient jusqu’à
présent restées pacifiques dans
cette ville qui abrite la marjaya, la
direction religieuse chiite du pays,

dont le plus haut représentant,
l’ayatollah Ali Al­Sistani, a apporté
son soutien au mouvement.
Déjà, début novembre, des ma­
nifestants avaient incendié l’en­
ceinte du consulat iranien dans
la ville sainte chiite de Kerbala,
au prix de quatre morts. Le res­
sentiment est vif dans les rangs
des contestataires à l’égard du
puissant voisin chiite, qu’ils ac­
cusent de soutenir le « régime »
irakien dont ils réclament la
chute. A Bagdad et dans le sud du
pays, des milliers de manifes­
tants, pour la plupart jeunes et
chiites, réclament depuis le
1 er octobre la refonte du système
politique instauré en 2003 et le
renouvellement d’une classe po­
litique, qu’ils jugent corrompue
et clientéliste. Ils accusent les
partis religieux chiites au pou­
voir et leurs milices de servir les
intérêts de l’Iran, au détriment
du pays frappé par la pauvreté et
le chômage.

« Cellules de crise »
L’absence de réformes crédibles
et l’ampleur de la répression, qui
a fait au moins 350 morts et plus
de 15 000 blessés, ont durci le
mouvement dans le sud. Depuis
le début de la semaine, les mani­
festants brûlent des pneus et blo­
quent l’accès de routes dans plu­
sieurs provinces dans un large
mouvement de désobéissance ci­
vile. Mardi, le premier ministre

Adel Abdel Mahdi a averti que les
« fauteurs de troubles » ne se­
raient pas tolérés. Il n’a reconnu
qu’à demi­mot les violations des
droits humains perpétrées par
ses forces – pointées dans un rap­
port que lui ont adressé les Na­
tions unies –, parlant « d’erreurs ».
Dans ce contexte de tensions,
les autorités irakiennes ont an­
noncé jeudi la création de « cellu­
les de crise » associant dans cha­
que province les gouverneurs ci­
vils et les responsables militaires
pour enrayer la spirale de violen­
ces. Au moins 13 manifestants ont
été tués par balles, jeudi à l’aube,
quand les forces de l’ordre ont
avancé pour reprendre deux
ponts de la ville de Nassiriya, se­
lon des médecins et des policiers
cités par l’Agence France­Presse.
L’opération, qui a par ailleurs fait
des dizaines de blessés, a été lan­
cée au lendemain de la nomina­
tion d’un nouveau commandant
militaire dans la province.

A Bassora, la province pétroli­
fère du sud du pays, les manifes­
tants ont continué mercredi à
bloquer les routes menant aux
ports d’Oum Qasr et de Zoubayr,
vitaux pour l’économie du pays.
Des manifestants ont égale­
ment bloqué les principaux axes
de Kerbala au lendemain de
heurts particulièrement meur­
triers. Trois manifestants avaient
été tués, mardi, lorsque les forces
de sécurité ont ouvert le feu à bal­
les réelles pour disperser la foule,
et un quatrième est mort des sui­
tes de ses blessures, mercredi, se­
lon l’agence américaine Associa­
ted Press.
A Bagdad, les affrontements
meurtriers entre manifestants et
forces de sécurité sont quasi­
quotidiens devant le pont Al­
Ahrar, à quelques centaines de
mètres de la place Tahrir, l’épi­
centre de la contestation. Mer­
credi, deux manifestants ont été
tués et 35 autres blessés, selon
des sources officielles citées par
Associated Press.
Mardi, un manifestant avait
déjà été tué à cet endroit, alors
que les forces de sécurité font
usage de tirs à balles réelles et de
grenades lacrymogènes. Une sé­
rie d’explosions dans des quar­
tiers périphériques chiites de la
capitale irakienne, qui n’a pas été
revendiquée, avait fait six morts
et des dizaines de blessés.
hélène sallon

L’absence de
réformes crédibles
et l’ampleur
de la répression
ont durci
le mouvement
au sud

attribuée par Riyad et Washing­
ton à l’Iran. Au­delà de ces accu­
sations, cette action, qui intègre
la pression sécuritaire menée par
la République islamique contre
les alliés des Etats­Unis dans la
région, est restée sans réponse
militaire. L’Arabie saoudite s’est
découverte vulnérable et dépen­
dante d’une protection que
Washington ne lui accorderait
plus. « Une décision très résolue a
été prise à ce moment­là à la cour
saoudienne : sortir du bourbier
yéménite le plus vite possible », in­
dique une source très proche du
dossier.

