Le Monde - 29.11.2019

(Martin Jones) #1
0123
VENDREDI 29 NOVEMBRE 2019 france| 9

Q


ui a dit que le gouver­
nement négligeait les
corps intermédiai­
res? A une semaine
de la mobilisation du
5 décembre, Edouard Philippe a
cherché, mercredi 27 novembre, à
apaiser les craintes et les doutes
suscités par la réforme des retrai­
tes en câlinant les partenaires so­
ciaux. Pas d’annonces nouvelles
mais des esquisses de concession,
pour la plupart déjà connues. Le
patronat a apprécié cet état d’es­
prit ; les syndicats, eux, oscillent
entre appréhensions et hostilité.
Pour prouver qu’il tient compte
de l’avis de ses interlocuteurs,
M. Philippe a passé en revue les
préoccupations de trois organisa­
tions patronales et de trois confé­
dérations de salariés, en laissant
entendre que des compromis sont
à portée de main sur certaines des
thématiques qu’elles portent : les
droits familiaux pour la CFTC, la
question de l’emploi des seniors et
de la pénibilité pour la CFDT, les
« garanties » à accorder aux ensei­
gnants – un sujet cher à l’UNSA. Le

premier ministre a également
souhaité à répondre aux « inquié­
tudes » des professions libérales :
« Des propositions sont sur la table,
nous continuerons à y travailler. »
En signe, là encore, d’ouverture,
le chef du gouvernement a entre­
bâillé la porte à des transitions
plus longues pour l’entrée en vi­
gueur des nouvelles règles, no­
tamment en ce qui concerne les
salariés des régimes spéciaux. La
première génération concernée
pourrait ne plus être celle née
en 1963, mais après. Il a, toutefois,
tenu à couper court à une autre
piste, celle de la « clause du grand­
père », qui consisterait à n’appli­

quer la réforme qu’aux nouveaux
entrants sur le marché du travail.
Enfin, le locataire de Matignon
a manié fermeté et conciliation
sur les données financières du
problème. Alors que le système
pourrait accuser un déficit com­
pris entre 7,9 milliards et 17,2 mil­
liards d’euros en 2025, M. Phi­
lippe a réaffirmé sa volonté de le
« remettre à l’équilibre » – mais
sans évoquer de date ; jusqu’à
maintenant, l’objectif affiché
était d’assainir les comptes
en 2025. Pour ramener les régi­
mes sur la ligne de flottaison,
« nous devrons progressivement
travailler plus longtemps », a­t­il
poursuivi, mais sans détailler
comment.

En dépit de cette zone de flou, le
patronat est satisfait. « C’est bien
qu’il ait rappelé la nécessité de tra­
vailler plus longtemps, souligne­
t­on au Medef. Si une mesure d’âge
est prise, on sera au rendez­vous sur
l’emploi des seniors. » Le premier
ministre « n’a pas vraiment révélé
de choses nouvelles mais il a con­
firmé sa détermination à moderni­
ser le système pour donner un
avantage compétitif à la France »,
complète Eric Chevée, de la Confé­
dération des petites et moyennes
entreprises. Président de l’Union
nationale des professions libéra­
les, Michel Picon se montre plus
réservé : « Rien de bien nouveau,
confie­t­il. Le projet tel que nous le
connaissons est confirmé, avec une

volonté affirmée de trouver dans le
temps les aménagements nécessai­
res à son acceptation. »

« Pas appris grand-chose »
Du côté des syndicats, en revan­
che, la tonalité est nettement
moins positive. Frédéric Sève, le
monsieur retraites de la CFDT, es­
time ne pas être beaucoup plus
avancé qu’auparavant. « Je n’ai pas
appris grand­chose. Ce qui est évo­
qué correspond à ce que proposait
en mai M. Delevoye [le haut­com­
missaire en charge du dossier] et
est toujours en deçà de ce que l’on
attend. » « Tout ça pour ça? », s’in­
terroge Régis Mezzasalma (CGT) :
le premier ministre s’est, certes,
montré à l’écoute sur la question

« C’EST BIEN QUE 


LE PREMIER MINISTRE 


AIT RAPPELÉ LA 


NÉCESSITÉ DE TRAVAILLER 


PLUS LONGTEMPS », 


SOULIGNE­T­ON AU MEDEF


Les syndicats, entre appréhension et hostilité


Si la CFDT, la CGT, FO et la CFTC campent sur leurs positions, le patronat apprécie la fermeté affichée par M. Philippe


des transitions mais « il est resté
ferme sur le reste ». C’était un sim­
ple « exercice de communication
politique », enchaîne Yves Veyrier,
le numéro un de FO : les « quelques
éléments de souplesse » mis en
avant par M. Philippe « ont voca­
tion à éviter que les mobilisations
du 5 décembre ne prennent trop
d’ampleur ». « Je n’ai pas été rassuré
par [ses] déclarations », renchérit
Cyril Chabanier, le président de la
CFTC, pour qui la menace de mesu­
res d’économies de court terme
plane toujours. Comme le résume
Laurent Escure, le secrétaire géné­
ral de l’UNSA, « la vérité des prix, on
l’aura après le 5 décembre ».
raphaëlle besse desmoulières
et bertrand bissuel

