Le Monde - 08.11.2019

(Sean Pound) #1

0123
VENDREDI 8 NOVEMBRE 2019 france| 7


Asnières­sur­Seine :


« En politique, tous les


coups sont permis »


Dans cette commune francilienne, le
candidat LRM affronte le maire LR, soutenu
par un « pôle centriste et macroniste »

T


ous les six ans à Asnières­
sur­Seine, le schéma se
répète. A l’approche des
élections, le climat de cette ville
des Hauts­de­Seine s’alourdit, les
rivalités s’aiguisent. Et le moins
que l’on puisse dire, c’est que la
campagne pour les municipales
de mars 2020 ne semble pas déro­
ger à la règle.
Depuis plusieurs semaines, une
sorte de dispute familiale se joue
sous les yeux des habitants de
cette commune de 86 000 habi­
tants. Un règlement de comptes
en place publique entre d’un côté,
Alexandre Brugère, investi par La
République en Marche (LRM), et
de l’autre, le maire sortant (Les
Républicains, LR) Manuel Aes­
chlimann, soutenu par un pôle
« centriste et macroniste » dirigé
par l’adjoint à la culture UDI
Thierry Sellier.
Pourtant, jusqu’en février, tous
travaillaient ensemble. En 2014,
Alexandre Brugère, alors adhé­
rent LR, rejoint l’équipe munici­
pale de Manuel Aeschlimann en
tant qu’adjoint chargé de la sécu­
rité. Cinq ans plus tard, il claque la
porte du conseil municipal en
faisant « le pari un peu fou de por­
ter un projet de transformation
pour la ville », considérant « qu’il
faut faire plus pour Asnières »,
selon ses mots. Un départ qui
laisse perplexe ses anciens collè­
gues : « C’est assez surprenant de
voir quelqu’un quitter l’équipe
pour se présenter contre elle alors
qu’il a toujours tout voté avec nous
sans jamais émettre aucune criti­
que », constate le maire actuel.
Juste après son retrait, l’ex­élu
adhère à LRM et lance « Asnières
et vous », un collectif citoyen qui
vise « à réfléchir et à proposer des
idées nouvelles pour la ville ».
Soutenu par l’ensemble des comi­
tés locaux LRM de la commune, il
est investi, en septembre, par le
parti présidentiel, en vue des
municipales de mars.

Le tract de la discorde
Depuis, la campagne bat son
plein. Sur le terrain, les équipes
des deux candidats accélèrent et
multiplient les porte­à­porte et
tractages en tous genres. Au
lendemain du long week­end de
la Toussaint, les deux équipes se
retrouvent à tracter au même
moment devant la gare, où les
badauds doivent slalomer entre
la trentaine de militants des deux
camps. Parmi eux, le secrétaire
d’Etat à la protection de l’enfance,
Adrien Taquet, élu député à
Asnières­sur­Seine en 2017, est
venu donner un coup de main à
Alexandre Brugère.
Jusqu’au scrutin, l’enjeu pour le
candidat investi par LRM, qui se
présente pour la première fois en
son nom, est de se faire connaître
des Asnièrois. Du côté de la majo­
rité sortante, on cherche à mettre
en avant le bilan de Manuel Aes­
chlimann. Un bilan loué notam­
ment par un curieux tract, distri­
bué par le pôle « centriste et

macroniste » d’Asnières­sur­
Seine, qui se revendique à la fois
soutien du maire sortant et de
son équipe à forte dominante LR
mais, en même temps, de l’action
du président de la République
Emmanuel Macron.
Depuis plusieurs semaines, ce
groupe d’une vingtaine de
personnes, membres, pour cer­
tains, de l’équipe municipale,
inonde la commune du prospec­
tus tant décrié par LRM. « C’est une
escroquerie intellectuelle, une
tromperie des électeurs », déplore
Alexandre Brugère, pointant du
doigt l’ambiguïté d’un tel docu­
ment, imprimé à 40 000 exem­
plaires. Car sur la forme, le tract
s’inspire fortement de ceux dis­
tribués par le parti présidentiel.
« Ils utilisent les mêmes couleurs et
les mêmes polices d’écriture »,
remarque Adrien Taquet. Les ha­
bitants de la commune du nord­
ouest parisien peinent à différen­
cier les deux camps. « En voyant la
photo de Macron, j’ai cru que
c’était un tract pour le candidat
d’En marche! », confie une jeune
électrice. « Je n’y comprends plus
rien », ajoute un autre passant.

Bataille des réseaux sociaux
A l’initiative du tract de la
discorde, Thierry Sellier assume
le terme « macroniste » : « A
l’échelle nationale, on soutient
l’action d’Emmanuel Macron donc
on est macronistes », justifie­t­il. Il
s’appuie également sur la
présence dans son groupe d’un
certain Frédéric Couvercelle, qua­
lifié d’adhérent « historique » de
LRM. Un marcheur qu’on affirme
ne jamais voir dans les comités
locaux, et que certains appellent
même « l’invité surprise ». « C’est
facile d’adhérer au parti juste pour
utiliser l’étiquette et dire “LRM
aussi soutient Aechlimann” »,
s’agace une militante.
Le pôle « centriste et macro­
niste » assume également, sans
aucun problème, la présence de la
photo du président de la Républi­
que sur le tract. « Emmanuel
Macron est le président de tous les
Français, il n’a investi personne, il a
donc toute sa place sur le docu­
ment », estime M. Sellier.
Une autre bataille se joue sur les
réseaux sociaux, où le passé poli­
tique du candidat « marcheur »
est régulièrement pointé du doigt
par ses opposants. Photos auprès
de Christine Boutin, anciens
posts critiquant la politique du
président ou moquant le para­
chutage d’Adrien Taquet aux
législatives, les chefs de file du
« pôle centriste » de la majorité
cherchent clairement à discrédi­
ter leur concurrent. « A partir du
moment où l’on nous dit qu’on
n’est pas macronistes, on démon­
tre qu’on l’est sûrement plus
qu’Alexandre Brugère », explique
l’adjoint UDI à la culture. « Ça
prouve bien qu’en politique, tous
les coups sont permis », analyse,
quant à lui, M. Brugère.
D’ailleurs, plusieurs élus de la
majorité municipale affirment
avoir porté plainte contre leur
ancien collègue pour « violation
du RGPD ». Ils l’accusent d’avoir
inscrit, à leur insu, de nombreuses
personnes aux boucles de mail et
aux newsletters de sa campagne.
Pour les deux équipes, il reste plus
de quatre mois de campagne jus­
qu’au verdict des urnes.
sacha nelken