« Conflits potentiels »
La mission de clore ce dossier la
tête haute a été confiée au frère
du prince héritier Mohammed
Ben Salman (MBS), le jeune
Khalid, 31 ans, ancien ambassa­
deur d’Arabie saoudite aux Etats­
Unis. Quoique critiqué pour sa
gestion calamiteuse, à Washing­
ton, des retombées immédiates
de l’affaire du meurtre du journa­
liste dissident Jamal Khashoggi à
Istanbul, en septembre 2018, il
jouit désormais d’un certain cré­
dit auprès des acteurs régionaux
et des diplomates occidentaux.
Le pays n’est cependant pas le
théâtre d’un conflit unique, et il
faut avant cela pour le prince
éteindre les guerres qui se sont
multipliées à la faveur du chaos.
Un premier succès a été enregis­
tré en ce sens lors du sommet de
Riyad, le 5 novembre, qui a mis
en scène la réconciliation entre
le gouvernement yéménite et les
séparatistes sudistes, qui
s’étaient violemment affrontés
au cours de l’été.
Le pacte a accouché d’un pro­
gramme d’intégration à marche
forcée de leurs forces armées
sous la férule saoudienne.
« C’était une étape absolument

« Les groupes
qui profitent
de l’économie
de guerre n’ont
pas intérêt à la
poursuite des
négociations »,
indique
une source

En Afghanistan,


la difficile dénonciation


des crimes pédophiles


Deux militants associatifs ayant enquêté
sur des violences sexuelles sur 130 enfants
ont subi les pressions des renseignements

F


ace au tollé suscité par des
révélations sur des prati­
ques pédophiles à grande
échelle aux portes de Kaboul, le
président afghan, Ashraf Ghani, a
fini par désavouer, mardi 26 no­
vembre, ses propres services de
renseignement. Après s’être dé­
claré « profondément perturbé par
les rapports faisant état d’abus
sexuels dans la province du Lo­
gar », il a ordonné au National Di­
rectorate of Security (NDS) d’arrê­
ter la procédure lancée contre
deux responsables associatifs
ayant mis au jour l’existence d’un
véritable réseau. Ils ont été remis
en liberté mercredi et placés sous
la protection du ministère de l’in­
térieur. Le ministère de l’éduca­
tion a été, par ailleurs, sommé
d’enquêter sur les faits dénoncés.
Deux travailleurs sociaux et mi­
litants des droits humains, Musa
Mahmudi et Ehsanullah Hamidi,
avaient été interpellés, le 21 no­
vembre, par le NDS alors qu’ils
s’apprêtaient à rencontrer, à Ka­
boul, Pierre Mayaudon, l’ambas­
sadeur de l’Union européenne à
Kaboul. Avec une collègue, ils ve­
naient exposer les éléments dé­
couverts au cours d’une enquête
menée dans leur province du Lo­
gar auprès de 500 personnes, vic­
times et témoins de ces mauvais
traitements sur enfants. Les infor­
mations ainsi colligées leur ont
permis d’établir que 130 jeunes
garçons avaient été abusés
sexuellement par un réseau
d’adultes vivant dans le Logar.