La main tendue


de l’exécutif laisse


les cheminots de marbre


Le préavis de grève des trois principaux
syndicats a été envoyé mercredi

A


vis aux usagers de la
SNCF : la grève des chemi­
nots commencera non
pas le jeudi 5 décembre 2019 mais
la veille, mercredi 4 décembre à
19 heures. C’est ce que précise le
préavis de grève « illimitée et recon­
ductible par périodes de vingt­qua­
tre heures » envoyé mercredi
27 novembre à la direction de la
SNCF par les trois premiers syndi­
cats représentatifs du groupe pu­
blic ferroviaire unis pour l’occa­
sion : la CGT, l’UNSA et SUD.
La grande paralysie des trains
devrait donc bien avoir lieu. Les
inflexions, ce même 27 novembre,
du premier ministre, Edouard Phi­
lippe, et de son secrétaire d’Etat
aux transports, Jean­Baptiste
Djebbari, n’ont pas entamé la dé­
termination des organisations
syndicales. « Il y a bien un infléchis­
sement du discours, remarque Flo­
rent Monteilhet, secrétaire géné­
ral adjoint de l’UNSA Ferroviaire.
Mais ce n’est certainement pas suf­
fisant pour annuler l’action du 5 dé­
cembre. » La direction de la SNCF a
la conviction que la grève va dé­
marrer fort puisqu’elle a décidé de
geler toutes les réservations sur
les TGV Inoui, Ouigo et les trains
Intercités les 5, 6, 7 et 8 décembre.
M. Philipe avait laissé entendre
qu’il envisageait de discuter avec
les organisations syndicales d’un
décalage dans le temps de l’appli­
cation de la réforme des retraites
pour certaines catégories qui
pourraient justement être les che­
minots ou les agents de la RATP. De
son côté, M. Djebbari a rencontré
les salariés SNCF en compagnie du
nouveau patron du groupe, Jean­
Pierre Farandou, à la gare Saint­La­
zare à Paris, puis à Asnières.
A l’instar du premier ministre, le
secrétaire d’Etat aux transports a
confirmé que la discussion était
ouverte pour trouver un juste mi­
lieu entre ceux qui pensent que la
réforme doit s’appliquer à tous, et
ceux qui disent qu’elle ne doit con­

cerner que les nouveaux entrants.
« Sur des sujets, on continue à bos­
ser, et notamment la fameuse
“clause du grand­père” », a­t­il
poursuivi, estimant qu’on pour­
rait « converger vers un temps de
transition assez long » pour respec­
ter le « contrat moral passé avec les
gens qui sont entrés à la SNCF » :
« Ce n’est pas tout à fait pareil d’être
entré [à la SNCF] il y a deux ans et
d’y être entré il y a vingt ans. »

« On a le temps »
A huit jours du 5 décembre,
M. Djebbari a lui aussi estimé que
l’exécutif voulait continuer à dis­
cuter de certains points afin de
sauver la réforme. « On a besoin de
faire une réforme des retraites (...),
mais je pense qu’on a le temps de
faire la réforme, a affirmé Jean­
Baptiste Djebbari. L’essentiel glo­
balement, c’est qu’à la fin, les che­
minots aient des bonnes garan­
ties, que la SNCF soit debout et mo­
tivée pour la suite et (...) qu’on
retrouve un peu un esprit de con­
quête collectif. »
Malgré ces déclarations, même
la CFDT, qui a, de son côté, elle
aussi déposé le 27 novembre un
préavis de grève reconductible, n’a
pas semblé définitivement con­
vaincue. « Nous engageons le gou­
vernement à clarifier sa position
dans les jours qui viennent », a dé­
claré Sébastien Mariani, secrétaire
général adjoint de la CFDT chemi­
nots, déplorant que le premier mi­
nistre, Edouard Philippe, « souffle
le chaud et le froid ».
La CFDT, quatrième syndicat re­
présentatif de la SNCF très pré­
sent chez les conducteurs, hésite
en effet encore à lever sa menace
de grève. « Edouard Philippe a été
bien trop ambigu et le renonce­
ment à la “clause du grand­père”
est une déception, note un leader
du syndicat réformiste. Il y a dé­
sormais neuf chances sur dix que
nous allions au conflit. »
éric béziat
Free download pdf