Libération - 25.11.2019

(Michael S) #1

S


elon Valérie Chansi-
gaud, historienne de
l’environnement et au-
teure des Combats pour la
nature : de la protection de la
nature au progrès social
(éd. Buchet Chastel), l’écolo-
gie implique une remise en
question radicale de notre
système social dont la gau-
che peut se saisir.
Depuis quand les ques-
tions environnementale et
sociale sont-elles liées?
La référence à la nature qu’il
faut respecter, avec ses limi-
tes, est omniprésente dans la
pensée occidentale depuis
plus de deux siècles. Par
­contre, l’idée d’un projet qui
permet de concilier ça avec
un minimum de décence so-
ciale apparaît à partir de la se-
conde partie du XIXe siècle.
Les anarchistes en particulier
sont à l’avant-garde de cette
réflexion : ils pensent en ma-
tière d’ancrage des peuples
dans leur territoire. Ils ne re-
jettent pas le progrès techni-
que mais y associent toujours
une critique, expliquent que
ça peut être destructeur pour
la nature et le modèle social.
A la fin du XIXe, quelqu’un
comme Henry George, un so-
cialiste américain, a par
exemple réfléchi de façon très
pragmatique à comment
­concilier progrès et justice so-
ciale, comment éviter que les
appétits égoïstes ne détrui-
sent les ressources naturelles.
Ce sont des gens qui perçoi-
vent l’épuisement des res-
sources et l’essor des inégali-
tés sociales malgré les progrès
industriels et économiques.
Et plus récemment?
A partir des années 60,
quand les mouvements éco-
logistes se structurent, c’est
assez clair aussi. Des gens
comme René Dumont lient
clairement l’environnement
et les questions de dévelop-
pement, de pauvreté.
Qu’est-ce que l’écologie po-
pulaire?
C’est une bonne question! Le
terme est assez nouveau. Cela

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presente par elisabeth quin
du lundi au jeudi a 20h05 sur

cune des familles pense présenter un candidat
à la présidentielle. Mais c’est impossible,
sinon, c’est la catastrophe. Il peut y avoir
deux candidats maximum, dit-il dans un
premier temps. Tout se jouera autour de
la candidature écologique, c’est ça le nou-
veau monde de la gauche. Et contraire-
ment aux municipales, les régionales
[de 2021] seront le vrai test car on sera dans
autant de petites présidentielles. A ce mo-
ment, on verra si les différentes familles
sont prêtes à s’entendre.»
La situation est étrange. Les gauches se di-
visent et se cognent dessus lorsque les
élections nationales approchent. Chacun
marque son territoire, sort ses muscles, et
tout le monde perd à la fin. Mais entre-
temps, elles se posent facilement autour
de la table pour mener des combats main
dans la main. Des exemples? Communis-
tes, socialistes et insoumis défendent très
souvent les mêmes textes à l’Assemblée
nationale, ils mènent la lutte contre la pri-
vatisation d’Aéroports de Paris et le 5 dé-
cembre ils se retrouveront dans la rue
pour s’opposer à la politique du gouverne-
ment. Mieux : ils ont tous répondu favora-
blement à l’invitation du chef des commu-
nistes, Fabien Roussel, pour participer, le
11 décembre, à un grand meeting contre
la réforme des retraites. Et non pour for-
muler des réponses communes. Une si-
tuation qui fait marrer Roussel le «biolche-
vique». En septembre, dans les travées de
la Fête de l’Humanité, il confiait : «La gau-
che, qu’elle soit rouge verte ou rose, est tou-
jours soudée dans l’opposition, mais à cha-
que fois que l’on souhaite construire
quelque chose de positif avec des proposi-
tions, ça part en cacahuète.»
Une dernière mode : convoquer des fo-
rums pour parler de l’union (ou pas) de
l’écologie et du social. Samedi, à la Sor-
bonne, le site d’information Le vent se lève
a organisé une journée de conférence
consacrée à la construction d’une «écolo-
gie populaire». Le dernier débat de la jour-
née a offert un échange musclé entre l’in-
soumis Adrien Quatennens et l’ancienne
socialiste Delphine Batho. Question de
départ : «L’urgence climatique peut-elle
unir les forces de changement ?» L’an-
cienne ministre et présidente de Généra-
tion écologie n’est pas du genre à prendre
des pincettes : elle ne fait plus «confiance»
aux partis de gauche qui cherchent, selon
elle, à surfer sur l’écologie pour se refaire
la cerise. «Une diversion pour construire
une union de gauche à l’ancienne.» Per-
sonne ne trouve grâce à ses yeux : ni le PS
ni Mélenchon.

tenter une synthèse
A ses côtés, le grand roux Quatennens a vu
rouge : «Je m’étonne de voir que tu cherches
presque à davantage diviser que nous
unir.» Le député insoumis a gardé le micro
de longues minutes pour tenter de
­convaincre la députée des Deux-Sèvres. Il
était à deux doigts de se lever, la main sur
le cœur, pour clamer la sincérité de sa fa-
mille politique : l’écologie est au cœur du
programme des insoumis et il souhaite
rompre avec modèle «productiviste» ac-
tuel. Au milieu, la députée européenne
écolo Marie Toussaint a eu du mal à se
faire entendre. Mais elle a tenté une syn-
thèse : «Ce qu’a dit Delphine et ce que tu dis,
Adrien, relèvent des points communs. Et
c’est ça qui est important.» Les concernés
regardaient ailleurs. A la fin du débat, une
jeune femme a reposé la question : «Est-ce
qu’il y a une chance que la gauche et les éco-
logistes se rassemblent ?» Après la houleuse
explication entre politiques, elle a eu droit
à une standing-ovation. Du public.•

