Libération - 25.11.2019

(Michael S) #1
­experts de l’Asean assuraient que 500 000 réfu-
giés pouvaient revenir «sans heurts et de ma-
nière ordonnée» en l’espace de deux ans. De
leur côté, les autorités bangladaises ont fourni
des listes de quelque 50 000 noms de Rohin-
gyas candidats, selon elles, à une réinstalla-
tion dans l’Etat Rakhine. En se gardant bien
de consulter les premiers intéressés.
Le gouvernement d’Aung San Suu Kyi se dit
prêt pour ce retour, mais à ses propres condi-
tions. Avec des fonds et des assistances
­indiens, japonais et chinois, il a mis en place
des infrastructures : le centre de transit de
Hla Pho Khaung, où 30 000 personnes peu-
vent être accueillies pendant trente jours, est
au cœur du dispositif. Mais comme le rappe-
lait en juillet l’Institut australien de politique
stratégique (Aspi) dans une étude détaillée,
les Rohingyas n’auront pas de liberté de mou-
vement et seront gardés par la police des fron-
tières, accusée par le passé d’actes de torture.
Et les rapatriés reviendront dans un environ-
nement ravagé qui continue de se dégrader.
«En plus des villages touchés par la crise
de 2017, nous avons identifié au moins 58 au-
tres zones dans lesquelles des démolitions
­récentes ont été effectuées ou sont en cours»,
écrit l’Aspi. Des faits qui font courir «un risque
grave de génocide» aux 600 000 Rohingyas
toujours présents en Birmanie, assurent des
enquêteurs de l’ONU, qui évoquent un «im-
possible retour» pour ceux qui se trouvent au
Bangladesh.

Urgences. Avant de revenir, la majorité des
réfugiés exige de sérieuses garanties : être
­reconnu comme rohingya, et non bengali
comme le martèlent les autorités, la restitu-
tion des terres accaparées et une réelle ci-
toyenneté. «Mais la Birmanie refuse de lier
systématiquement ce retour à l’obtention de
cette citoyenneté», note le diplomate. Surtout,
la Birmanie a d’autres urgences qui compli-
quent le retour. La première est d’ordre sécu-
ritaire. Les autorités doivent faire face à une
recrudescence des combats entre la Tatma-
daw et les rebelles de l’armée d’Arakan (AA),
un groupe qui a mobilisé environ 12 000 hom-
mes pour plus d’autonomie et pour lutter
contre la longue négligence et l’exploitation
de ses ressources naturelles par le gouverne-
ment central. Les combats ont démarré dans
le nord de l’Etat Rakhine et gagnent le sud en
compliquant la circulation des biens et des
personnes. Près de 70 000 habitants ont déjà
fui les combats depuis janvier. «L’armée
d’Arakan est en permanence à l’initiative et
n’a connu aucun revers majeur, reprend le
­diplomate. Bien équipée, elle ne perd pas en
popularité et a su utiliser la météo pour frap-
per les forces de ­sécurité.»
L’autre front est judiciaire. La Birmanie va
­devoir répondre aux accusations de génocide
à l’encontre de sa minorité rohingya devant
la Cour internationale de justice saisie par la
Gambie. Signe d’une inquiétude du pouvoir,
Aung San Suu Kyi en personne a vite décidé
qu’elle irait s’expliquer à La Haye en décem-
bre. Un nouveau risque de fragilisation pour
le pays et pour l’ex-championne des droits de
l’homme.
Arnaud Vaulerin

Naypyidaw à assurer «un environnement pro-
pice pour un rapatriement sécurisé, volon-
taire, ­digne et durable des réfugiés». Envi-
ron 740 000 Rohingyas ont fui la Birmanie à
partir du 25 août 2017, quand les militants de
l’Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan
(Arsa) ont attaqué des postes de police dans
l’ouest du pays et déclenché une vaste contre-
offensive des forces de sécurité birmanes sou-
tenues par des milices civiles bouddhistes.
Vingt-huit mois plus tard, seulement quel-
ques centaines de réfugiés sont revenus. «Il
s’agit essentiellement de familles qui avaient
quelques biens, une “petite classe moyenne”,
qui se sont réinstallées près des centres urbains
de l’Etat Rakhine», poursuit le diplomate. En
juin, dans un rapport d’évaluation décrié pour
son optimisme forcené sur la situation sécuri-
taire et sa vision expéditive du retour, des

aux réfugiés (HCR) qui supervise les opéra-
tions. «Les Chinois, qui jouent les médiateurs,
voulaient faire un coup avant l’assemblée gé-
nérale des Nations unies, mais ni Dacca ni
Naypyidaw n’étaient prêts et le HCR n’envisa-
geait rien avant novembre, analyse un diplo-
mate qui suit le processus. En Birmanie,
­personne ne veut de ce retour, même les musul-
mans qui ne sont pas rohingyas. Ceux qui ren-
treront le feront avec le sentiment d’avoir un
fusil dans le dos. La peur est omniprésente du
côté des Rohingyas. On risque de voir se re-
constituer des ghettos.»

«Risque». La Birmanie se retrouve sous
pression. Le 3 novembre, devant les chefs
d’Etat de l’Association des nations de l’Asie
du sud-est (Asean), le secrétaire général des
­Nations unies, António Guterres, a exhorté

Des réfugiés rohingyas
dans le camp
de Kutupalong,
dans le sud
du Bangladesh,
en octobre.

L


a question soulève une montagne d’in-
certitudes : les Rohingyas retourneront-
ils en Birmanie? Depuis la signature
d’un accord en novembre 2017 entre le gou-
vernement d’Aung San Suu Kyi et le Bangla-
desh, qui héberge près de 1,2 million de Ro-
hingyas, plusieurs tentatives pour rapatrier
ces réfugiés ont échoué. Comme fin août,
quand 3 450 personnes devaient repasser la
frontière. «Aucune des personnes interrogées
n’a indiqué sa volonté de rentrer dans leur
pays», a fait savoir alors le Haut Commissariat

«L’impossible retour»


des réfugiés en Birmanie


Le gouvernement d’Aung San
Suu Kyi, sous pression, se dit
prêt à rapatrier les Rohingyas...
Mais dans un environnement
ravagé, à la merci de la police.

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