Le Monde - 23.10.2019

(C. Jardin) #1

10 |france MERCREDI 23 OCTOBRE 2019


0123


La prévention de la récidive


au cœur de la réforme pénale


Le plus important contingent de créations de postes dans la justice


en 2020 ira aux services pénitentiaires d’insertion et de probation


L


eur mission est très
largement méconnue du
grand public, pour qui
souvent la justice se joue
entre les tribunaux et leurs
magistrats, d’un côté, et les pri­
sons et leurs surveillants, de
l’autre. Les services péniten­
tiaires d’insertion et de proba­
tion (SPIP), qui ont pour mission
première la prévention de la réci­
dive, sont pourtant aujourd’hui
au cœur des préoccupations
du ministère de la justice. A
preuve, ils ont obtenu pour 2020
le plus important contingent de
création de postes.
Sur les 1 520 emplois supplé­
mentaires pour le ministère de
la justice inscrits dans le projet
de budget, 400 reviennent ainsi
aux services pénitentiaires d’in­
sertion et de probation. La loi de
programmation et de réforme
pour la justice du 23 mars a en ef­
fet prévu de créer 1 500 postes
dans les SPIP sur le quinquennat.
Avec les 1 100 postes qui ont suivi
le plan Taubira de 2014, la filière
insertion et probation aura vu
ses effectifs passer de 4 000 à
6 600 en neuf ans. Aucune autre
administration de l’Etat n’a vu
une croissance de ses effectifs
dans cette proportion (+ 65 %).

Qualité très disparate
Cet effort spectaculaire vient
d’abord combler un retard criant
dont souffrent ces équipes plu­
ridisciplinaires qui prennent en
charge aujourd’hui 246 000 per­
sonnes placées sous main de jus­
tice, dont 71 710 étaient détenues
au 1er juillet. La plupart (près de
175 000) sont donc suivies en mi­
lieu ouvert dans le cadre d’alter­
natives aux poursuites décidées
par les procureurs, ou de mesu­
res de contrôle judiciaire, de bra­
celet électronique, d’alternative
à la prison ou d’aménagement
de peine décidées par les juges.
Si les SPIP comptent notam­
ment des psychologues ou des
assistants de service social, ils re­
posent surtout sur des con­
seillers pénitentiaires d’inser­
tion et de probation. Ces derniers
suivent en moyenne près de 85
personnes sous main de justice,

alors que la norme européenne
est autour de 50 par agent. Des
conditions déplorables pour
prendre en charge une popula­
tion par définition difficile. L’ad­
ministration pénitentiaire veut
ramener ce ratio à un conseiller
pour 60 personnes en 2022.
Mais, dès mars 2020, avec l’en­
trée en vigueur du volet de la ré­
forme de la justice portant sur
l’efficacité et le sens de la peine,
les attentes vont redoubler sur
les SPIP. La chancellerie travaille
à crédibiliser d’ici là l’action des
SPIP auprès des magistrats, du
siège comme du parquet. Car
sans confiance entre ces deux
univers de la justice, l’ambition
de la réforme risque de se dégon­
fler rapidement. « Les juridictions
sont dans un discours assez abs­
trait sur ce que peuvent leur ap­
porter les SPIP, ils ont une mé­
connaissance des dispositions
existantes et des outils », observe­
t­on au ministère de la justice.
Or les 103 SPIP répartis sur les
départements disposent d’une
grande autonomie, avec une
qualité très disparate. Certaines
régions souffrent aussi d’une
difficulté de recrutement et d’un
important turnover. D’où le re­
cours à des contractuels. Ils sont
aujourd’hui 69 conseillers péni­
tentiaires à ne pas être passés
par l’Ecole nationale d’adminis­
tration pénitentiaire.
Il a fallu attendre 2018 pour
qu’un premier manuel des prati­
ques opérationnelles soit diffusé
à l’ensemble des SPIP pour pro­
fessionnaliser et uniformiser la
démarche. L’administration tra­

vaille à une stratégie de forma­
tion continue pour 2020. L’une
des missions désormais assignée
aux SPIP est l’évaluation du ris­
que de récidive d’un individu.
Un travail criminologique pluri­
disciplinaire qui va bien au­delà
de la vérification des obliga­
tions probatoires d’une per­
sonne sous main de justice ou de
son accompagnement pour la
réinsertion sociale.
Pour faire la démonstration
que la réforme des peines aura
un effet mesurable notamment
sur la surpopulation carcérale, la
chancellerie a choisi onze juri­
dictions pilotes qu’elle accompa­
gne pour sa mise en œuvre. Les
suppléments d’effectifs de 2020
devraient y être affectés en prio­
rité. Les nouvelles méthodes de
travail aussi.

