Le Monde - 15.11.2019

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VENDREDI 15 NOVEMBRE 2019 sports| 13

Bardet : « J’ai perdu de vue le coureur que j’étais »


Le cycliste français explique pourquoi, en 2020, il privilégiera le Tour d’Italie au détriment du Tour de France


ENTRETIEN
vaujany (isère) ­ envoyé spécial

C


e que trois mois sans
vélo font du bien à un
cycliste... Romain Bar­
det a abandonné son
masque de souffrance du Tour de
France et retrouvé de l’allant
après la plus longue coupure de sa
carrière. Il a révélé, mercredi
13 novembre, son intention de
faire l’impasse sur le Tour de
France en 2020, pour la première
fois depuis 2012. Autant pour ac­
complir son fantasme du Tour
d’Italie et se donner une chance
d’être champion olympique que
pour briser la spirale de l’échec
qui menaçait, comme il le dit.

Vous disiez, lors du Tour
de France, l’urgence de « faire
éclore d’autres choses »
en vous. Quelles sont­elles?
Etre là où on ne m’attend pas. Ar­
rêter de courir comme si j’avais
quelque chose à défendre... Je fais

plein de choses qui ne ressem­
blent pas au coureur que j’étais à la
base. Malgré toute ma bonne vo­
lonté, malheureusement, c’est ce
que je suis devenu. J’ai perdu de
vue ce que j’étais vraiment. La ré­
pétition des choses m’a fait perdre
mon éclat. Ma vraie nature, c’est
de courir chaque course comme si
c’était la dernière de ma carrière.

C’est un discours que vous
tenez chaque année,
sans le concrétiser en course...
Je suis persuadé que je vais y
arriver en 2020. Je n’ai tellement
pas pris de plaisir avec mon
schéma que je ne le reproduirai
pas. En me reposant un peu, en
ayant les idées claires, je sais da­
vantage où je veux aller.

Où allez­vous?
Il me fallait retrouver la base :
fraîcheur et envie. Le reste, ça va.
On aura beau avoir de meilleurs
protocoles d’entraînement, aller
en altitude, si l’on n’a pas ces deux

piliers, ça ne marchera pas. La fraî­
cheur, surtout psychologique, a
progressivement disparu. Tout
me ramenait toujours à un seul
événement. L’achat d’une ba­
guette de pain, de yaourts, des
amis à la maison... « Le Tour, le
Tour, le Tour... » Je me demandais :
« En fait, qui je suis, si je ne fais pas
le Tour? » C’était une impasse.
Cela ne me plaisait plus. Je ne pou­
vais plus continuer. Chaque an­
née, je renonçais au calendrier al­
ternatif dont je rêvais. Je n’arrivais
pas à m’engager. L’année 2020 s’y
prête, avec ces parcours des Jeux
olympiques et du championnat
du monde. C’est une occasion qui
ne reviendra pas.

Cette décision de ne pas être
sur le Tour de France, dont
vous avez été vainqueur
d’étapes, maillot blanc, maillot
à pois et deux fois sur le po­
dium, a­t­elle été difficile?
Bien sûr, ce n’est pas une déci­
sion qui se prend à la légère. Mais
il n’y a pas de frustration. Ce n’est
pas parce que je l’aurai manqué
une année que le lien est cassé. Vi­
ser le Giro va me permettre de sor­
tir de mes schémas. C’est pour moi
une véritable seconde jeunesse. Je
pense que les situations que je vais
découvrir sur le Giro me feront
grandir en tant que coureur.

Le parcours du Tour de France
2020 semble à votre avantage,
tandis que le Tour d’Italie pro­
pose trois contre­la­montre.
On imagine que cela n’a pas été
simple de privilégier le second.

On n’a pas fait le choix en fonc­
tion des parcours, même si le Giro
me semble plus adapté car, en
dernière semaine, il peut se pas­
ser des choses folles. Il y a des éta­
pes très longues, avec beaucoup
de dénivelés, donc de la matière
pour provoquer des situations de
courses plus débridées que sur le
Tour de France. Le kilométrage
contre­la­montre [58 km] fait que
j’irai avec beaucoup de prudence,
sans savoir ce que je peux espérer,
mais il y en avait autant cette an­
née et ce n’est pas un rouleur qui a
gagné [mais le grimpeur équato­
rien Richard Carapaz].

Votre coéquipier belge Oliver
Naesen dit que votre envie
de tout bouleverser, il l’a sentie
dès avant le dernier Tour
de France, sur le Critérium
du Dauphiné...
C’est sûr. L’échec du Tour, je l’ai
senti venir depuis longtemps Je
n’ai pas attendu la Planche des Bel­
les Filles [il perd plus d’une minute
lors de la sixième étape] pour sa­
voir. Ce n’était pas physique – j’ai
sans doute voulu compenser par
trop d’entraînement, mais mon
physique me pardonne souvent
des choses. C’était un contexte
psychologique par rapport à mon
histoire avec le Tour de France. Le
stimulus, qui m’a fait me trans­
cender sur le Tour de France et me
rendait meilleur que mon niveau
de base sur cette course, n’était
plus là. Je ne dépassais plus ma
souffrance. Je ne l’acceptais plus.
Bien sûr, l’ego en a pris un coup.
Mon amour­propre a été blessé.

