12 |planète VENDREDI 8 NOVEMBRE 2019
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« Les décès,
les maladies
augmentent
rapidement »
WILLIAM MOOMAW,
professeur de politique
internationale
de l’environnement
Le golfe de Gascogne saturé de pollutions
Les composés contenus dans les détergents pétrochimiques et les plastiques s’accumulent dans la zone
REPORTAGE
bayonne, anglet, guéthary
(pyrénéesatlantiques)
envoyé spécial
D
ifficile d’ignorer ces
paquets de mousse
blanchâtre sur la
grande plage de
Biarritz. Le passage de la tempête
Amélie, qui a secoué l’océan du
rant le weekend des 2 et 3 novem
bre, a déposé sur le littoral basque
les résidus des embruns soulevés
par les vagues et les vents très
forts de cette première tempête
automnale. « Ce phénomène en
gendre la formation d’aérosols ( fi
nes particules en suspension) », a
décrit l’association du contrôle de
la qualité de l’air ATMO Nouvelle
Aquitaine, signalant « des niveaux
de particules plus élevés dans les
départements littoraux ».
Affiliée à France nature envi
ronnement (FNE), l’association
des PyrénéesAtlantiques de la
Fédération des sociétés pour
l’étude, la protection et l’aména
gement de la nature dans le Sud
Ouest (Sepanso), a réalisé, lundi
4 novembre, des prélèvements de
mousse afin de les faire analyser.
Depuis des années, celleci dé
nonce l’accumulation de pollu
tions dans le golfe de Gascogne.
« De Hendaye à Arcachon, on ne
sent plus la mer. De quel droit les
générations futures n’auraient plus
la possibilité de profiter d’un océan
vivant, avec ses senteurs iodées? »,
s’alarme Michel Botella, 72 ans, un
ancien de la compagnie Shell sur
l’étang de Berre, aujourd’hui
membre de la Sepanso 64. En
cause en particulier, les déter
gents pétrochimiques, estime ce
retraité basque résidant à Boucau,
commune voisine de Bayonne,
qui accueille en partie son port in
dustriel et ses activités d’exporta
tion d’engrais et de soufre.
Pour la Sepanso et FNE, le golfe
de Gascogne pourrait devenir
l’une des « zones mortes » qui ne
cessent de s’étendre dans les eaux
de la planète. Selon une étude pa
rue en janvier 2018 dans Science,
ces sites à faible teneur en oxy
gène ont été multipliés par dix au
cours des cinquante dernières an
nées. Parmi les causes de ce phé
nomène, le réchauffement clima
tique, les émissions de CO 2 , mais
aussi la pollution chimique,
cellelà même que les associa
tions locales dénoncent. « On ne
peut se satisfaire que les eaux du
golfe de Gascogne soient déclarées
“baignables”, car leur étude ne se
fait que sous l’angle bactériologi
que. Le cocktail chimique n’est pas
pris en compte dans les mesures »,
argumente Michel Botella.
Mousses brunâtres
Il y a une vingtaine d’années, la
Sepanso avait déjà alerté le district
BayonneAngletBiarritz sur la
menace que constituaient ces
micropolluants pour l’océan.
En 1998, un appel signé par
60 scientifiques dénonçait le dan
ger que font courir les phosphates
des lessives mais aussi les « ten
sioactifs », tels les détergents (gé
néralement issus du pétrole), aux
effets dévastateurs dans l’eau mais
aussi à sa surface. Dans leur texte,
ces scientifiques expliquent com
ment ces composés, qu’on re
trouve dans les lessives, savons,
shampoings, déodorants, dentifri
ces, tous les agents émulsifiants,
moussants et autres dispersants,
finissent dans la mer, formant
parfois des mousses brunâtres, et
se retrouvant dans les embruns.
« Les méfaits [des tensioactifs]
se manifestent également sous
l’eau, sur la flore (...), sur la faune
(...), et particulièrement au niveau
des premiers stades de vie les plus
sensibles », écrivait le Collectif des
scientifiques pour des détergents
sans danger pour l’environne
ment. L’un de ses membres, le
chimiste Bernard Mermod,
avance que l’« on peut trouver
dans les embruns une concentra
tion de détergents mille fois plus
importante que dans l’eau ».
Les eaux usées, polluées par les
détergents, lessives, savons, etc.,
sont normalement traitées par
les stations d’épuration, mais
certaines ne sont pas aux nor
mes, ou sont jugées « inefficaces »
par les associations écologiques.
Quand le réseau est saturé par de
fortes pluies, un système de dé
versoir permet d’emporter direc
tement les eaux usées dans les
cours d’eau et la mer.
La Sepanso demande de longue
date à connaître les résultats de la
qualité des eaux à la sortie des sta
tions d’épuration des eaux usées.
