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ÉCONOMIE & ENTREPRISE
VENDREDI 15 NOVEMBRE 2019
0123
berlin correspondance
L
e suspense aura duré jus
qu’au bout, mais le ver
dict est enfin connu. Au
troisième trimestre, l’éco
nomie allemande a fait quasi
ment du surplace. Le produit in
térieur brut (PIB) de la locomotive
économique européenne a très
légèrement progressé de 0,1 % en
tre juillet et septembre, selon les
données publiées jeudi 14 novem
bre par l’office fédéral de la statis
tique (Destatis). En d’autres cir
constances, ce résultat peu relui
sant aurait été jugé bien décevant.
Mais étant donné que de nom
breux experts craignaient un re
cul de l’activité économique, il ap
porte un soulagement. Après une
baisse de 0,2 % de son PIB entre
mars et juin (chiffre corrigé après
une première estimation à
- 0,1 %), l’Allemagne courait le ris
que d’entrer en récession techni
que, définie par les économistes
comme deux trimestres consé
cutifs de contraction de l’activité.
Récession ou pas, la distinction
était, pour les experts, avant tout
d’ordre sémantique. « Dans les
faits, avec 0,1 % de plus ou de moins,
la dynamique économique dans sa
globalité ne change pas beau
coup », analyse Stefan Kooths, di
recteur du centre de prévisions
conjoncturelles de l’Institut pour
l’économie mondiale (IfW) de Kiel.
« La discussion autour d’une réces
sion technique est d’un intérêt li
mité, souligne l’économiste. Ce qui
est clair, c’est que l’activité indus
trielle est bel et bien en récession. »
En effet, dans le secteur manu
facturier, épine dorsale du mo
dèle économique allemand, les
mauvaises nouvelles s’accumu
lent depuis déjà un an. La dernière
déception remonte à la semaine
dernière. Jeudi 7 novembre, Des
tatis annonçait que la production
industrielle allemande avait re
culé de 0,6 % en septembre, après
un léger répit en août. La pre
mière économie européenne fai
sait beaucoup moins bien que la
zone euro, où la production in
dustrielle augmentait de 0,1 % en
septembre, selon Eurostat. Et par
rapport à septembre 2018, l’acti
vité manufacturière outreRhin
accuse une chute de 4,3 %.
Taux de chômage stable
Fortement orientée vers l’expor
tation, l’industrie allemande est
plus exposée que celle de ses par
tenaires européens aux vicissitu
des du conflit douanier entre les
EtatsUnis et la Chine, ainsi
qu’aux incertitudes liées à un
Brexit qui s’éternise. Mois après
mois, les chiffres de la machine
exportatrice allemande sont en
dents de scie. Ils étaient meilleurs
que prévu en septembre, avec un
bond de 1,5 % par rapport au mois
précédent, mais cette belle sur
prise faisait suite à une baisse de
0,9 % en août.
Grâce à ce bon mois de septem
bre, les exportations allemandes
ont grimpé de 4,6 % sur un an,
pour s’établir à 114,2 milliards
d’euros. Mais l’année 2019 ne de
vrait pas finir en beauté pour le
commerce extérieur germani
que. La Fédération allemande des
chambres de commerce et d’in
dustrie (DIHK) pronostique une
« minicroissance » de 0,3 % des
exportations cette année, suivie
d’une baisse de 0,5 % en 2020. Le
bond de 3 % des exportations alle
mandes en 2018 semble décidé
ment bien lointain.
« L’affaiblissement de la conjonc
ture économique mondiale et le
ralentissement du rythme des
échanges commerciaux ont un
fort impact sur les exportations al
lemandes », résume Ilja Nothna
gel, membre du comité directeur
de la DIHK. « Les perspectives sont
inquiétantes pour notre écono
mie. Et elles vont le rester », dé
plore l’expert. Malgré la sinistrose
ambiante, l’économie allemande
dans son ensemble devrait néan
moins connaître un rebond au
quatrième trimestre et terminer
cette année éprouvante sur une
note positive. L’institut économi
que de Stefan Kooths, l’If W de
Kiel, table sur un accroissement
du PIB de 0,4 %. C’est tout juste
plus pessimiste que les 0,5 % que
prévoit le ministère de l’écono
mie. L’économiste explique ce ti
mide rebond par une consomma
tion des ménages « robuste ».
En 2020, l’économie allemande
devrait commencer à voir enfin le
bout du tunnel. Les chercheurs de
l’IfW, tout comme le gouverne
ment, pronostiquent une hausse
de 1 % de l’activité économique
outreRhin, avec toutefois un lé
ger bémol : près de la moitié de
l’accroissement prévu sera due au
moins grand nombre de jours fé
riés. « D’ici au milieu de l’année
prochaine, la reprise cyclique de
vrait arriver, prédit M. Kooths.
