Libération - 25.11.2019

(Michael S) #1
de l’argent», abonde l’actrice Eva Darlan, très
engagée dans la lutte contre les violences
conjugales. Et très remontée contre l’exécutif :
«Ce Grenelle, c’est de l’esbroufe. Ça fait des an-
nées que les associations savent ce qu’il faut
faire. Mais pour cela, il faut débloquer du bud-
get», appuie-t-elle.

Musique d’Angèle et de Beyoncé
Dans le cortège, les pancartes ne disaient pas
autre chose. A plusieurs reprises, la foule
scande : «Un milliard, pas des bobards.» Avec
sa pancarte «J’accuse», Esther, étudiante gre-
nobloise de 23 ans, est venue «dénoncer l’im-
punité des agresseurs, peu importe leur sta-
tut». Camille, 24 ans, équipée d’un carton qui
scande «manif pour touffes», salue quant à
elle cette «occupation de l’espace public par
les femmes». A seulement 15 ans, Marion, ve-
nue d’Orléans, en est à sa deuxième manifes-
tation ­contre les violences sexistes. A la main,
elle tient ce terrible panneau : «Dans douze fé-
minicides, c’est Noël.»
Partie de la place de l’Opéra en début d’après-
midi, la manifestation, intergénérationnelle,
a rallié celle de la Nation, en passant par la
place de la République, au son de Stronger de
Britney Spears, de Balance ton quoi d’Angèle,
et de Beyoncé. Le président de la République,
Emmanuel Macron, a réagi à la mobilisation
dans un tweet : «J’adresse mon soutien à cha-
que femme qui a vécu des violences sexistes ou
sexuelles. Comptez sur moi pour poursuivre
la mobilisation du gouvernement et de la Na-
tion entière dans cette grande cause. Besoin de
l’engagement de chacun(e) pour #NeRienLais-
serPasser.»
Loin du groupe de personnalités (les actrices
Laetitia Casta, Alexandra Lamy, Julie Gayet,
les deux anciennes ministres des Droits des
femmes Laurence Rossignol et Najat Vallaud-
Belkacem...), l’actrice Adèle Haenel s’est mê-
lée à la foule. En chemin, peut-être a-t-elle vu
les nombreux messages de gratitude qui lui
étaient destinés, saluant unanimement sa
prise de parole, début novembre dans Media-
part, pour dénoncer le harcèlement et les
agressions sexuels dont elle a été victime lors-
qu’elle n’était qu’une adolescente sur un tour-
nage. Régulièrement, on surprend son nom
dans la bouche des participants. Et parfois sur
des cartons de guingois. A côté d’un petit
cœur ou d’un simple «merci».•

cousine : «Il n’y aura pas de procès du meur-
trier, vu qu’il est mort. Ce combat, c’est mon
chemin pour faire reconnaître la souffrance
des familles», affirme-t-elle.
«Le gouvernement va devoir être à la hauteur
de cette mobilisation sans précédent dans la
société», martèle Caroline De Haas, membre
du collectif #NousToutes, qui réclame notam-
ment qu’un milliard d’euros soient mis sur la
table pour lutter contre les violences, et que
soient annoncées des mesures en matière de
prévention et de formation : «Actuellement,
on traite les violences après qu’elles ont eu lieu.
Un peu comme si, en matière de sécurité rou-
tière, on ne traitait que les accidentés de la
route, sans action en amont. Il faut un change-
ment de cap», exhorte-t-elle. «Il faut bien plus
qu’une prise de conscience : il faut des actes et

le déplacement, pour qu’on ne les «oublie
pas». Sandrine Bouchait, présidente de
l’Union nationale des familles de féminicides
(UNFF), a perdu sa sœur il a deux ans.
A 34 ans, Guylaine a été immolée par le feu au
Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine) par son
compagnon, qui ne supportait pas la sépara-
tion, sous les yeux de sa fille de 7 ans. «Depuis
le début du Grenelle, on n’a entendu aucune
mesure pour accompagner les familles, comme
du suivi psychologique par exemple». Face à
ce «mépris» du gouvernement, elle et les
membres de son association ont envie de cla-
mer : «On est là.»


Plainte pour non-assistance
«On vous annonce la fin du monde, et on vous
laisse là, sans aucune cellule psychologique»,


Montrer que la majorité est mobilisée.
Qu’elle a entendu la colère manifestée
samedi par plusieurs dizaines de milliers
de personnes à Paris et dans le reste de
la France. C’est en substance le message
envoyé tous azimuts, alors que le
Grenelle des violences conjugales prend
fin lundi et que sont attendues des
propositions concrètes du
gouvernement. Dans une tribune parue
dans le Journal du dimanche, les
députés LREM Bérangère Couillard
(Gironde) et Guillaume Gouffier-Cha
(Val-de-Marne) présentent une
proposition de loi pour lutter contre
ces violences faites aux femmes.
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Samedi, à Paris.
Le collectif #NousToutes
réclame notamment
qu’un milliard d’euros
soient mis sur la table
pour lutter contre
les violences.

abonde Isabelle Seva-Boismoreau, elle aussi
membre de l’UNFF. En mars, sa cousine Sté-
phanie, institutrice de 39 ans, a été égorgée
à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire). Isabelle Se-
va-Boismoreau décrit un scénario tristement
répétitif dans les affaires de féminicides,
comme en attestent les données recueillies
par Libération depuis janvier 2017 : sa cousine
a voulu se séparer, il ne l’a pas supporté, la
«traquant pendant des mois». Il a fini par la
tuer avant de se suicider. «Elle avait déposé
des mains courantes, elle avait alerté les poli-
ciers, qui n’avaient pas voulu se déplacer “pour
une querelle d’amoureux”...» assure Isabelle
Seva-Boismoreau. Depuis, le père de la vic-
time a porté plainte contre les forces de l’or-
dre pour non-assistance à personne en dan-
ger, et Isabelle, elle, se bat en mémoire de sa

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