Le Monde - 08.11.2019

(Sean Pound) #1

8 |france VENDREDI 8 NOVEMBRE 2019


0123


Hervé Morin : « Nous avons pu


rééquilibrer le rapport de force »


Après deux années à la tête de Régions de France, le Normand


passe la main à son homologue de la région Sud, Renaud Muselier


RENCONTRE


H


ervé Morin, président
de la région Norman­
die, a transmis le re­
lais, mercredi 6 no­
vembre, à son homologue de la ré­
gion Sud (Provence­Alpes­Côte
d’Azur), Renaud Muselier. Après
deux ans passés à la tête de Ré­
gions de France, il aura été marqué
par les relations tumultueuses en­
tre l’exécutif et les collectivités ter­
ritoriales ainsi que par la création,
à son initiative, de Territoires unis,
qui rassemble l’Association des
maires de France (AMF), l’Assem­
blée des départements de France
(ADF) et Régions de France, sous le
haut patronage du président du
Sénat, Gérard Larcher.
« C’était ma proposition de ras­
sembler, avec Territoires unis, des
associations d’élus qui ont sou­
vent été en rivalité, ce dont l’Etat
profitait pour enfoncer un coin, se
félicite M. Morin. Cela a été le mo­
ment où nous avons pu rééquili­
brer, sinon inverser, le rapport de
force avec l’exécutif. On a au moins
pu passer d’une relation de con­
descendance et de mépris à une
certaine écoute à partir du mo­
ment où il a pu constater que nous
parlions d’une seule voix. »
Lancé lors du congrès de Ré­
gions de France à Marseille, en
septembre 2018, Territoires unis
est devenu le fer de lance d’une
opposition qui s’est restructurée
à partir des territoires, même si
ses porte­parole se défendent de
toute démarche politique. L’an­
cien ministre de la défense de Ni­
colas Sarkozy assure : « J’ai en mé­
moire la bienveillance que bon

nombre d’entre nous pouvaient
avoir à l’égard du pouvoir macro­
nien à son arrivée. La déception a
été d’autant plus grande lors du
discours du Sénat, en juillet 2017.
L’exécutif se trompe quand il pense
que nous sommes nourris d’arriè­
re­pensées politiques. S’il avait eu
plus d’écoute, de respect et de bien­
veillance à l’égard des territoires,
ceux­ci n’auraient pas été la base
arrière de l’opposition nationale. »
Toujours est­il qu’au fil des mois
les relations entre le pouvoir exé­
cutif et les trois principales asso­
ciations d’élus se sont considéra­
blement dégradées, les motifs
d’incompréhension ne cessant de
s’accumuler. Si M. Morin revendi­
que quelques succès, comme le
transfert de l’orientation aux ré­
gions, il déplore « des arbitrages
contraires aux engagements du
chef de l’Etat sur la gestion du
deuxième pilier de la PAC [politi­
que agricole commune] et sur
l’apprentissage ». La loi du
5 août 2018, qui signe la fin du
pouvoir de régulation des régions
en matière d’apprentissage, a été
vécue comme un coup de poi­
gnard. « Contrairement à ce que
dit le gouvernement, les résultats

en progression de l’apprentissage
sont ceux des régions, peste
M. Morin. En revanche, nous
aurons demain des trous immen­
ses dans des territoires ruraux ou
semi­ruraux en matière de forma­
tion par alternance du fait de la ré­
forme Pénicaud. »
Depuis la crise des « gilets jau­
nes », l’exécutif a tenté, sans vrai­
ment y parvenir, de rétablir des
relations plus apaisées avec cha­
cune des trois associations, qui
font bloc, en particulier contre la
réforme de la fiscalité locale liée à
la suppression de la taxe d’habita­
tion. Si Régions de France est peu
concernée par le projet de loi « en­
gagement et proximité » actuelle­
ment en discussion au Parle­
ment, elle attend beaucoup, en re­
vanche, du projet de loi dit « 3D »


  • décentralisation, différencia­
    tion, déconcentration – qui de­
    vrait être présenté au deuxième
    trimestre 2020, après les élec­
    tions municipales.