Peine perdue, explique l’associa
tion. Sollicitée, la préfecture des
PyrénéesAtlantiques fait savoir
que les stations d’épuration et les
réseaux de collecte des eaux
usées font l’objet d’une sur
veillance par la Direction départe
mentale des territoires et de la
mer (DDTM), l’Agence régionale
de santé, l’Agence de l’eau et les
collectivités territoriales.
« Un certain nombre de stations
d’épuration et de réseaux d’assai
nissement font l’objet de schémas
directeurs d’assainissement et d’un
programme de travaux », précise
ton à la préfecture, qui assure que
« la DDTM mène des actions de po
lice administrative beaucoup plus
déterminées pour accélérer la mise
en conformité des réseaux et des
stations d’épuration défaillantes ».
Une étude de l’estuaire de
l’Adour est également conduite
par la Direction régionale de l’en
vironnement, de l’aménagement
et du logement, l’Agence régionale
de santé et l’Institut national de
l’environnement industriel et des
risques. Destinée à « évaluer l’im
pact des activités humaines sur
l’état des milieux, et les risques et
impacts sanitaires inhérents pour
les populations », elle est menée
sur un territoire d’une centaine
de kilomètres carrés comportant
un tissu urbain et économique
dense. Ses résultats devraient être
disponibles début 2020.
« Bottes, gants, polystyrène... »
Enfin, le ministère de la transi
tion écologique et solidaire affi
che la volonté d’intensifier la re
cherche de micropolluants, dans
les eaux brutes à l’entrée des sta
tions d’épuration et à leur sortie,
après traitement. Mais les asso
ciations estiment que la consigne
n’est pas assez appliquée et re
grettent que ces études sur la pré
sence des micropolluants ne
soient pas rendues publiques.
La tenue du G7 à Biarritz, fin
août, fut l’occasion de porter une
autre exigence : la lutte contre la
pollution des eaux par le plasti
que. A la veille du sommet,
350 surfeurs se sont donné la
main, au large du petit port de
Guéthary. « Quand tu rames pour
rejoindre les vagues et que tu mets
la main dans un plastique, tu flip
pes. Déjà, on a des hydrocarbures,
des détergents domestiques, des
produits phytosanitaires de l’agri
culture présents dans l’eau... », re
late François Verdet, surfeur à l’ori
gine de l’initiative, et membre de
l’ONG de défense de l’environne
ment Surfrider.
Le golfe de Gascogne est une
zone d’accumulation naturelle
des déchets. « Il y a des courants
qui, en février et mars, remontent
du Portugal et de Galice et appor
tent des déchets de la pêche : bot
tes, gants, morceaux de filets ou de
caisses de poissons en polystyrène.
Plus tard dans la saison, ce sont des
courants du Nord, venant du bas
sin d’Arcachon, qui entraînent les
déchets de l’ostréiculture en parti
culier », détaille Antoine Bruge,
chargé de projet sur la pollution
plastique à Surfrider, dont le siège
international est à Biarritz.
A ces pollutions, il faut ajouter
les emballages alimentaires, les
bouteilles et autres détritus qui
sont charriés par les rivières qui
traversent le Béarn et le Pays bas
que : l’Adour, la Bidassoa, la Ni
velle... sans oublier la Garonne et
ses affluents. « Ces déchets sont
emportés par le ruissellement dans
les cours d’eau, puis dans la mer, et
souvent sont ramenés sur les pla
ges. On a presque de la chance avec
les gros déchets plastiques, car ils se
voient. La pollution chimique est
plus dangereuse, car invisible », dit
encore Antoine Bruge.
« La qualité des eaux se dégrade,
et quand la qualité n’est pas là, les
poissons n’y sont pas non plus. Ils
sont comme tout le monde, ils pré
fèrent manger dans une assiette
propre », constate Serge Larzabal,
le président du Comité interdépar
temental des pêches maritimes et
des élevages marins des Pyrénées
Atlantiques et des Landes, basé à
Ciboure, près de SaintJeandeLuz,
qui représente une flotte de
145 navires. « Les pêcheurs deman
dent que des mesures soient prises
en urgence, d’autant qu’elles
n’auront d’efficacité que dans dix à
quinze ans », alertetil.
rémi barroux
Climat : 11 000 scientifiques appellent à sauver « notre maison »
Les signataires proposent des leviers d’action comme réduire la consommation de viande ou stabiliser la population mondiale
L
es scientifiques n’ont ja
mais été aussi inquiets de
l’état de la planète en géné
ral, et de la crise climatique en
particulier. Dans un vaste appel
publié lundi 5 novembre dans la
revue BioScience, plus de
11 000 climatologues mais aussi
biologistes, physiciens, chimistes
ou agronomes, issus de 153 pays
(dont 1 500 Français), prévien
nent que les humains risquent
des « souffrances indescriptibles »
liées à l’urgence climatique. Ils ap
pellent à des transformations
mondiales de nos modes de vie
afin de préserver la vie sur Terre,
« notre unique maison ».