SUR LA FORME, LE TRACT 


DISSIDENT S’INSPIRE 


FORTEMENT DE CEUX 


DISTRIBUÉS PAR LE PARTI 


PRÉSIDENTIEL


A Paris, la police municipale fait débat


Anne Hidalgo n’est plus opposée à l’idée, mais d’autres candidats à la Mairie, comme
Rachida Dati ou Benjamin Griveaux, veulent aller plus loin et promettent d’armer les agents

A


quatre mois des élec­
tions, la création d’une
police municipale se
réinvite dans le débat politique
parisien. Longtemps opposée à
pareille initiative, la maire socia­
liste Anne Hidalgo avait annoncé
en janvier y être devenue favora­
ble, pensant sans doute retirer à
ses opposants un argument­clé
pour la campagne : impossible
dorénavant de l’accuser de
laxisme. Le sujet vient pourtant
d’être relancé par d’autres candi­
dats. Avec une critique montante :
faute de doter les policiers d’ar­
mes de poing, le projet de la maire
socialiste ne serait pas sérieux.
Investie mercredi 6 novembre
par Les Républicains (LR) comme
tête de liste pour Paris, Rachida
Dati a immédiatement mis en
avant sa volonté d’instituer « une
police municipale armée affectée
en priorité à la lutte contre la
délinquance du quotidien ». C’est
aussi ce que propose le candidat
indépendant Gaspard Gantzer

dans une contribution publiée
jeudi 7 novembre par la fondation
Terra Nova. Pour l’ancien con­
seiller de François Hollande, les
policiers, mêmes municipaux,
sont en effet exposés « à ce qu’il y
a de plus violent dans la société » :
« Toute personne qui porte sur elle
un sigle police devient de fait une
cible. » Ils auraient donc besoin
d’armes pour se défendre.

« Caméras-piétons »
Benjamin Griveaux est désor­
mais sur la même ligne. Le candi­
dat officiel de La République en
marche (LRM) à Paris plaidait
jusqu’à présent pour des policiers
équipés de Taser et de lanceurs de
balles de défense (LBD). Depuis
mardi, il souhaite qu’ils disposent
aussi d’armes létales des pistolets.
« J’ai changé d’avis car j’ai rencon­
tré d’anciens grands flics qui m’ont
convaincu : il faut protéger ceux
qui nous protègent, a­t­il expliqué,
mercredi, lors d’une visite dans le
20 e arrondissement de la capitale.

A Lyon et Marseille, les policiers
municipaux sont déjà armés, et
est­ce qu’il y a des bavures? Non. »
Le principal adversaire d’Anne
Hidalgo défend dorénavant la
mise en place d’une police de
5 000 agents armés, formés, et
disposant de « caméras­piétons ».
Cette police serait chargée de mis­
sions liées à « la propreté, au bruit,
aux vendeurs à la sauvette, aux
rassemblements de rue, etc. », afin
que la police nationale puisse se
consacrer à d’autres tâches.
En durcissant son discours, Ben­
jamin Griveaux avance sur le ter­
rain classique de la droite. Il se dis­
tingue davantage de la maire so­
cialiste et de son concurrent ma­
croniste Cédric Villani, qui n’a pas
encore donné sa position précise
sur le sujet. Les écologistes et les
communistes, alliés de la maire
socialiste, s’opposent, eux, à toute
police municipale.
L’équipe d’Anne Hidalgo a
riposté à ces critiques en traitant
Benjamin Griveaux de « gi­

rouette », et en pointant l’incohé­
rence de LRM. Au Sénat, les élus
macronistes qui réclament une
police municipale à Paris ont en
effet rejeté à la mi­octobre un
amendement à la loi dite « enga­
gement et proximité » destinée,
précisément, à créer cette police.
« Cocasse... », a commenté
Colombe Brossel, l’adjointe char­
gée de la sécurité.
Réplique de Benjamin Gri­
veaux : « Cet amendement, c’était
de la com. Rédigé par la Mairie sur
un coin de table, sans lien avec le
sujet de la loi, il ne précisait ni les
missions des futurs policiers, ni
leur formation ni s’ils seraient
armés », a­t­il déclaré mercredi. Il
promet pour sa part un vrai
texte, « juridiquement inattaqua­
ble », qui permettra de mettre en
place « juste après les municipa­
les » la police armée qu’il prône.
Le débat devrait resurgir dès le
passage du projet de loi actuel à
l’Assemblée nationale.
denis cosnard
Free download pdf