Le Monde - 15.11.2019

(coco) #1
0123
Vendredi 15 novembre 2019
Critiques| Littérature|

3


Dans « Quatre idiots en Syrie »,


l’écrivain Christophe Donner


raconte une visite (très) guidée


d’un pays dévasté par la guerre


Alors, la Syrie?


Portrait de Bachar Al­Assad, à Qardaha, dans l’ouest de la Syrie, en 2005. REA/SHAWN BALDWIN/THE NEW YORK TIMES

jean birnbaum

E


n 1974, Roland Barthes
partit en Chine avec une
délégation du mouve­
ment d’avant­garde Tel
quel. A son retour, il publia dans
Le Monde un texte intitulé « Alors,
la Chine? ». Il n’y laissait rien
percer du malaise qui avait été le
sien lors de ce périple solidement
encadré par le régime maoïste.
Pourtant, comme allaient le révé­
ler, bien plus tard, les notes prises
pendant ce périple, c’est un
profond dégoût qui l’avait alors
envahi. Ses Carnets du voyage en
Chine, parus en 2009 chez
Christian Bourgois, l’attestent :
constamment surveillé, baladé de
fermes exemplaires en usines
rêvées, l’auteur des Mythologies
avait été accablé par l’avalanche
de « briques », terme par lequel il
désignait les clichés propagandis­
tes, les stéréotypes cimentés. En
visite dans une famille modèle, il
notait par exemple : « Le vieux
place ses briques, à jet continu. »
Ou encore, passant du substantif
à l’adjectif : « Le vieux est parti­
culièrement briqué. »
Quarante­cinq ans plus tard,
toutes choses étant égales par
ailleurs, Christophe Donner a
choisi d’aller directement à la
case malaise. Promené à travers
la Syrie, avec trois autres Français,
par un rabatteur du régime, l’écri­
vain n’en est pas revenu avec un
article à prétention théorique,
mais avec un journal de la nausée.
Pas plus que Barthes, cependant,
il ne manifeste un quelconque

regret : oui, il s’est fait manipuler,
mais c’était très excitant, semble­
t­il dire. A la page 83 de son récit,
intitulé Quatre idiots en Syrie,
l’auteur l’assume sur le ton de la
bravade. Après avoir précisé que
l’agent du régime qui les a trim­
ballés de palaces en réceptions
fastueuses, lui et ses compa­
gnons, avait auparavant organisé
plus d’une excursion de ce type,
et notamment un voyage de
curieux « gilets jaunes » convain­
cus que « si l’entité sioniste avait
gagné en Syrie, Daesh serait
aujourd’hui à Damas en train
d’organiser la Gay Pride avec Tel­
Aviv », Donner écrit : « Aurais­je
décliné l’invitation (...) si j’avais su
que notre hôte avait fait venir
avant nous une bande de gilets
jaunes homojudéophobes? Je ne

crois pas. Je suis même certain que
j’y serais allé avec encore plus de
curiosité. (...) On peut qualifier cela
d’imprudence, de naïveté, mais
qu’on m’accorde aussi ce brin de
sournoiserie qui me tient lieu de
courage. »
Maintenue avec un humour
forcené, l’équivoque donne à ce
livre son épaisseur humaine, son
poids d’infamie, sa puissance
d’élucidation, aussi. La désin­
volture de sa plume permet à
Donner de fixer et d’éclairer les

« briques » qui pleuvent sur cette
curieuse « délégation française »
emmenée par un autre écrivain,
Jean­Louis Gouraud. Passionné
par le monde équestre, celui­ci a
été invité par un certain Adnan
Azzam, dont la vocation
est de recruter des
« amis » pour la Syrie,
au grand Festival du
cheval qui se tient à
Damas. Azzam est une
figure haute en couleur,
qui s’est rêvée numéro
un du parti Baas, et qui
a finalement dû se
contenter d’en être un
zélateur périphérique.
Marié à une Française,
un temps animateur d’une asso­
ciation de défense des Parisiens, il
a lui­même signé un livre intitulé
Le Cavalier de l’espoir, publié chez
Stock en 1989, où il raconte son
« tour du monde » à cheval.
Le voilà donc qui cornaque les
quatre visiteurs français, à com­
mencer par ce Jean­Louis Gou­
raud dont il veut faire croire à ses
compatriotes qu’il est le petit­fils
du général Gouraud (1867­1946),
figure de l’armée coloniale et
jadis haut commissaire de la

