Le Monde - 08.11.2019

(Sean Pound) #1
0123
VENDREDI 8 NOVEMBRE 2019

ÉCONOMIE  &  ENTREPRISE


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Macron met fin au projet EuropaCity


Le mégacomplexe de loisirs et de commerces faisait l’objet, depuis des années, d’une vive contestation


F


in de partie pour Europa­
City. Le gouvernement
devait annoncer, jeudi
7 novembre dans l’après­
midi, à l’occasion du troisième
Conseil de défense écologique,
l’abandon pur et simple du projet
de mégacomplexe de loisirs et de
commerces censé ouvrir en 2027
à Gonesse, dans le Val­d’Oise, à
15 kilomètres au nord de Paris. Vi­
vement contesté depuis des an­
nées par un front de plus en plus
large d’opposants, ce projet était
devenu malgré lui un symbole de
l’artificialisation des terres agri­
coles au profit de grands projets
inutiles.
Comme l’arrêt du projet minier
Montagne d’or en Guyane au
printemps, cette décision specta­
culaire se veut le reflet de la prio­
rité à l’environnement revendi­
quée par le chef de l’Etat, Emma­
nuel Macron. « Nous avons eu du
mal à arrimer la promesse écologi­
que de l’acte II du quinquennat par
des décisions concrètes ; cette fois,
nous avons une masse critique qui
nous permet d’afficher la couleur
verte », reconnaît­on à l’Elysée.
Porté par la filiale d’immobilier
commercial du groupe Auchan,
Ceetrus, et le conglomérat chinois
Wanda, EuropaCity promettait
d’attirer 30 millions de visiteurs
par an dans ses allées paysagées,
en mixant un colossal cocktail de
parcs de loisirs, d’équipements
culturels, d’hôtels et de commer­
ces, au prix d’un investissement
de plus de 3 milliards d’euros et de
l’artificialisation de 80 hectares
de cultures céréalières.
« C’est un projet d’une autre épo­
que, fondé sur une consommation
de masse d’objets et de loisirs, ex­
plique­t­on à l’Elysée. Ce n’est vrai­
ment pas vers ce modèle que
s’oriente le gouvernement : nous
souhaitons éviter autant que pos­
sible ce genre d’équipements, qui
concentrent l’activité à l’écart des
villes, dévitalisent les centres histo­
riques et créent d’importants be­
soins de transports. » Pour l’exé­
cutif, « il ne s’agit pas de dire qu’on
ne peut plus jamais consommer de
terres agricoles, mais il faut que ce
soit pour un projet soutenable,
d’un intérêt majeur. Or EuropaCity
est un projet daté, même s’il a évo­
lué positivement. »
Les promoteurs, qui travaillent
sur ce projet depuis dix ans et y
ont déjà consacré « plusieurs di­
zaines de millions d’euros »,
l’avaient fortement amendé de­
puis deux ans pour répondre aux
critiques. Le design initial du
« starchitecte » danois Bjarke In­
gels, qui réunissait l’ensemble du
programme dans un bloc fermé
semblable à une gigantesque
soucoupe volante, a ainsi laissé

la place à un plan plus ouvert,
plus urbain, aux architectures
variées.
Surtout, le 4 octobre, la société
Alliages & Territoires, créée par
Ceetrus et Wanda pour porter le
projet, avait annoncé une série de
mesures « vertes » : compensa­
tion intégrale des terres artificia­
lisées, neutralité carbone, aban­
don de la piste de ski « indoor »,
réduction draconienne de la
place réservée aux commerces...

« Abandon des banlieues »
Dans un entretien aux Echos, le
24 octobre, le président de Cee­
trus, Vianney Mulliez, appelait le
gouvernement à « faire preuve de
courage politique ». « S’il devait re­
noncer, cela poserait une nouvelle
fois la question de la parole de
l’Etat, notamment vis­à­vis des
grands investisseurs internatio­
naux », prévenait­il. « Ceetrus n’a
pas trop à se plaindre : ils ont ob­
tenu la gare du Nord », balaye un
familier du dossier, en référence

au vaste chantier de rénovation et
d’agrandissement de la gare pari­
sienne, remporté par la foncière
d’Auchan et mené malgré l’oppo­
sition de la Ville de Paris.
La ministre de la transition éco­
logique et solidaire, Elisabeth
Borne, avait été chargée par l’Ely­
sée et Matignon, au mois de sep­
tembre, de consulter l’ensemble
des acteurs du dossier EuropaCity