Vous êtes­vous imposé trop
de contraintes parce que
les résultats ne suivaient pas?
Clairement. J’en ai remis une
couche à l’entraînement, et ça m’a
grignoté mentalement. Tout a
déraillé après ma chute sur le
Tour de Catalogne, le 31 mars. Au
lieu de prendre du recul, j’essayais
de rattraper le temps perdu – je
suis un peu entêté – et je me suis
mis complètement à l’envers. A
chaque course où je me suis mis
la pression, où j’étais attendu, je
me suis planté.
Cet automne, j’ai tout remis à
plat. Mon rapport au vélo est en
train de changer. Il sera peut­être
moins méticuleux. Jusque­là,
j’avais l’impression que plus je
poussais les choses, plus ça mar­
chait. En 2019, je me suis rendu
compte que le mieux était l’en­
nemi du bien. Si tout ce que je fais
est au détriment de la fraîcheur
et de l’envie, ça peut se révéler
contre­productif.

Vous êtes en fin de contrat à
l’issue de la saison prochaine.
Vous faut­il changer d’air,

rejoindre une équipe où vous
auriez moins d’obligations
envers le sponsor et où
la pression serait partagée
plus équitablement?
On a le terreau parfait pour
changer cela en 2020. La main, je
la laisse. Paris­Nice, Dauphiné,
Tour de France, il n’y aura pas Bar­
det. La nouvelle génération incar­
née par Pierre Latour va pouvoir
éclore, je lui souhaite du fond du
cœur. Et moi, je vais me décharger
de tout cela. On en revient à une
chose : il n’y avait pas tellement
d’autres options.
A un certain point, il faut savoir
lâcher les choses et dire : « O.K. les
gars, à vous maintenant. » Je n’ai
jamais revendiqué d’être la figure
unique et je suis content que
cette année tous les talents puis­
sent s’exprimer.

Pendant le Tour de France,
vous souligniez le travail de la
Groupama­FDJ autour de Thi­
baut Pinot. Diriez­vous même
chose d’AG2R­La Mondiale?
Il y a toujours eu la volonté de
bien faire les choses. J’ai eu beau­
coup d’écoute et je suis reconnais­
sant de ce que le sponsor et le ma­
nageur Vincent Lavenu ont fait.
Après, on sait que pour mener un
projet à long terme, il faut une
certaine constance dans ce qui est
annexe à la performance, le maté­
riel notamment. Ce sont des cho­
ses qu’il faut arriver à figer. Une
équipe se construit sur des fortes
têtes, mais aussi là­dessus.
propos recueillis par
clément guillou

« Viser le Giro
va me permettre
de sortir de mes
schémas. C’est
pour moi une
véritable seconde
jeunesse »

Fabien Galthié esquisse sa feuille


de route à la tête du XV de France


Le nouveau sélectionneur des Bleus a présenté, mercredi, son staff


montgesty (lot) ­ envoyé spécial

J


amais ils n’auront vu autant
de monde à Montgesty. » Ve­
nue de Lavercantière, à 8 km
de là, Françoise Feliu n’aurait
raté pour rien au monde ce jour
où Montgesty, 335 habitants, au
cœur du Lot, s’est improvisé « cen­
tre de la France du rugby ». Mer­
credi 13 novembre, aux alentours
de 11 heures, il y avait presque un
embouteillage de piétons dans la
rue principale du village, tous ve­
nus répondre à l’invitation de Fa­
bien Galthié, le nouveau sélec­
tionneur du XV de France.
En matière de mise au vert, diffi­
cile de faire mieux que la bour­
gade, fief de la famille Galthié. A la
recherche « d’authenticité, de
calme et de sérénité », l’ancien capi­
taine des Bleus a choisi, pour lan­
cer son mandat, qu’il place sous le
signe d’un retour aux fondamen­
taux, d’organiser le premier sémi­
naire de son nouveau staff sur les
« terres de son enfance ».
Grâce à « M. le maire », Jean­Noël
Galthié – qu’au civil, il appelle
« papa » –, le technicien a convo­
qué le ban dans la salle munici­
pale pour présenter son projet
pour les quatre années à venir.
Alors bien sûr, Montgesty n’a pas
de club de rugby. Et Fabien Gal­
thié, s’il est bien natif de Cahors,
reste un enfant de Tournefeuille,
dans la périphérie toulousaine,
où sa famille s’est installée, et où
son père s’est investi dans le club
de rugby. Ce qui donne à l’opéra­
tion les allures d’un décor érigé
pour marquer l’occasion.
« Depuis dimanche, on a com­
mencé à construire une feuille de
route dont la finalité est de rega­
gner, vite, des matchs et des titres,
pour rentrer à nouveau dans le top
3 mondial », présente Fabien Gal­
thié. Après des années de disette,

et une élimination en quart de fi­
nale du Mondial 2019 face au Pays
de Galles, la France aspire à « rede­
venir une nation majeure » de
l’ovalie, enchaîne Raphaël Ibanez,
ancien capitaine et nouveau ma­
nager général des Bleus.
Après avoir « ferraillé ensemble »
sur les terrains, les deux hommes
composent un binôme « comme
une évidence » : à Galthié le ter­
rain, à Ibanez ce qu’il y a autour et
en dehors, à commencer par les
relations avec les clubs, guère en­
clins à lâcher leurs joueurs.