« L’équation se joue à trois »
« Ce que j’attends, c’est d’abord l’af­
firmation du principe qu’une par­
tie de la transformation et de la
réussite du pays passera par les
territoires et les libertés locales. En­
suite, la manifestation de la con­
fiance que l’Etat peut avoir envers
les collectivités et non plus cette es­
pèce de suspicion permanente, dé­
fend M. Morin. Pour les régions,
j’attends que la totalité du champ
économique soit désormais dans
nos mains. J’attends la possibilité
d’expérimenter et de différencier.
J’attends que l’on mette de la clarté
et que l’on supprime tous les dou­
blons : l’Etat doit faire le ménage

chez lui et le ménage doit être fait
entre l’Etat et les territoires. J’at­
tends enfin qu’on laisse aux terri­
toires le soin de s’organiser. »
En laissant la présidence de
Régions de France à M. Muselier,
outre l’engagement qu’il avait
pris auprès ce dernier, M. Morin
entend aussi pouvoir s’impliquer
plus librement dans la campagne
présidentielle de 2022 : « Ce qui est
sûr, c’est qu’en 2022, un des diffé­
renciants majeurs dans les projets
politiques se fera autour de la lec­
ture de l’efficacité de l’action publi­
que. Il s’agira de savoir si la France
s’engage réellement dans un sys­
tème girondin de subsidiarité. Je
constate que tous ceux qui, à
droite, sont potentiellement candi­
dats à l’élection présidentielle sont
issus des territoires. »
Si, pour l’heure, le paysage n’est
pas encore décanté à droite, il
affiche clairement son choix en
faveur de François Baroin, dont il
espère qu’il se dévoilera après les
municipales, lorsqu’il passera lui
aussi la main à la présidence de
l’AMF. « Je pense que l’équation se
joue à trois. C’est soit Pécresse, soit
Baroin, soit Bertrand, poursuit
M. Morin. Tout le monde connaît
ma proximité avec Baroin. Je
pense qu’il incarne une droite
humaniste, comme Bertrand in­
carne à sa façon une droite popu­
laire et Pécresse une droite urbaine
et moderne. Je laisse le soin à Fran­
çois Baroin de dire ce qu’il a en
tête. » Comme il le disait lors de
son discours de rentrée à Epre­
ville­en­Lieuvin (Eure), début sep­
tembre, « la reconquête passera
par les territoires ».
patrick roger

Benalla et le complot des « hommes en gris »


Dans un livre, l’ancien chargé de mission se pose en victime des hauts fonctionnaires


A


lexandre Benalla a l’ave­
nir devant lui. A 28 ans, il
s’habille et vit en homme
d’affaires, vise le marché de la sé­
curité privée en Afrique, et fait dé­
filer depuis des mois dans les pala­
ces parisiens des journalistes, pro­
fession qui depuis toujours raffole
des personnages comme lui. Mais
l’ancien chargé de mission à l’Ely­
sée s’imagine aussi en élu local,
candidat sans étiquette aux élec­
tions municipales de mars 2020 à

Saint­Denis (Seine­Saint­Denis).
Pour s’imposer, il lui fallait un li­
vre : Ce qu’ils ne veulent pas que je
dise, qui paraît jeudi 7 novembre
chez Plon (288 pages, 19 euros).
Sur les différents volets de l’af­
faire qui porte son nom et lui vaut
une dizaine de mises en examen,
Alexandre Benalla ne change pas
de version. Il maintient que, le
1 er mai 2018, place de la Contres­
carpe à Paris, il a agi en bon « ci­
toyen » en aidant les policiers à

procéder à une interpellation
mouvementée. Il se serait même
vu « décoré » pour cela. S’il a conti­
nué à utiliser les passeports diplo­
matiques après son licenciement
lors de voyages d’affaires en Afri­
que ou au Moyen­Orient, c’était
une « erreur » due à la négligence.
Il continue d’affirmer n’avoir joué
aucun rôle dans le contrat signé,
quand il était en poste à l’Elysée,
entre une société montée par un
de ses proches et l’industriel russe
Iskandar Makhmudov, qui cher­
chait des gardes du corps. Ce con­
trat fait l’objet d’une enquête pré­
liminaire pour corruption.

« Ce bon directeur »
De son observation de la vie au
Château, Alexandre Benalla rap­
porte quelques anecdotes insoli­
tes (la préparation des obsèques
de Johnny Hallyday avec « Mimi »
Marchand et la facture du cercueil
envoyée à l’Elysée par le mana­
geur), mais surtout sa haine de
tous ceux qui vivent en « parasites
sur la bête étatique, profitant des
bienfaits du système grâce au sé­
same d’un diplôme » et, plus géné­
ralement, des hauts fonctionnai­
res. Il les nomme « les hommes en
gris ». Ses têtes de turc : Patrick
Strzoda, « ce bon directeur » du ca­
binet du président (qui ne l’a pas
ménagé devant la commission
d’enquête du Sénat) et son supé­
rieur hiérarchique à la chefferie de
cabinet, François­Xavier Lauch,
auquel il prête cette réplique lors­
qu’il lui demande de renforcer la
sécurité de Brigitte Macron : « S’il
[lui] arrive quelque chose, est­ce
qu’on aura un problème institu­