  • promoteurs, aménageurs, élus,
    opposants... – pour remettre un
    avis sur les suites à lui donner. Ces
    dernières semaines, l’exécutif hé­


sitait entre deux pistes : un arrêt
immédiat, privilégié par
Mme Borne, ou un sursis de quel­
ques mois, qui aurait permis
d’avancer dans la recherche d’al­
ternatives et de laisser passer les
municipales de mars 2020 sans
courroucer les élus locaux.
Car l’abandon d’EuropaCity
promet de provoquer l’ire des
collectivités du Val­d’Oise. Dans
cette partie déshéritée du dépar­
tement, qui se vit comme le pa­
rent pauvre du Grand Paris, le
complexe et sa promesse de
10 000 emplois directs étaient at­
tendus comme des sauveurs.
« L’arrêt du projet signifierait un
abandon des banlieues, alors que
la fracture territoriale s’élargit »,
estimait le maire (PS) de Go­
nesse, Jean­Pierre Blazy, le 4 oc­
tobre, au cours d’une conférence
de presse des élus locaux pour
défendre le projet.
Rappelant que c’est l’Etat qui
avait aiguillé EuropaCity vers ce
territoire à la suite des émeutes de

la ville voisine de Villiers­le­Bel
en 2007, la présidente (LR) du dé­
partement, Marie­Christine Ca­
vecchi, avait averti que, sans pers­
pective de développement écono­
mique, « ces populations seraient
à nouveau face à un mur, sans es­
poir ». Appelant chacun « à ses res­
ponsabilités », l’élue prévenait que
« s’il arrivait malheur à Europa­
City, “gilets jaunes” et “bonnets
rouges” auront été de la gno­
gnotte au regard de la révolte des
Val­d’Oisiens ».
Pour les rassurer, le gouverne­
ment a décidé de confier une
mission sur le développement
économique de ce territoire à
Francis Rol­Tanguy, un haut fonc­
tionnaire familier des questions
d’aménagement. « Il va travailler
en concertation avec les élus pour
définir des alternatives qui corres­
pondent plus aux orientations du
gouvernement, vers un projet plus
mixte, mêlant bureaux, indus­
tries, voire agroalimentaire », in­
dique l’Elysée.

« Mensonge d’Etat »
A ce stade, pas question, donc, de
renoncer à aménager ces terres
agricoles du Triangle de Gonesse
situées entre les aéroports de
Roissy et du Bourget, dont l’urba­
nisation est programmée depuis
près de trente ans par l’Etat et la
région Ile­de­France. Une zone
d’aménagement concerté (ZAC)
de près de 300 hectares a été
créée, dont EuropaCity était jus­
qu’à présent la locomotive. « Ur­
baniser le Triangle sans Europa­
City, c’est un mensonge d’Etat que
je dénonce par avance », insistait
le sénateur (LR) du Val­d’Oise, Ar­
naud Bazin, le 4 octobre.
L’ensemble de la ZAC replonge
en tout cas dans une grande in­
certitude, alors même que doi­
vent débuter cet automne, en
pleins champs, les travaux d’une
gare de la future ligne 17 du Grand
Paris Express censée desservir ce
pôle d’activité à venir. « L’objectif
n’est pas de remettre en cause la li­
gne 17 », assure l’Elysée, même si
les visiteurs d’EuropaCity pe­
saient pour près de moitié dans
l’équilibre déjà fragile de cette

Des opposants au projet EuropaCity défilent à Paris, le 5 octobre. JACQUES DEMARTHON/AFP

L’exécutif
n’entend pas
renoncer
à aménager les
terres agricoles
du Triangle
de Gonesse

liaison souterraine. Par ce choix,
le gouvernement prend le risque
de fâcher à la fois les partisans
d’EuropaCity et les adversaires
écologistes du projet, qui rejet­
tent en réalité toute urbanisation
du Triangle de Gonesse et défen­
dent un ambitieux programme
alternatif de cultures maraîchères
périurbaines.
Ces opposants étendent désor­
mais leur combat au chantier de
la future gare. Avec une première
victoire : saisi par plusieurs asso­
ciations écologistes, le rappor­
teur public du tribunal adminis­
tratif de Montreuil (Seine­Saint­
Denis) a demandé, mercredi
6 novembre, la suspension pour
dix mois de l’autorisation envi­
ronnementale de la ligne 17. Der­
rière l’abandon du projet Europa­
City se dissimule le risque d’un
effet domino.
grégoire allix