« Tout poser à plat »
Si Montgesty abrite une « cha­
pelle des Pénitents bleus », l’enca­
drement français n’est pas « venu
à confesse » dans le Lot, sourit Fa­
bien Galthié, qui a pris le pouls du
XV de France lors de la prépara­
tion au Mondial, en tant qu’ad­
joint de Jacques Brunel. Il ne sou­
haite pas faire table rase du passé,
mais « tout poser à plat ».
Outre Galthié et Ibanez, le staff
de l’équipe de France est désor­
mais composé de l’Anglais Shaun
Edwards, chargé de la défense,
Laurent Labit, pour les arrières, Ka­
rim Ghezal et William Servat, pour
les avants, et Thibault Giroud, res­
ponsable de la performance.
Si elle a ébauché ce qu’entendent
faire Galthié et Ibanez, notam­
ment mobiliser 42 joueurs par
rassemblement – ce qui passe par
un nouvel effort d’indemnisation
des clubs –, cette présentation
n’aura pas permis d’entrer dans
les détails du nouveau projet bleu.
On retiendra la volonté de Gal­
thié d’instaurer « un rugby intelli­
gent, capable de s’adapter », afin
de faire face au « très disruptif
rugby international ». Compren­
dre, être en mesure de créer des
étincelles sur le terrain. « Une li­
gne qui monte plus vite, plus de

plaquage à deux, plus de replace­
ment intelligent », résume le spé­
cialiste de la défense Shaun Ed­
wards, débauché du XV gallois.
« On doit redéfinir l’identité du
rugby à la française », insiste Ra­
phaël Ibanez. Un ADN où la « ca­
pacité à improviser », retrouvée
par moments lors de la Coupe du
monde, aura sa place, mais « dans
un cadre à construire ensemble »,
estime Fabien Galthié. Avec cinq
socles à ériger : « Notre rugby, no­
tre projet, notre chemin, notre
identité et notre exigence. »
En filigrane de l’ordre de mis­
sion des Bleus, l’objectif d’un sa­
cre mondial à domicile, en 2023,
n’est pas évoqué. « On ne s’est pas
fixé de temps, ni de compétition,
insiste l’entraîneur. On veut ga­
gner des matchs, vite. » Une ma­
nière d’évacuer la pression.
Quelques changements sont
déjà à relever, notamment un pre­
mier pas vers une préparation
mentale des rencontres. « On a
commencé à travailler avec un faci­
litateur, pas un mentor ni un gou­
rou, qui a une approche qui permet
de libérer les énergies et de chasser
les pensées nocives, qui arrivent vite
dans le haut niveau », dit Galthié.
Dans quatre semaines, le staff
des Bleus se réunira dans la
maison landaise d’Ibanez. D’ici là,
il aura complété la liste des
75 joueurs à qui il entend faire ap­
pel : cinq joueurs par poste, s’ap­
puyant sur les récents mondialis­
tes et « des potentiels qui vont se
révéler », visant à « limiter le turno­
ver » pour « créer de la complicité ».
Fin 2023, à l’heure de dresser le
bilan de Fabien Galthié à la tête des
Bleus, peut­être écrira­t­on que
« tout a commencé à Montgesty ».
Mais à l’instar des coteaux du Lot
qui y mènent, la route est longue
et sinueuse jusque­là.
clément martel

Son programme en 2020


A l’image de ses objectifs principaux – Tour d’Italie (9-31 mai),
épreuve en ligne des Jeux olympiques de Tokyo (25 juillet),
championnat du monde en Suisse (27 septembre) –, Romain Bar-
det a construit sa saison 2020 sur quelques épreuves par étapes
et courses d’un jour. Dans la première catégorie figurent le Tour
Down Under en Australie, où il fera sa reprise (21-26 janvier),
Tirreno-Adriatico (11-17 mars), le Tour des Alpes (20-24 avril), le
Tour de Pologne (5-11 juillet), le Tour d’Espagne (14 août-6 sep-
tembre). En ce qui concerne les « classiques », le Français s’ali-
gnera sur les Strade Bianche en Italie (3 mars), où il avait fini
deuxième en 2018. Il sera aussi présent à Liège-Bastogne-Liège
(26 avril), la « doyenne », où il s’était classé troisième en 2018.

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