Le Monde - 08.11.2019

(Sean Pound) #1

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FRANCE


VENDREDI 8 NOVEMBRE 2019

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Tract dissident du pôle « centriste et macroniste » de Manuel Aeschlimann, à Asnières­sur­Seine (Hauts­de­Seine), le 2 novembre.
CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

D


ébut septembre, les diri­
geants de La République en
marche (LRM) espéraient
que les premiers foyers d’in­
cendie, dans la foulée de la
candidature de Cédric Vil­
lani à Paris, ne seraient qu’un feu de paille. Il
n’en est rien. A quatre mois des élections mu­
nicipales, les contestations contre l’attribu­
tion de certaines investitures se multiplient
au sein du parti présidentiel, en installant le
risque de dissidences dans plusieurs villes.
Et en premier lieu, dans les trois plus gran­
des métropoles. A Paris se déroule le scénario
le plus redouté par les stratèges macronistes :
ni le prétendant officiel, Benjamin Griveaux,
ni le dissident Cédric Villani ne voient leur
campagne décoller dans les sondages. Les
deux rivaux se neutralisent, ce qui laisse
augurer d’un duel fratricide, au profit de la
maire socialiste sortante, Anne Hidalgo. « Ils
se partagent les voix et on risque d’aller à
l’échec », a résumé le président du MoDem,
François Bayrou, appelant à un plan B.
Même risque de défaite pour la majorité à
Lyon, qui fait pourtant figure de place forte
de la Macronie. Le président LRM sortant de
la métropole, David Kimelfeld, est déter­
miné à se maintenir face à Gérard Collomb,
investi par le parti. A Marseille, où la tête de
liste n’a pas encore été désignée, le mouve­
ment doit encore départager le député Saïd
Ahamada et le président de l’université
d’Aix­Marseille, Yvon Berland.

« ON VA DROIT DANS LE MUR »
Une fronde interne perdure contre certains
choix de la commission nationale d’investi­
ture (CNI) dans plusieurs autres villes. Et pas
des moindres. A Lille, les « marcheurs » se
montrent très divisés. Une partie d’entre eux
n’entendent pas mener campagne pour la
candidate désignée, Violette Spillebout, par
fidélité à la députée LRM du Nord Valérie Pe­
tit, qui n’a pas obtenu l’investiture. Proche du
ministre de l’action et des comptes publics,
Gérald Darmanin, celle­ci ne partira pas en
dissidence mais refuse toujours de soutenir
sa rivale « pour des raisons d’éthique ». Les ten­
sions entre les deux camps sont très fortes.
Dans le Nord, que ce soit à Valenciennes,
Roubaix ou Villeneuve­d’Ascq, les militants
se déchirent sur fond de rivalités pour les
municipales. « Le climat est très mauvais,
témoigne Violette Salanon, une responsable
locale. Beaucoup de “marcheurs” se mettent
en retrait. On va droit dans le mur, alors qu’on
est tous macronistes! »

Des duels fratricides se profilent égale­
ment là où des députés LRM se disent prêts à
se maintenir même s’ils ne sont pas dési­
gnés, en anticipant la possibilité que la direc­
tion apporte son soutien au maire en place.
« Si je n’ai pas l’investiture, j’irai jusqu’au bout,
en me présentant comme le candidat qui
incarne, de fait, les valeurs d’En marche! »,
explique le député de l’Hérault Patrick Vi­
gnal, déterminé à briguer la mairie de Mont­
pellier face à l’édile sortant, Philippe Saurel.
Même raisonnement chez le député LRM
Cédric Roussel, qui entend « porter sa vision
et son projet » à Nice face à Christian Estrosi,
le maire Les Républicains (LR). A Annecy, la
députée Frédérique Lardet affiche, elle aussi,
sa détermination à se présenter, même si le
parti envisage plutôt de soutenir l’édile
sortant UDI, Jean­Luc Rigaut.
A d’autres endroits, la division des troupes
s’explique par la volonté d’émancipation de
cadres locaux. C’est le cas à Metz, où la réfé­
rente départementale Béatrice Agamennone
a décidé de se lancer en dissidente face au
député Richard Lioger, investi par le parti.
Même cas de figure à Besançon, où la réfé­
rente locale Alexandra Cordier se prépare à af­