tionnel? » Pour M. Benalla, c’est
« le deep state – l’Etat profond –
[qui] dirige la France en regardant
les politiques passer ». Le jeune
chargé de mission dit ne pas avoir
pas leurs méthodes : « Je ne sais
pas louvoyer. Je fonce tête baissée.
L’inaction et la prudence sont leur
seconde nature – pas la mienne. »
Trop proche du chef de l’Etat, il
devient « l’homme à abattre » ; sa
réforme de la sécurité de l’Elysée,
au sein d’une direction de la sécu­
rité de la présidence de la Républi­
que délestée du contrôle du mi­
nistère de l’intérieur, aurait scellé
sa chute. L’ancien garde du corps
invente alors un vrai complot : de
mystérieux « promoteurs du dos­
sier de la Contrescarpe » auraient
utilisé les images de l’échauffou­
rée du 1er­Mai et ficelé un « dossier
(...) remis clés en main à quelques
journalistes ; c’est Le Monde qui
s’en emparera ».
Un énarque trouve grâce à ses
yeux : Emmanuel Macron, héros
caché de ce livre. De lui, Benalla ne
livre que quelques mini­secrets


  • Macron assidu de la salle de
    boxe, Macron se promenant inco­
    gnito dans la rue « casquette en­
    foncée jusqu’aux yeux et col re­
    levé ». Il n’en était pas le plus pro­
    che, mais reste « sans doute celui
    qui a le plus “collé” au patron ». Un
    samedi de mai 2017, il l’a même...
    remplacé. C’était la veille de la vic­
    toire à la présidentielle, dans la
    Cour carrée du Louvre. Un grand
    jour : pour préparer la cérémonie
    du lendemain, il avait servi de
    doublure lumière au président.
    ariane chemin
    et françois krug


« Pour les
régions, j’attends
la possibilité
d’expérimenter et
de différencier »
HERVÉ MORIN
président de la région
Normandie

Incertitudes sur l’avenir


de la redevance télé


La perception de cette taxe est couplée
à la taxe d’habitation amenée à disparaître

C’


est un serpent de mer
qui risque de revenir
dans l’actualité. Alors
qu’un rapport sur la réforme de la
contribution à l’audiovisuel pu­
blic émanant du ministère de la
culture et de Bercy doit être remis
dans les prochains jours, le deve­
nir de la redevance audiovisuelle
semble plus incertain que jamais.
Le ministre de la culture, Franck
Riester, a pourtant assuré à plu­
sieurs reprises que cette taxe


  • mal comprise par les Français,
    qui souvent ne savent pas qu’elle
    finance France Télévisions, Radio
    France, Arte ou France Médias
    Monde – serait pérennisée.
    Mais sa réforme prend l’allure
    d’un casse­tête. Aujourd’hui, sa
    perception auprès de 28 millions
    de foyers est couplée à celle de la
    taxe d’habitation : les deux
    impôts figurent sur un même
    avis envoyé chaque année à
    l’automne, et payable avant la
    mi­novembre. Ce mode de col­
    lecte avait été choisi afin de
    réduire le coût de perception et de
    toucher un maximum de foyers.
    Mais la taxe d’habitation,
    supprimée par tiers depuis 2018,
    doit disparaître totalement l’an
    prochain pour 80 % des Français,
    et d’ici à 2023 pour les 20 % les plus
    aisés. Comment, dès lors, préser­
    ver la perception de la redevance
    sans faire exploser son coût?
    Parmi les pistes de réflexion, le
    gouvernement songe à adosser
    cette taxe à l’impôt sur le revenu.
    Problème : moins de la moitié des
    foyers fiscaux y est assujettie. En
    outre, au sein d’un même foyer,
    les individus – des concubins, des
    colocataires, etc. – peuvent décla­
    rer séparément leurs revenus. Le
    rapport, qui devait à l’origine être
    rendu le 30 juin, doit proposer des
    pistes évitant cette double taxa­
    tion, et tous les effets de bords qui
    pourraient naître de la réforme.


Un média qui perd du terrain
Enfin, le gouvernement ne profi­
terait­il pas de cette réforme pour
modifier le mode de calcul de la
redevance, en fixant par exemple
son montant – aujourd’hui de
139 euros par an, et de 138 euros
en 2020 – en fonction de la taille
du foyer fiscal (célibataire ou avec
enfants)? Politiquement explo­
sive, cette piste, évoquée par Le
Figaro du 6 novembre, a été
démentie par le premier ministre,
Edouard Philippe, mercredi soir.
« On n’a aucun projet de moduler le
paiement de la redevance en fonc­
tion de la composition de la fa­
mille », a indiqué le premier
ministre sur BFM­TV.
Pour concocter cette réforme,
Bercy et le ministère de la culture

regardent ce qui se fait à l’étranger.
En Allemagne, tous les foyers sont
taxés, même ceux qui ne possè­
dent pas de téléviseur. Une source
d’inspiration pour tous ceux