c’est l’autre bataille du groupe Ceetrus
pour s’affirmer comme un acteur du
Grand Paris : la transformation de la gare
du Nord. Après l’abandon par le gouverne­
ment, jeudi 7 novembre, du projet Europa­
City, la foncière commerciale d’Auchan
doit désormais préserver son projet pour
la première gare d’Europe, lui aussi très po­
lémique. Une opération de rénovation et
d’agrandissement à 600 millions d’euros,
censée incarner les nouvelles ambitions de
Ceetrus dans l’aménagement urbain.
L’enquête publique sur le permis de cons­
truire doit débuter le 20 novembre, alors
que la Ville de Paris s’oppose à plusieurs vo­
lets du projet porté par la SNCF et Ceetrus,
jugé trop dense, trop commercial, irrespec­
tueux du patrimoine et négligeant les fonc­
tions d’une gare multimodale. Après une
réunion de médiation, le 18 octobre, sous
l’égide du préfet de région, la SNCF et la
Ville de Paris sont convenues de travailler à
une amélioration des plans de l’agence
d’architectes Valode & Pistre, en nommant
des architectes urbanistes conciliateurs.
Le 4 novembre, la maire (PS) de Paris,
Anne Hidalgo, a missionné quatre experts

pour imaginer, d’ici au 19 décembre, com­
ment amender le projet. Il s’agit de deux ti­
tulaires du Grand Prix de l’urbanisme,
Pierre Veltz et Jean­Louis Subileau, cosi­
gnataires de tribunes contre le projet, et de
deux architectes et urbanistes, Anne Mie
Depuydt et Caroline Poulin.

« Du grain à moudre »
Le fruit de leurs réflexions sera versé à l’en­
quête publique. Car c’est bien le projet con­
testé, portant sur « la création nette d’une
surface de plancher de 61 515 mètres carrés
sur l’emprise de la gare du Nord », qui est
soumis à consultation jusqu’au 8 jan­
vier 2020. Qu’en retiendra le commissaire­
enquêteur dans son rapport attendu vers
la mi­février? Quelles modifications les
porteurs du projet accepteront­ils d’appli­
quer? A la préfecture de région, on veut
croire qu’il y a « du grain à moudre » sur un
certain nombre de points.
L’intermodalité avec les bus et les vélos,
l’aménagement des accès et les liaisons
avec le quartier pourraient ainsi être revus.
Quelques milliers de mètres carrés – pour­
quoi pas un niveau entier – pourraient être

retranchés du futur bâtiment censé s’élever
sur cinq étages, 300 mètres de long et
50 mètres de large, pour accueillir ces dizai­
nes de milliers de mètres carrés de bureaux,
équipements, commerces et restaurants
au­dessus d’un nouveau hall de départ.
Cet édifice marque l’apport essentiel de
Ceetrus à l’affaire, l’opération immobilière
finançant la rénovation de la gare. La fon­
cière commerciale contrôle aussi la coen­
treprise créée avec la SNCF pour exploiter
pendant quarante­six ans ces espaces com­
merciaux non ferroviaires. Une révision à
la baisse du programme pourrait menacer
l’équilibre de l’opération et son intérêt
pour la foncière. La salle de spectacle imagi­
née dans le futur ensemble risque de dispa­
raître avant les commerces et les bureaux.
Si tout se passe bien, la délivrance du per­
mis de construire par l’Etat pourrait inter­
venir au printemps 2020, dans les temps,
en théorie, pour livrer la gare avant les Jeux
olympiques de 2024, dont elle sera une im­
portante porte d’entrée. Un calendrier
serré et optimiste, dont la Ville de Paris et
les architectes continuent de douter.
g. a.

La gare du Nord sous le feu de l’enquête publique


LE  CONTEXTE


CONSEIL  DE  DÉFENSE 


ÉCOLOGIQUE
Créé au printemps par
Emmanuel Macron, le Conseil
de défense écologique est un
conseil des ministres restreint
destiné à définir des priorités
et à accélérer la transition écolo-
gique. C’est lors du premier con-
seil, le 23 mai, qu’avait été aban-
donné le projet minier Montagne
d’or en Guyane. Le deuxième,
le 9 juillet, avait notamment per-
mis d’annoncer une écocontribu-
tion sur le transport aérien. Jeudi
7 novembre, la troisième de ces
réunions devait aborder plu-
sieurs questions : la réhabilita-
tion des friches industrielles,
considérées comme des réserves
foncières mal utilisées ; le déve-
loppement du réseau d’aires pro-
tégées terrestres et maritimes,
outil majeur de protection de la
biodiversité ; la préservation des
forêts et leur adaptation aux ef-
fets du changement climatique.
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