fronter le député Eric Alauzet. A Aix­en­Pro­
vence, où la députée LRM Anne­Laurence
Petel fait figure de tête de liste officielle, son
ancien suppléant, Dominique Sassoon, se
présente face à elle. Menacé d’exclusion, il en­
tend maintenir sa candidature en se présen­
tant sans étiquette, après avoir lui­même dé­
missionné du mouvement début octobre.
La stratégie à géométrie variable de la CNI,
consistant à investir aussi bien de purs « mar­
cheurs » que des maires sortants LR, PS ou
centristes, suscite de l’incompréhension
chez les militants macronistes comme chez
les élus. Les premiers, qui veulent porter le re­
nouvellement, sont réticents à l’idée de sou­
tenir un représentant de « l’ancien monde ».
Les seconds peinent à se plier aux choix de la
CNI, jugée déconnectée des enjeux locaux.
Beaucoup mettent en cause le mode de
gouvernance du parti, trop centralisé, et di­
sent ne plus supporter des décisions venues
d’en haut. Dominique Sassoon regrette « un
fonctionnement autoritaire, opaque et antidé­
mocratique ». « Ma déception est très forte car
je pensais qu’on ferait de la politique autre­
ment », témoigne ce chirurgien, qui se définit
comme « un marcheur de la première heure ».

Un collectif des « marcheurs libres », qui
tente de fédérer les adhérents mécontents
« des décisions verticales dénuées de tout
sens » du siège, a même vu le jour fin août, à
Courbevoie (Hauts­de­Seine). Le lancement
officiel de ce groupe, rassemblant plus de
400 membres, est prévu le 16 novembre, à
Lille. Ces frondeurs, qui ont créé leur associa­
tion, prévoient d’accorder un label aux candi­
dats aux municipales désireux de rester « fi­
dèles aux valeurs originelles » du macronisme.

« JURISPRUDENCE VILLANI »
De son côté, le délégué général de LRM, Sta­
nislas Guerini, appelle à « relativiser » l’am­
pleur de cette grogne interne. « Le nombre de
cas de dissidences avérées est très minoritaire
par rapport au nombre de villes où nous
avons accordé des investitures », affirme­t­il.
Depuis juin, le parti a désigné ou soutenu
303 têtes de liste dans des communes de plus
de 9 000 habitants. Les tensions locales
seraient le fruit, à ses yeux, de « la mue opé­
rée par sa jeune formation », dans la prépara­
tion du scrutin. « Pour renforcer la majorité
présidentielle, nous avons fait le choix d’élar­
gir les bases du mouvement. Il est logique que
ce moment délicat suscite des inquiétudes. »
Pour éviter l’hémorragie, après l’échappée
belle de Villani, le siège a assoupli la règle
interne, prévue dans les statuts, selon la­
quelle tout dissident devait être automati­
quement exclu. Début septembre, Stanislas
Guerini avait décidé que de telles situations
se régleraient désormais « au cas par cas ».. Le
parti a ainsi prononcé deux exclusions ces
dernières semaines contre Christian Jasko et
Christophe Perny, qui avaient chacun main­
tenu une candidature dissidente à Compiè­
gne (Oise) et à Lons­le­Saunier (Jura).
Dans d’autres cas, LRM se montre plus tolé­
rant, en laissant le temps aux dissidents de
revenir dans le droit chemin. Comme à Paris
ou à Lyon, où il s’agit de « trouver, à terme, les
voies du rassemblement », dixit M. Guerini.
Sauf que cette mansuétude faisant désor­
mais office de « jurisprudence Villani » ne
permet pas d’empêcher des dissidences ou
des concurrences internes. Au grand dam
d’Emmanuel Macron lui­même. « Quand
certains disent que les commissions nationa­
les investitures sont illégitimes, ils oublient
qu’ils en sont issus », avait rappelé le chef de
l’Etat, le 16 septembre, devant les parlemen­
taires de la majorité. Avant d’ajouter : « Ce qui
est mortel en politique, c’est la division. »
alexandre lemarié

BEAUCOUP METTENT 


EN CAUSE LE MODE 


DE GOUVERNANCE


DU PARTI,


TROP CENTRALISÉ,


ET DISENT NE PLUS 


SUPPORTER


DES DÉCISIONS 


VENUES D’EN HAUT


Dissidences en série chez les « marcheurs »