  • plusieurs rapports du Sénat ont
    plaidé en ce sens – qui militent de­
    puis longtemps pour l’élargisse­
    ment de cet impôt au­delà des
    propriétaires de petit écran, un
    média qui perd du terrain face aux
    tablettes et autres smartphones.
    En Suède, l’impôt est proportion­
    nel aux revenus, et en Italie, il est
    associé à la facture d’électricité.
    Le flou autour de la redevance
    inquiète les dirigeants de l’audio­
    visuel public, au­delà du débat
    technique. En effet, le finance­
    ment de la télévision et de la radio
    publiques n’est pas sanctuarisé
    dans le projet de loi audiovisuel,
    qui doit être présenté en conseil
    des ministres en novembre, et dé­
    battu au Parlement début 2020.
    « L’indépendance de l’audiovi­
    suel public repose notamment sur
    la certitude d’avoir une taxe affec­
    tée. Si demain, ces recettes sont
    reversées au budget de l’Etat, ce­
    lui­ci pourra facilement décider de
    moins financer un média qui lui
    déplaît », souligne l’un des
    patrons du public, rappelant que
    le texte est censé mettre à jour la
    loi de 1986 sur les médias, et doit
    donc être robuste dans le temps,
    sans se soucier des couleurs poli­
    tiques qui pourraient être au
    pouvoir. Le gouvernement a ga­
    ranti à la télévision et à la radio
    publiques une trajectoire budgé­
    taire jusqu’à 2022. Mais après?
    Fin mars, au moment du grand
    débat, le ministre de l’action et des
    comptes publics, Gérald Darma­
    nin, avait jeté un pavé dans la mare
    en suggérant de supprimer pure­
    ment et simplement la redevance,
    qui a rapporté 3,2 milliards d’euros
    net en 2018. « Cela coûte cher
    d’adresser un impôt seul qui rap­
    porte à peu près 120 euros (...). Je l’ai
    proposé au président de la Républi­
    que et au premier ministre », avait
    indiqué l’ancien membre du parti
    Les Républicains. Finalement, le
    chef de l’Etat avait choisi de baisser
    plutôt l’impôt sur le revenu. Mais
    mi­mai, Edouard Philippe avait
    précisé que « compte tenu de la
    suppression à terme de la taxe
    d’habitation, il faudra qu’on se
    pose la question du financement de
    l’audiovisuel et peut­être de la
    redevance », une fois la première
    totalement supprimée.
    En 2018, Bercy avait envisagé
    d’amputer le budget de France Té­
    lévisions de 800 millions d’euros.
    De quoi donner des sueurs froi­
    des à l’audiovisuel public.
    sandrine cassini
    et audrey tonnelier


J U S T I C E
Lafarge en Syrie :
la justice annule
les poursuites
La cour d’appel de Paris a
annulé, jeudi 7 novembre,
la mise en examen de Lafarge
pour « complicité de crimes
contre l’humanité ». L’entre­
prise de construction est ac­
cusée d’avoir financé des
groupes terroristes en Syrie
pour maintenir l’activité
d’une de ses usines. La justice
maintient la mise en examen
pour « financement du terro­
risme », « violation d’un em­
bargo » et « mise en danger de
la vie » d’anciens salariés.

PA R L E M E N T
Damien Abad élu
président du groupe LR
de l’Assemblée
Damien Abad a été élu, mer­
credi 6 novembre, président
du groupe LR de l’Assemblée
nationale. Le député de l’Ain a
obtenu 64 voix contre 37 pour

le député de l’Eure­et­Loir Oli­
vier Marleix. Il prend ainsi la
succession de Christian Jacob.

I M M I G R AT I O N
Deux camps de migrants
démantelés à Paris
La Préfecture de police et la
préfecture d’Ile­de­France ont
ordonné, jeudi 7 novembre,
l’évacuation de deux camps
de migrants dans le nord­est
parisien. Plus de 1 600 per­
sonnes ont été conduites vers
des gymnases et des centres
d’accueil.

É D U C AT I O N N AT I O N A L E
58 suicides d’agents
sur l’année 2018-
Selon des chiffres du minis­
tère de l’éducation, onze
agents se sont suicidés
depuis la rentrée et 58 sur
l’année scolaire 2018­2019.
Cela représente un taux
de 5,85 cas de suicide sur
la base de 100 000 personnes,
a indiqué le ministère.

Chaque
dimanche
16H-17H

Aurélie
Luneau

L’esprit
d’ouver-
ture.

En partenariat
avec

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l’environnement
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