Mois après mois,
les chiffres
de la machine
exportatrice
allemande sont
en dents de scie
Mais bien entendu, le contexte
économique mondial reste impré
visible. »
Et malgré cette conjoncture mo
rose, le marché du travail conti
nue de bien se porter outreRhin.
Avec 6 000 demandeurs d’emploi
supplémentaires en octobre, le
taux de chômage est resté stable,
à 5 %, soit juste audessus du plus
bas historique de 4,9 % atteint au
printemps. Pour Stefan Kooths, le
marché de l’emploi connaît un
« tournant » : l’expansion record
de la population active de ces der
nières années est en passe de s’in
terrompre. Mais compte tenu du
million de postes non pourvus,
une explosion du chômage reste
peu probable.
La situation est toutefois préoc
cupante dans certains secteurs en
difficulté. L’industrie sidérurgi
que allemande pourrait ainsi sup
primer 1 500 de ses 90 000 em
plois, selon un rapport de l’insti
tut économique RWI publié en oc
tobre. Et dans l’automobile, c’est
pire. « Fournisseurs inclus, ce sec
teur détruira, dans le pire des cas,
125 000 postes en Allemagne au
cours des cinq prochaines an
nées », pronostique Ferdinand
Dudenhöffer, directeur du Center
Automotive Research de l’univer
sité de DuisbourgEssen. Mais les
difficultés que traverse l’industrie
automobile allemande ne sont
pas simplement liées à la con
joncture économique actuelle, et
seront plus longues à résorber.
L’économie allemande, elle,
peut espérer pour bientôt le re
tour de jours meilleurs. Voilà qui
devrait conforter Berlin dans son
refus de toute politique de re
lance budgétaire, malgré les ap
pels de Paris ou du Fonds moné
taire international. Comme nom
bre de ses confrères allemands,
l’économiste Stefan Kooths ap
prouve l’orthodoxie de Berlin. « Si
une crise économique devait écla
ter, l’Etat devrait, bien sûr, aban
donner le “zéro noir” [de l’équili
bre budgétaire], concèdetil.
Mais à l’heure actuelle, cela n’a pas
lieu d’être. »
jeanmichel hauteville
L’Allemagne échappe de justesse à la récession
La première économie européenne a très faiblement progressé entre juillet et septembre (+ 0,1 %)
Depuis début 2018, une Allemagne à la peine et une France qui résiste
Taux de croissance du PIB, en %
Sur l’année 2019
6
4
2
0
- 2
- 4
- 6
5,
2,9 2,
3,
-0,
0,
0,3 0,
3,
2,
4,
3,
1,
0,
5,7– 5,
2,9– 2,
- 1 – 0,
France
France
Allemagne
Allemagne
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 *
Des problèmes structurels aggravés par la réunication
(manque de compétitivité, taux de cotisations élevés...)
et la préparation à l'arrivée de l'euro font de l'Allemagne
l'homme malade de l'Europe .
Le ralentissement mondial et des taux
d'intérêt élevés (pour lutter contre
l'ination) aectent l'Allemagne.
La France n'échappe pas
à la récession, mais résiste mieux.
L'Allemagne est touchée de plein fouet par le marasme issu de la
crise des subprimes. La France, moins dépendante de la
conjoncture internationale, est moins violemment impactée.
La mauvaise conjoncture
internationale et les diicultés
de son industrie automobile pèsent
sur les exportations de l'Allemagne
et, donc, sur sa croissance.
La France peut, elle, compter sur
sa consommation intérieure pour
encaisser le choc.
* Prévisions. Sources : Insee, Destatis, FMI, ministère de l’économie allemand Infographie Le Monde
La crise de la zone euro pénalise
l'Allemagne, qui voit ses débouchés
européens se tarir.
La France est aectée, mais dans
une moindre mesure.
T2 T
La CDU et le SPD s’accordent sur une « retraite de base »
Les partis de la grande coalition ont évité une crise qui aurait pu faire éclater le gouvernement d’Angela Merkel
berlin correspondant
A
ngela Merkel peut souf
fler. En trouvant un ac
cord sur la création
d’une « retraite de base » (Grun
drente), dimanche 10 novembre,
les chefs de file du Parti socialdé
mocrate (SPD) et de l’alliance
conservatrice (CDUCSU) ont
évité à la chancelière allemande
une crise qui aurait pu faire écla
ter sa grande coalition. Ainsi, de
puis le début de l’année, de nom
breux dirigeants du SPD répé
taient que l’adoption de cette ré
forme était une condition
essentielle de leur maintien au
gouvernement, tandis que plu
sieurs ténors de la CDUCSU lais
saient entendre qu’un compro
mis était devenu, à leurs yeux,
pratiquement inenvisageable.