Il y a exactement quarante ans,
en 1979, rappellent les auteurs,
menés par le biologiste William
Ripple (université de l’Oregon,
EtatsUnis), des chercheurs de
cinquante pays s’étaient réunis
lors de la première conférence
mondiale sur le climat, à Genève,
et avaient alerté sur la nécessité
d’agir contre le changement cli
matique. Depuis, les mises en
garde se sont multipliées. En
2017, la revue BioScience avait
également publié un manifeste
de 15 000 scientifiques, toujours
à l’initiative de William Ripple,
qui avertissait de la dégradation
catastrophique de l’environne
ment et du monde vivant.
Malgré tout, les émissions de
gaz à effet de serre ont poursuivi
leur inexorable progression et
ont entraîné avec elles toute une
série de conséquences délétères
pour le climat, l’environnement
et la société, qu’il s’agisse de la
hausse de la température, de l’élé
vation du niveau de la mer, de
l’acidification des océans ou de la
fonte des glaciers. « Nous avons
consacré un nouvel appel au chan
gement climatique uniquement,
car les dernières études scientifi
ques montrent que la crise climati
que s’accélère davantage que nous
ne l’anticipions », explique
William Moomaw, professeur de
politique internationale de l’envi
ronnement à l’université Tufts
(Massachusetts). « Les décès, les
maladies augmentent rapide
ment ; des industries et des écono
mies entières sont menacées, en
particulier dans les régions les plus
pauvres du monde », poursuitil.
Quarante ans de données
Pour montrer l’ampleur de cette
crise, les scientifiques ont analysé
quarante ans de données sur une
série d’indicateurs témoignant
de l’impact des activités humai
nes. Ils en tirent quelques courbes
simples sur la croissance démo
graphique galopante (+ 200 000
personnes par jour), l’explosion
de la consommation de viande
(+ 11 % en dix ans) et d’énergie
(+ 23 % en dix ans pour le char
bon), la déforestation qui s’ag
grave (+ 50 % sur la dernière dé
cennie) ou la progression du
transport aérien (+ 64 % sur la
même période).
Pour éviter de « rendre de gran
des parties de la Terre inhabita
bles », les scientifiques proposent
six leviers d’action. Ils appellent à
sortir des énergies fossiles au pro
fit des renouvelables, à rapide
ment éliminer les subventions
dont font l’objet le charbon, le pé
trole et le gaz, et à fixer un prix du
carbone plus élevé. Ils incitent
également à une baisse de la con
sommation de viande, à la protec
tion des écosystèmes qui contri
buent à stocker du CO 2 (comme les
mangroves ou les zones humides)
ou encore à stabiliser, et « idéale
ment », réduire la population en
promouvant l’accès de tous, et en
particulier des filles, à l’éducation
et à la contraception. Cette propo
sition relative à la maîtrise de la
démographie a alimenté des criti
ques, certains estimant que la me
sure visait les pays en développe
ment, particulièrement l’Afrique.
« Le texte propose des choix qui
relèvent parfois de la culture, de
l’éthique, et qui peuvent être très
difficiles. Il n’est fait aucune ana
lyse des priorités, des risques asso
ciés (comme pour les agrocarbu
rants ou les éoliennes), remarque
le climatologue Robert Vautard,
directeur de l’Institut PierreSi
monLaplace, qui n’a pas signé
l’appel. Ce texte d’opinion est
symptomatique de ce que j’appel
lerais le “syndrome du bord de la
falaise” qui secoue nos laboratoi
res de recherche : doiton quitter la
neutralité scientifique si l’on pense
qu’un danger est imminent? »
« Je suis frappé par la trop faible
contribution des sciences écono
miques et sociales au diagnostic,
de même que par le grand déséqui
libre des genres et des origines,
presque tous les coauteurs et re
lecteurs semblant originaires de
pays anglosaxons développés, re
lève le climatologue belge Jean
Pascal van Ypersele. Malgré ces
critiques, chaque impulsion est
susceptible de réveiller ceux et cel
les qui doivent l’être. »
audrey garric
La grande plage de Biarritz (PyrénéesAtlantiques), en janvier 2018. ÉMILIE DROUINAUD/PHOTOPQR/»SUD-OUEST »/MAXPPP
« La pollution
chimique est plus
dangereuse, car
invisible »
ANTOINE BRUGE
chargé de projet
sur la pollution plastique
à l’ONG Surfrider
Golfe
de Gascogne
Ad
our
Landes
Pyrénées-
Atlantiques
Biarritz
Anglet
Guéthary Bayonne
Saint-Jean-de-Luz
ESPAGNE
50 km