Libération - 25.11.2019

(Michael S) #1
sais-je? sur le véganisme (avec
­Valéry Giroux) et végan lui-même.
«Pour les pragmatiques, marqués
par la pensée utilitariste de Peter
Singer ou par le Be lge Tobias Lee­-
naert, peu importe qu’il y ait 2 % de
végans supplémentaires dans dix
ans : leur progression ne sera ­jamais
assez forte ni rapide pour changer le
monde, explique le professeur de lit-
térature française à l’université de
Californie à Santa Barbara. La prio-
rité, pour eux, c’est que 80 % des car-
nivores réduisent leur consomma-
tion moyenne : il faut donc miser sur
les substituts à la viande et les dis-
cours “sympas” et déculpabilisants
sur YouTube. Cette vision consé-
quentialiste irrite les “puristes” qui
veulent convertir tout le monde à une
approche totale, fondée sur la cons-
cience que manger de la viande re-
pose sur un “meurtre” (2).»
Dans son livre l’Humanité carni-
vore, Florence Burgat rappelle que
même les Aztèques ont réussi à sub-
stituer des offrandes végétales à
leurs sacrifices humains. Mais,
comme le dit bien la philosophe,
cette chair de laboratoire, sans his-
toire, sans animal, hors champ et
hors éleveur, sera-t-elle enfin dé-
barrassée de tout ce qui nous gêne
–souffrance animale comprise – ou
de tout ce qui nous attire ?•

(1) Auteur de Clean Meat, aux éditions
Luc Pire (mars).
(2) Tobias Leenaert est l’auteur de How
to Create a Vegan World : a Pragmatic
Approach (Lantern Press, 2017).
A lire aussi : «Carnivorisme éthique»,
les Cahiers antispécistes n°42, mai, et
«Clean Meat, l’avenir de la viande ?»,
Alternatives végétariennes, n°133,
­automne 2018.

­reconnaît Brigitte Gothière de L214,
mais il faut voir la réalité en face.
Personne ne veut changer ses habitu-
des? Très bien! Ne changeons rien
avec la viande cellulaire... tout en
changeant tout en matière d’impact
pour les animaux.» Au sein du mou-
vement végan, le clivage sur la ques-
tion oppose les végétariens pragma-
tiques aux «puristes», selon
Renan Larue, coauteur du Que

fausse fourrure contribuerait à nor-
maliser le fait de porter quelque
chose qui ressemble à de la peau ani-
male. [...] La culture gastronomique
végane aurait tout avantage à
­inventer ses propres références»,
écrit Elodie Vieille Blanchard dans
Alternatives végétariennes, à l’au-
tomne 2018.
«Moi aussi, je préférerais qu’on se
contente de tofu et de lentilles,

substituts à la viande, cette obses-
sion de faire «comme si» et d’inven-
ter des produits qui se rapprochent
le plus possible du goût et de l’appa-
rence de la barbaque, n’est-ce pas,
finalement, reconnaître et renforcer
le rôle central de la carne dans nos
vies? Pour de nombreux végans, «la
consommation de “fausse viande”
entretiendrait une dépendance cul-
turelle à la viande, tout comme la

Idées/


«Nous regardons


plutôt


positivement


cette innovation
[la viande in vitro].

Il y a urgence,


les associations


animalistes ont


échoué à amener
les gens à réduire

leur


consommation


de viande.»


Brigitte Gothière
cofondatrice de L214

trie alimen-
taire succèdent les start-up et les
milliardaires média­tiques comme
Sergey Brin, cofondateur de Goo-
gle, qui a financé sur ses fonds pro-
pres les recherches de Mark Post.
«Les fondations amé­ricaines s’occu-
pent de la propagande... parfois
avec l’aide des défenseurs des ani-
maux», attaque Jocelyne Porcher,
à couteaux tirés avec les militants
végans qu’elle a accusés d’être les
«idiots utiles du capitalisme» dans
une tribune parue en 2018 dans
Libé, cosignée avec Frédéric Den-
hez et Paul Ariès.
Pour elle, en dénonçant sans relâ-
che non seulement les conditions
d’élevage et d’abattage mais aussi
l’idée même de manger des ani-
maux, ces militants prépareraient
l’esprit des consommateurs à se ré-
soudre à la viande cellulaire. «Paul
Shapiro (1) ou Peter Singer [l’auteur
du livre culte Libération animale,
paru en 1975, lire sa tribune pour
Libé, ndlr] ont commencé comme
théo­riciens des droits des animaux.
Ils ­finissent tous deux membres de la
Cellular Agriculture Society [une as-
sociation à but non lucratif ], en
bons petits soldats des start-up! ana-
lyse Jocelyne Porcher. L’association
Peta soutient sans ambiguïté la
viande cellulaire. Et, en 2017, l’asso-
ciation française L214 a reçu plus
d’un million d’euros d’une fondation
américaine qui finance aussi les
tests in vitro.»
Ce don de la société américaine
Open Philanthropy Project (OPP),
qui finance aussi de multiples pro-
jets pour l’intelligence artificielle,
apparaît de manière tout à fait
transparente dans les comptes an-
nuels de l’association (lire l’article
de CheckNews). «La viande de cul-
ture n’est pas notre priorité, nous
avons bien d’autres combats à me-
ner, explique Brigitte Gothière, la
cofondatrice de L214. Mais nous re-
gardons plutôt positivement cette
innovation. Il y a urgence, les asso-
ciations animalistes ou écolo­gistes
ont échoué à amener les gens à ré-
duire drastiquement leur consom-
mation de viande. Il faut trouver
d’autres solutions.»


Discours sympas
et déculpabilisants
Pourtant, tous les végans ne voient
pas d’un bon œil le bouleversement
technologique et éthique de la
viande cellulaire. «On assiste à une
polarisation autour de cette ques-
tion dans le mouvement antispé-
ciste», expliquait Axelle Playoust-
Braure, coorganisatrice des
Estivales de la question animale, cet
été à Libé. Car ces tentatives hyper-
technologiques pour trouver des


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24 u Libération Lundi^25 Novembre 2019

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