La réforme doit bénéficier aux
travailleurs qui ont cotisé pen
dant au moins trentecinq ans et
dont les revenus mensuels sont
inférieurs à 1 250 euros pour un
célibataire et 1 950 euros pour un
couple. Entre 1,2 et 1,5 million de
personnes devraient être concer
nées, principalement des fem
mes et des habitants d’exAllema
gne de l’Est, selon le ministère du
travail.
Dans leur « contrat de coali
tion » signé en février 2018, les
conservateurs et les sociauxdé
mocrates avaient bien prévu l’ins
tauration d’une retraite de base.
Mais la formulation alors retenue
était suffisamment floue pour
que chacun des partenaires
puisse défendre, par la suite, sa
propre conception de la réforme.
Ces derniers mois, la CDUCSU
répétait qu’elle souhaitait condi
tionner le versement de la retraite
de base à la situation patrimo
niale des personnes concernées.
Le SPD a obtenu que seuls les re
venus des intéressés soient pris
en compte, afin que les retraités
modestes ayant une petite épar
gne ou possédant leur logement
bénéficient aussi de la réforme.
En moyenne, le coup de pouce
devrait être de 70 euros par mois.
Mais pour les plus pauvres, il
pourrait être beaucoup plus
élevé. Selon le ministère du tra
vail, une coiffeuse ayant cotisé
quarante ans au niveau du salaire
minimum verrait ainsi sa retraite
passer de 512 à 960 euros par
mois.
A quelques jours du second tour
de l’élection à la présidence du
SPD, qui doit se dérouler du 19 au
29 novembre et auquel sont con
viés les 435 000 adhérents du
parti, l’accord sur la retraite de
base est une bonne nouvelle pour
les sociauxdémocrates, parti
sans du maintien au gouverne
ment, en quête de « trophées » à
présenter à leurs électeurs.
A l’instar du ministre des finan
ces, Olaf Scholz, dont la candida
ture à la présidence du SPD est
combattue par l’aile gauche du
parti. Sans surprise, le vicechan
celier a qualifié la réforme
d’« avancée spectaculaire sur le
plan de la politique sociale ». A ses
yeux, l’adoption de celleci prive
d’un argument majeur les con
tempteurs de la grande coalition
au sein du SPD.
Parmi ces derniers, certains ont
admis à demimot que le compro
mis trouvé dimanche les mettait
en difficulté. C’est le cas du député
Karl Lauterbach, candidat à la pré
sidence du SPD battu au premier
tour et partisan d’une sortie du
gouvernement. « La retraite de
base n’est certes pas la solution
pour éradiquer la pauvreté des per
sonnes âgées, mais c’est un progrès
important que l’on doit au SPD.
Même un adversaire de la grande
coalition doit le reconnaître », atil
déclaré, lundi, sur Twitter.
Fronde circonscrite
A droite, la réforme suscite davan
tage de réserves. D’abord à cause
de son impact sur les finances pu
bliques, son coût étant estimé à
environ 1,5 milliard d’euros par an
à partir de son entrée en vigueur,
en janvier 2021. Ensuite, et plus
fondamentalement, parce que
beaucoup estiment qu’en cher
chant à tout prix à s’entendre avec
le SPD sur la création d’une re
traite de base Mme Merkel a sur
tout évité le sujet qui fâche, celui
d’une réforme structurelle du sys
tème des retraites.
Parmi les économistes et les re
présentants du patronat, nom
breux sont ceux qui considèrent
en effet que la loi actuelle, entrée
en vigueur en 2012 et qui prévoit
un relèvement progressif de l’âge
du départ à la retraite de 65 à
67 ans jusqu’en 2031, doit être ré
visée. Le débat ne date pas d’hier.
Avant les législatives de 2017, le
ministre des finances, Wolfgang
Schäuble (CDU), aujourd’hui pré
sident du Bundestag, avait évo
qué la possibilité d’un âge de dé
part à 70 ans. Tout récemment, la
Bundesbank (banque centrale) a
relancé la discussion en propo
sant, dans son dernier rapport
mensuel, publié le 21 octobre, de
relever l’âge légal du départ à la re
traite à 69 ans et quatre mois.
Au vu des critiques formulées
contre le projet de retraite de base
par plusieurs dirigeants conser
vateurs, certains observateurs es
timaient qu’en cas de compromis
trouvé avec le SPD Annegret
KrampKarrenbauer, la prési
dente de la CDU, aurait beaucoup
de mal à le faire accepter par ses
troupes. Depuis dimanche, la
fronde est toutefois restée cir
conscrite. Lundi, c’est à une large
majorité – trentesept voix pour,
trois voix contre – que la direction
du parti a validé l’accord négocié,
la veille, par la « dauphine » de
Mme Merkel.
thomas wieder