République française en Syrie.
Azzam répète à qui veut l’enten­
dre que le descendant de Gou­
raud, ennemi juré de tous les
« colonialismes », est venu pré­
senter ses excuses au peuple
syrien. Or le célèbre général n’a
jamais eu d’enfants, les services
de renseignement de Bachar Al­
Assad ne tardent pas à s’en souve­
nir, tout comme Jean­Louis Gou­
raud lui­même, qui se laisse gen­
timent enfermer, le temps de
quelques interviews télévisées,
dans ce personnage de rejeton
extravagant.
Tout cela n’est pas si grave, dira­
t­on. Cela donne même lieu à
quelques « absurdités shakespea­

quatre idiots en syrie,
de Christophe Donner,
Grasset, 154 p., 17 €.

riennes » propres à susciter un rire
obscène. Azzam peut présenter
Gouraud comme le plus grand
écrivain français, accouru pour
parler « au nom des millions
d’Européens et de Français qui
considèrent que la Syrie est le ber­
ceau de la civilisation », bref il peut
raconter n’importe quoi, de toute
façon ses invités ne parlent pas un
mot d’arabe. Et puis, il faut bien
l’admettre, au Sheraton de Damas,
« le lit est bon ». Partout ailleurs, les
banquets sont festifs, les dignitai­
res chaleureux, les juments très
dociles, les portraits de « Bachar »
spectaculaires, et les danses folk­
loriques adorables. Les choses
sont si bien faites que la guerre ne

Le dédale gothique de César Aira


« Prins » est un texte fou, entre fantastique et policier, rêve et réalité


ariane singer

Y


a­t­il une vie possible
après la littérature? Rien
n’est moins sûr, à en
juger par le nouveau
roman de l’écrivain argentin César
Aira. Son protagoniste, un auteur
de romans gothiques à grand
succès, a décidé d’arrêter d’écrire.
Il est conscient de la « faible qua­
lité » de sa production, qu’il juge
être un « ramassis déplorable », à
mille lieues de ses ambitions lit­
téraires initiales. Mais comment
meubler le temps laissé libre par
cette retraite anticipée?
C’est dans l’opium que l’homme
croit trouver son salut, non pas
tant pour les vertus créatives de
cette drogue que pour ses effets,
plus terre à terre, sur la dépres­
sion. Son périple, dans les rues
de Buenos Aires, à la recherche
du précieux stupéfiant, va le
conduire à faire d’étranges ren­
contres : un certain « Huissier »,
dealer et gardien d’une boutique
nommée « l’Antiquité », ainsi
qu’une mère au foyer, Alicia, croi­
sée dans un bus, qui rappelle au
narrateur un amour de jeunesse.
La formidable capacité de César
Aira à embarquer le lecteur très
loin de ce à quoi celui­ci aurait pu

s’attendre se confirme une nou­
velle fois dans ce roman en forme
de puits sans fond où chaque
scène semble s’ouvrir sur une
nouvelle et déroutante galaxie
imaginaire. L’opium, enfin déni­
ché, s’avère ainsi être un énorme
cube blanc, de « la taille d’un
lave­linge », lequel abrite, en son
centre, la seule clé de la porte de
l’Antiquité qui permettrait au
dealer de rentrer chez lui, une fois
la drogue consommée...