Menaces de mort
Avant de vouloir alerter des diplo­
mates étrangers, les intéressés
avaient transmis le résultat de
leur travail à deux médias inter­
nationaux et une télévision indé­
pendante afghane auxquels ils
ont assuré que « plus de 100 vidéos
[d’actes pédophiles] mises en li­
gne sur Facebook » étayaient leurs
accusations. D’après le quotidien
britannique The Guardian, des fa­
milles, blessées par cette publi­
cité, auraient réparé leur honneur
en tuant « leurs fils, dont les traits
étaient reconnaissables ». M. Ma­
hmudi a souligné le rôle actif joué
dans ce réseau par des profes­

seurs, des proviseurs et des res­
ponsables locaux.
Mardi, le NDS avait accusé M.
Mahmudi d’avoir transmis ces in­
formations « aux seules fins de fa­
briquer une histoire pour deman­
der l’asile pour lui et sa famille
dans un pays étranger ». Le NDS,
qui a qualifié sa thèse « d’alléga­
tions sans fondement », diffusait
dans la foulée un enregistrement
vidéo de M. Mahmudi, réalisé
pendant sa détention. Il y faisait
acte de contrition et déclarait que
son « enquête était inexacte, in­
complète et pas terminée ».
Selon Amnesty International, le
militant a aussi reçu des menaces
de mort de personnes l’accusant
d’avoir « déshonoré la population
du Logar ». L’ambassadeur améri­
cain à Kaboul, John Bass, s’est dit,
mardi, dans un Tweet « profondé­
ment perturbé par les tactiques de
type soviétique » des services de
renseignement afghans.
Le sort des enfants de milieux
défavorisés, en Afghanistan,
reste un sujet sensible et réguliè­
rement dénoncé par les organi­
sations internationales. Le tra­
vail forcé et les abus sexuels dont
ils font l’objet ne se limitent pas à
la seule province du Logar. Ce
pays n’a introduit qu’en 2017 des
dispositions pénales criminali­
sant la violence sexuelle envers
les mineurs. Certaines pratiques,
comme le bacha bazi, qui con­
siste, pour l’entourage de chefs
de police ou de milices locales, à
entretenir des garçons prépubè­
res, parfois maquillés et traves­
tis, pour en faire des danseurs et
des esclaves sexuels, ont encore
la vie dure.
jacques follorou

Le sort des
enfants de milieux
défavorisés
afghans
est souvent
dénoncé par
les organisations
internationales

É TATS - U N I S
Trump signe la loi
en faveur de Hongkong
Pékin a réagi avec colère,
jeudi 28 novembre, à la pro­
mulgation par le président
américain, Donald Trump,
d’une loi soutenant les ma­
nifestations prodémocratie à
Hongkong, qualifiant ce
texte « d’abomination abso­
lue ». Le texte, approuvé la
semaine dernière par le Con­
grès et promulgué, mercredi,
par M. Trump, menace de
suspendre le statut écono­
mique spécial, accordé par
Washington à l’ancienne co­
lonie britannique, si les
droits des manifestants ne
sont pas respectés. – (AFP.)

Accusations contre
l’ambassadeur
américain auprès de l’UE
Trois femmes accusent l’am­
bassadeur américain auprès
de l’Union européenne, Gor­
don Sondland, d’avoir eu des
comportements sexuels
inappropriés envers elles,
dans un article publié mer­
credi 27 novembre. Les trois
femmes rapportent avoir
subi des représailles après
avoir repoussé ce riche
homme d’affaires, nommé

ambassadeur à la suite d’un
don de 1 million de dollars à
la cérémonie d’investiture de
Donald Trump. « Ces fausses
allégations sur des attouche­
ments et des baisers con­
traints sont fabriquées et
coordonnées pour des moti­
vations politiques », a réagi le
diplomate cité dans l’en­
quête publiée par le site Pro­
publica et par le Portland
Monthly. – (AFP.)

B A N G L A D E S H
Sept terroristes
islamistes condamnés
à la pendaison
Sept terroristes ont été con­
damnés, mercredi 27 novem­
bre, à la mort par pendaison
pour l’attaque, en juillet 2016,
d’un café de Dacca, au cours
de laquelle 22 personnes, dont
18 étrangers, avaient été
tuées. De jeunes hommes, ar­
més de fusils d’assaut et de
machettes, avaient pris d’as­
saut l’établissement fréquenté
par des étrangers. Après une
opération de dix heures, les
forces de l’ordre avaient libéré
une vingtaine d’otages. Neuf
Italiens et sept Japonais figu­
raient parmi les 18 étrangers
tués. Deux policiers avaient
également été tués. – (AFP.)
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