II u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Lundi^25 Novembre 2019
Par
Sibylle Vincendon
Envoyée spéciale à Figeac
Photo Marc Chaumeil
usine et
territoire
Les jeunes
au cœur de
la machine
occitane
Malgré une image souvent négative,
l’industrie en pleine ascension veut séduire.
A Figeac, dans la Mecanic Vallée spécialisée
notamment en aéronautique, les besoins sont
nombreux et les entreprises se renouvellent
pour attirer les jeunes diplômés.
L
éa Leblond, 18 ans, élève
de l’IUT de Figeac (Lot)
en filière «génie méca-
nique et productique»
(GMP), raconte : «Quand j’ai dit à
ma mère que je voulais travailler
dans l’industrie, elle m’a fait les gros
yeux.» On voit bien la scène : ma fille
à l’usine? «Je l’ai rassurée en disant
que, quoi qu’il arrive, j’aurais tou-
jours du travail.» Léa sait bien qu’il
n’y a pas que ses parents à évangéli-
ser : «L’image qu’on a de l’industrie,
c’est complètement dépassé. On
pense toujours à la révolution indus-
trielle mais c’est fini tout ça. J’ai vi-
sité la verrerie d’Albi, c’était clean,
propre, impeccable.»
Difficulté à recruter
Et puisqu’on en est à balayer les
idées reçues, que pense-t-elle sur
cet univers très masculin? Elle
répond que ça ne lui «fait pas peur».
A l’IUT de Figeac, sur les 45 étu-
diants de première année en génie
mécanique et productique, il n’y a
que huit filles. Au lycée de Carmaux
(Tarn), où Léa a passé un bac S
«sciences de l’ingénieur» et où
elle était «forte en techno», elles
n’étaient pas majoritaires non plus
à aimer découvrir «SolidWorks, un
logiciel de conception 3D» et à vou-
loir poursuivre dans cette voie.
Comme tous ici, Léa sait qu’avec le
diplôme universitaire de technolo-
gie que délivre l’IUT de Figeac, soit
un bac + 2, on trouve du travail sans
problème. Mais elle ne veut pas s’ar-
rêter là. «Je pense faire ensuite une
licence professionnelle.» Elle n’est
pas la seule dans son cas. «A l’IUT,
95 % de nos étudiants poursuivent
leurs études, et le font parfois dans
d’autres régions. Ce n’est pas quelque
chose qu’on va parvenir à changer»,
reconnaît Xavier Pumin, le direc-
teur de l’IUT, ajoutant que «le pas-
sage prochain d’un DUT à un bache-
lor en trois ans va peut-être modifier
la donne». Mais que les étudiants ne
veuillent pas se contenter d’un
bac + 2 est peut-être un bon signe :
un taux de réussite de 85 % comme
celui de l’IUT de Figeac peut donner
aux élèves l’envie de pousser plus
loin et, éventuellement de quitter
leur région. Problème : si cet orga-
nisme d’enseignement a été créé
en 1995 dans cette petite ville de
10 000 habitants, c’était aussi pour
répondre aux besoins de l’industrie
locale. Certes, «nous ne sommes pas
tenus de coller aux besoins du terri-
toire et beaucoup de mes collègues
vous diront que nous ne sommes pas
au service des entreprises, explique
Xavier Pumin. Mais si les IUT sont
implantés dans un territoire, c’est
bien pour avoir des liens avec lui».
Le territoire industriel ici, c’est
l’aéronautique, ses équipementiers,
systémiers, cotraitants et sous-trai-
tants (lire page IV). La Mecanic Val-
lée est un cluster de 213 entreprises,
qui part de Brive-la-Gaillarde (Cor-
rèze), va d’Aurillac (Cantal) à Rodez
(Aveyron) en passant par Figeac
(Lot), auquel ont adhéré des poids
lourds comme Collins Aerospace-
Ratier, Figeac Aéro ou Bosch mais
aussi quantité de PME. Tous parta-
gent le même problème : la diffi-
culté à recruter.
«Le taux de chômage sur le bassin
d’emploi de Figeac est de 5 %», expli-
que Philippe Atrous, directeur des
ressources humaines dans l’unité
Propeller Systems de Collins Aero-
space, leader dans les hélices pour
avions de transport commerciaux
et avions militaires. Autrefois
connue sous le nom de Ratier (pa-
tronyme du fondateur) et encore
appelée ainsi dans toutes les
conversations locales, cette entre-
prise qui emploie plus de 1 250 per-
sonnes est de celles où l’on reste :
2 % de turnover et une ancienneté
moyenne de seize ans.
industrie à la campagne
Quand on lui demande si l’on
trouve des pères et des fils parmi les
salariés, Philippe Acrous répond :
«Oui, et même le grand-père par-
fois.» Elisabeth Cerqueira, respon-
sable recrutement, training et déve-
loppement complète : «Nous restons
une entreprise à taille humaine. Par
moments, nous avons des fonction-
nements de PME, c’est un de nos
points forts.»
Ratier, c’est l’industrie à la campa-
gne. «Les plus gros industriels de
l’aéronautique sont à Toulouse mais
Figeac peut être vu comme un avan-
tage par certaines personnes car
Toulouse a les mêmes inconvénients
que toutes les grandes villes», dit Phi-
lippe Acrous. «Accéder à la propriété
est plus facile chez nous», ajoute Eli-
sabeth Cerqueira. Ce qui pour de
jeunes adultes fondant une famille,
est un facteur important.
Tout cela mis bout à bout suffit-il
pour attirer les candidats? «Actuel-
lement, nous avons très peu de CV
entrants», reconnaît Elisabeth Cer-
queira. Pourtant, l’entreprise n’at-
tend pas qu’on frappe à sa porte.
«Nous cherchons partout en France»,
résume-t-elle. Le vivier des stagiai-
res est capital, «190 sur l’année, qui
vont de la semaine d’observation en
troisième jusqu’aux stages de fin
d’études d’ingénieur qui durent six
mois». A quoi s’ajoutent «90 alter-
nants à l’année, en apprentissage ou
en contrat de professionnalisation».
Et, plus rare, «depuis neuf ans, nous
faisons des formations de deman-
deurs d’emploi recrutés sur la mé-
thode des habiletés et nous sortons
des gens de la précarité», ajoute Eli-
sabeth Cerqueira. «C’est une forma-
tion de douze mois, il y a 83 % de
réussite et un certificat de qualifica-
tion dans la métallurgie permet
d’être recruté ailleurs», précise Phi-
lippe Acrous.
Avec cet arsenal, les difficultés de
recrutement persistent-elles? «Oui,
sur certains profils», dit Philippe
Acrous. «Et de plus en plus, sur l’en-
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