Séquestration
Mêlant à loisir roman policier
et fantastique, César Aira s’ins­
crit, avec un plaisir du jeu com­
municatif, dans la lignée de Jorge
Luis Borges (1899­1986), son maî­
tre en littérature. Tout comme
dans une des nouvelles de
Fictions (1944), où un certain
Pierre Ménard se contentait de
retranscrire Don Quichotte à
l’identique, le protagoniste d’Aira
doit sa gloire littéraire et son
immense fortune au fait d’avoir
recopié mot pour mot les classi­
ques de la littérature gothique.
Mais si l’auteur se rit de ce genre
et surtout de ses motifs imposés
(château, jeune fille emprison­
née, spectres...), c’est pour mieux
le ressusciter au sein même de
son histoire, dans une pirouette
aussi drôle que vertigineuse.
Brouillant les frontières entre
le réalisme et le rêve, Aira consa­
cre de fait une partie de son récit

à mettre en scène la séques­
tration d’Alicia dans la demeure
de son romancier raté, laquelle
se révèle être un dédale avec
force portes dérobées, dans la
plus pure tradition gothique.
Où l’écrivain, croyant pouvoir se
détourner d’une forme de lit­
térature qu’il abhorrait, se
retrouve à la reproduire dans
la « vraie » vie...
A travers cette maison grandis­
sant à l’infini, qui s’inspire d’un
édifice gothique de Buenos Aires


  • une œuvre, inachevée, de
    l’architecte Arturo Prins –, c’est
    tout le rapport à la littérature,
    avec ses possibilités innombra­
    bles en matière de fiction, qu’in­
    terroge ici cette parodie pince­
    sans­rire. Aira y brocarde, en
    passant, l’avant­garde derrière
    laquelle s’abritent certains
    auteurs pour masquer leurs
    carences, « sous prétexte d’inno­
    vation ou de transgression ». Se
    plaçant résolument loin de tout
    genre identifiable, l’écrivain signe
    ici, comme à son habitude, un
    texte fou, pour le simple plaisir
    du texte. Et démontre que s’il
    existe une vie sans littérature,
    celle­ci doit être bien vide.


prins,
de César Aira,
traduit de l’espagnol (Argentine)
par Christilla Vasserot,
Christian Bourgois,
170 p., 15 €.

se ressent nulle part, ni dans les
conversations ni à la télévision.
En Syrie, depuis 2011, entre
300 000 et 500 000 personnes
ont été tuées, 1,5 million sont
devenues invalides, et 6 millions
ont fui à l’étranger. Mais la « délé­
gation française » venue assister
au festival équestre n’en saura
rien, ou ne voudra rien en savoir,
ou fera semblant de ne pas vou­
loir le savoir. « C’est l’avantage des
dictatures où la police politique
protège les étrangers de toute es­
pèce de contact avec les popula­
tions locales », résume Donner,
qu’Adnan Azzam aime introduire
en disant qu’il est « un des plus cé­
lèbres écrivains de livres pour en­
fants au monde »... Et, de fait,
Donner le lui rend bien, tant son
récit peut se lire comme un conte
loufoque centré sur ce person­
nage au « sourire magnifique »
et à la médiocrité désarmante,
dont l’activisme sur les réseaux
sociaux et les propos crânement
décousus, entre élucubrations
géopolitiques et « briques » anti­
sémites, fascinent les « idiots inu­
tiles » débarqués de France.
« Tant qu’on croit qu’Adnan
Azzam est un individu réel, c’est
insupportable, on a envie de le gifler
mais, dès qu’on a compris qu’il
s’agit d’un personnage de théâtre,
on commence à l’aimer, tellement il
nous fait rire », note­t­il. Et ce rire,
comme dans les contes pour
enfants, est un avertissement. Car,
sous la plume de Donner, Azzam
incarne une certaine vérité de
l’époque : le toupet comme affir­
mation de la volonté, le délire
comme mode de domination, le
narcissisme comme outil de
soumission. En bref, la sanglante
frivolité de notre temps.

Maintenue avec
un humour forcené,
l’équivoque donne
à ce livre son épaisseur
humaine, son poids
d’infamie, sa puissance
d’élucidation, aussi

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