A l’approche des


municipales, le parti


présidentiel fait face


à de multiples frondes


contre les candidats


investis officiellement


É L E C T I O N S M U N I C I P A L E S


metz semblait promise à La République en mar­
che (LRM). En 2017, Emmanuel Macron y a obtenu
26,69 % des suffrages au premier tour de la prési­
dentielle, puis 71,89 % au second. Quelques semai­
nes plus tard, les Messins ont envoyé trois députés
LRM au Palais­Bourbon, balayant des personnalités
comme Aurélie Filippetti (Parti socialiste, PS) ou
Marie­Jo Zimmermann (Les Républicains, LR). Il y a
aussi ce contexte local particulièrement favorable :
un maire sortant, Dominique Gros (PS), qui ne se re­
présente pas, une droite locale rongée par des divi­
sions historiques, une gauche sans chef de file.
Pourtant, à moins de cinq mois du premier tour
des élections municipales, les « marcheurs » mes­
sins sont dans le doute. Pour prendre la ville au PS, le
parti de la majorité a investi Richard Lioger, le 7 octo­
bre. Député de Metz, ancien président de l’université
et premier adjoint du maire de 2008 à 2017, M. Lioger
cochait toutes les cases. Il a été préféré à Béatrice
Agamennone, référente LRM en Moselle, membre
du bureau exécutif et du comité politique du parti.
Malgré cet échec, Mme Agamennone a annoncé fin
octobre son intention de conduire une liste dissi­
dente. « Cette décision ne remet pas en cause ma fi­
délité à l’égard du président de la République », a­t­

elle insisté. Quelques heures plus tard, le délégué
général de LRM Stanislas Guérini la suspendait de
toutes ses fonctions politiques au sein du mouve­
ment. Sans toutefois prononcer son exclusion.

« Le parti a mis trop longtemps à statuer »
« Une exclusion précipitée serait un obstacle au ras­
semblement. Mais sur le long terme, la “jurispru­
dence Villani” n’est pas tenable. A Metz comme
ailleurs, le couperet va tomber, espère M. Lioger, très
critique sur sa concurrente. Il est évident que cette
candidature est pénalisante. Béatrice Agamennone
risque de nous faire perdre Metz, ce qui irait à l’en­
contre de tout ce pour quoi elle s’est battue, derrière
Emmanuel Macron. » « Me considérer comme celle
qui fera perdre la majorité présidentielle, c’est un peu
facile, répond Mme Agamennone. Avant la décision
de la commission d’investiture, Richard Lioger an­
nonçait partout qu’il serait candidat coûte que coûte.
A partir de là, nous savions qu’il y aurait deux listes. »
Comment en est­on arrivé là? Pour M. Lioger, le
parti n’est pas exempt de tout reproche : « Il a mis
trop longtemps à statuer. Quand vous avez deux
candidats qui s’opposent et que personne ne tranche,
on finit par atteindre un point de non­retour. »

Le député affirme avoir proposé à sa rivale la
deuxième place sur sa liste et estime qu’il n’y a pas de
divergence politique entre eux. « Le problème est
d’ordre personnel », assure­t­il. « C’est faux, conteste
Béatrice Agamennone. Si je me présente, c’est parce
que nous avons un désaccord majeur sur le projet. Ce­
lui de Richard Lioger ne répond absolument pas aux
enjeux de la transition écologique. » Un dossier cris­
tallise cette querelle. En tant que premier adjoint dé­
légué à l’urbanisme, M. Lioger a piloté la construc­
tion d’un quartier autour du Centre Pompidou­Metz.
« Ce quartier n’est pas vertueux en matière environne­
mentale », juge Béatrice Agamennone, qui appar­
tient aussi à la majorité municipale PS­EELV­LRM.
Il existe un autre motif de tension. Il concerne la
stratégie électorale. M. Lioger considère que les ré­
serves de voix de LRM en vue du second tour se si­
tuent plutôt à gauche, dans la continuité de l’ac­
tuelle majorité municipale. Mme Agamennone, elle,
a entamé des discussions avec des élus de centre
droit et du MoDem. Le chef de file du parti Agir,
membre de l’opposition municipale, lui a même
fait une offre d’alliance. De quoi intensifier un peu
plus les tensions chez les macronistes...
anthony villeneuve (metz, correspondant)

A Metz, querelle d’ego et bataille de projets entre deux listes macronistes

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