Les gauches ont un problème
pour mobiliser les électeurs.
Toute la question, c’est d’ar-
river à trouver une nouvelle
dynamique. Qui pourrait
être l’écologie. Il y a une di-
mension de classes dans tou-
tes les crises environnemen-
tales, donc c’est une question
pertinente.
L’inquiétude des classes
populaires au sujet de­­
l’environnement peut-
elle se transformer en
­mobilisation
c o m m e c e r -
tains l’ima­-
ginent à gau-
che?
Repenser une
idéologie poli-
tique autour de
ça : oui. Dé-
c o n s t r u i r e
l’idée selon la-
quelle l’écolo-
gie est tellement importante
qu’elle n’est ni de droite ni de
gauche : oui. Assumer que
l’écologie doit se penser
comme une remise en cause
radicale du système social et
politique : oui. Mais convain-
cre les électeurs d’adhérer,
c’est autre chose.
Recueilli par
Charlotte Belaich

part d’un constat : l’écologie
est plutôt l’apanage des clas-
ses privilégiées. Il y a quelque
chose de relativement élitiste
dans notre vision d’un monde
responsable d’un point de
vue environnemental. Quand
on a des revenus importants,
on peut faire beaucoup plus
de choix pour ce qui est de
l’alimentation, des trans-
ports... Pourtant, ce sont les
classes populaires qui sont le
plus exposées aux polluants
par exemple.
La question de
la pollution est
i n t i m e m e n t
liée à la posi-
tion sociale.
Etre maltraité
s o c i a l e m e n t
c’est aussi être
maltraité d’un
point de vue
e n v i r o n n e -
mental. Une écologie dite po-
pulaire vient donc résoudre
les problèmes de gens qui se
trouvent en bas de la pyra-
mide sociale. L’idée, c’est de
faire un programme écolo-
giste qui tient compte des be-
soins des classes les moins
fortunés.
La gauche peut-elle porter
cette ambition?

Georges Seguin. CC
Interview

«Il y a une dimension


de classes dans les crises


environnementales»


Pour l’historienne
Valérie Chansigaud,
les responsables
politiques négligent
trop souvent
l’aspect social dans
leurs décisions
pour lutter contre
le réchauffement.

couleurs se mélangent (déjà) dans certaines
villes, à l’image de Besançon et de Cler-
mont-Ferrand. Des discussions se pour-
suivent ailleurs. Le travail est encore long.
Pas facile d’écrire une histoire commune
lorsque les (quelques) divergences de fond
se mêlent aux rancœurs du passé et aux
ego toujours présents. Une chose est cer-
taine : tout le monde sait compter et la pré-
sidentielle reste l’objectif prioritaire. Une
multiplication de candidatures élimine-
rait la gauche. Peu importe qu’elles soient
rouge, verte ou un peu des deux.


Grands rêveurs
Le temps presse et file à grande vitesse.
Depuis les européennes, les écolos ont le
jeu de cartes entre les mains. Ils souhai-
tent que le monde tourne autour d’eux et
imposent leurs conditions : terminé la col-
lection de logos sous une affiche et les ac-
cords sur un bout de table. Yannick Jadot :
«L’écologie défriche depuis longtemps et
trace aujourd’hui la route. C’est la solida-
rité, le climat, le vivant, qui donnent la di-
rection. Nous sommes prêts à travailler
avec tous ceux qui partagent nos combats.»
Le député européen a évolué. Il suffit de
se replonger dans les archives récentes. Au
printemps, il ne voulait plus entendre par-
ler de la «vieille gauche» et François Ruffin
était rangé dans le camp des «dangereux».
Cet automne, il se dit prêt à travailler avec
tout le monde et «compatible» avec le dé-
puté de la Somme. On a hâte d’être à la
prochaine étape.
La transformation concerne également
Jean-Luc Mélenchon. L’écologie et le so-
cial cohabitent depuis des années dans
son programme, «l’Avenir en commun».
Le patron des insoumis a longtemps ima-
giné rassembler toutes les galaxies de la
gauche autour de La France insoumise
(LFI) : il a tenté de vendre à plusieurs repri-
ses une «fédération populaire». Le hic : la
dernière présidentielle paraît très loin-
taine. Le tribun a perdu la main après la
séquence judiciaire et les mauvais scores
des euro­péennes. LFI entend toujours «fé-
dérer le peuple», mais elle n’est plus en ca-
pacité de le faire toute seule. Cet été,
comme tout le monde, l’insoumis en chef
a fait des sourires aux écolos. Un change-
ment de pied. Mélenchon se rassure à sa
manière en observant le paysage et les
sondages. Le député des Bouches-du-
Rhône reste persuadé qu’il demeure le
meilleur candidat pour 2022. Mais il a de
l’expérience et sait que les dynamiques
évoluent au fil des saisons.
On ne veut pas mentir au peuple : à l’heure
actuelle, la réunification de toutes les gau-
ches derrière un postulant à l’Elysée est
un songe. Certains grands rêveurs, comme
Raphaël Glucksmann, l’imaginent. Un
vieux routier (socialiste) tente de dessiner
le futur : «Actuellement, il y a trois familles
à gauche : les socialistes, les insoumis et les
écologistes. Après, il y a d’autres petites
chapelles qui gravitent autour d’elles. Cha-


«La gauche, qu’elle soit


rouge verte ou rose, est


toujours soudée dans
l’opposition mais

dès que l’on souhaite


construire du positif


avec des propositions,


ça part en cacahuète.»
Fabien Roussel patron du PCF

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