Choix de la facilité
La direction de l’administration
pénitentiaire élabore ainsi une
trame pour les enquêtes de per­
sonnalité pré­sententielles. Ces
recherches sur la situation fami­
liale, sociale et professionnelle
d’un prévenu sont parfois trop
lapidaires pour éclairer un tribu­
nal lorsqu’il sera en situation de
choisir entre une peine de pri­
son, une peine de semi­liberté,
un bracelet électronique ou un
travail d’intérêt général. Réali­
sées par les SPIP ou par des asso­
ciations habilitées, elles répon­
dent aujourd’hui à des exigences
très variables selon les juri­
dictions. L’idée est de les unifier
sur le territoire et d’imposer un
standard d’enquêtes beaucoup
plus fouillées et répondant aux
besoins des juges.
L’un des objectifs assignés à la
réforme est que le choix de la
peine de prison par les tribunaux
ne soit pas celui de la facilité. « Le
dossier unique de personnalité,
dans lequel le juge pourra retrou­
ver les différentes enquêtes et
rapports produits dans le temps
sur une même personne, donnera
aux juridictions un outil inédit.
Ils constateront ainsi le travail
cumulatif des SPIP et des associa­
tions sur lequel ils pourront s’ap­
puyer », estime Stéphane Bredin,

le directeur de l’administration
pénitentiaire.
« La plate­forme numérique du
travail d’intérêt général que l’on
teste avec succès dans quatre juri­
dictions est un outil qui, pour la
première fois, met à disposition
de toutes les parties au procès,
parquet, avocats et juges, l’offre
de peines avec un niveau de préci­
sion (nature du travail, localisa­
tion, disponibilité) qui permet de
s’assurer de la pertinence d’une
mesure et de sa mise en place ef­
fective, favorisant ainsi son pro­
noncé par la formation de juge­
ment », précise­t­il. « De même,
l’agrément des structures de pla­
cement extérieur sur lequel on
travaille constituera un signal de
sérieux rassurant pour les juridic­
tions. » L’information sur les dis­
ponibilités de placement exté­
rieur pourrait d’ailleurs rejoin­
dre la plate­forme du TIG, qui
doit être généralisée en 2020.
Pour développer l’assignation à
résidence sous surveillance élec­
tronique en lieu et place de la dé­
tention provisoire le temps
d’une information judiciaire, les
juges d’instruction et les juges
des libertés et de la détention
vont devoir prendre l’habitude
de travailler avec les SPIP. Une ré­
volution culturelle alors que la
France souffre d’un taux record
de détention provisoire : près de
30 % des personnes détenues
sont présumées innocentes.
Quant à la libération sous
contrainte, censée devenir la rè­
gle pour exécuter le dernier tiers
d’une peine de prison de cinq ans
ou moins, son succès dépendra
de la capacité des services d’in­
sertion de probation à prendre
en charge sans délai ces sortants
de prison pour les intégrer dans
des programmes collectifs et/ou
un suivi individuel. La qualité
des partenariats locaux noués
avec les associations et les servi­
ces sociaux est alors essentielle.
C’est une véritable montée en
gamme qui est demandée au
SPIP. Elle reste soumise à la
question des moyens pour atti­
rer et conserver les compétences
nécessaires.
jean­baptiste jacquin

La filière
insertion
et probation a vu
ses effectifs
passer de 4 000
à 6 600 en
neuf ans, soit une
augmentation
de 65 %

Pédiatrie francilienne :


des internes forcés


de refaire leur choix


A la suite d’une erreur, treize hôpitaux
allaient commencer l’hiver avec un nombre
insuffisant d’internes en médecine générale

D


es internes en colère
plutôt qu’une « crise
sanitaire » cet hiver dans
les services pédiatriques d’Ile­de­
France. Entre deux maux, l’Agence
régionale de santé (ARS) d’Ile­de­
France a choisi celui qu’elle ju­
geait être le moindre. A la surprise
générale, elle a annoncé, lundi
21 octobre, en début de soirée,
qu’elle relançait la procédure de
choix des quelque 490 internes de
médecine générale de la région
pour le semestre d’hiver 2019.
A la suite d’une erreur d’appré­
ciation des autorités sanitaires,
treize hôpitaux de la grande
couronne parisienne s’apprê­
taient à travailler, à partir du
4 novembre, avec un nombre in­
suffisant d’internes de médecine
générale pour pouvoir maintenir
l’ouverture sept jours sur sept et
vingt­quatre heures sur vingt­
quatre de leurs urgences pédiatri­
ques. « On aurait eu un certain
nombre de services d’urgences que
nous n’aurions pas pu maintenir
cet hiver, on allait vers une crise
sanitaire », assure au Monde Auré­
lien Rousseau, le directeur géné­
ral de l’ARS Ile­de­France.
Après avoir d’abord jugé qu’il
était impossible de reprendre la
procédure à zéro sans risquer un
recours devant le tribunal admi­
nistratif, l’agence sanitaire a fina­
lement découvert lundi matin
qu’« un interne avait pu choisir un
poste alors qu’il avait déjà validé
ses six semestres d’internat de
médecine générale », privant ainsi
« mécaniquement » une autre per­
sonne de cette place. Cet incident
« constitutif d’une atteinte au prin­
cipe d’égalité » a donc permis, se­
lon l’agence, « la relance de la pro­

cédure de choix » de ces internes.
« J’aurais préféré qu’on découvre
cette irrégularité juridique plus tôt,
reconnaît M. Rousseau. Mais dès
lors qu’il y avait une irrégularité,
en termes de santé publique, il n’y
avait pas d’autre décision à pren­
dre que de refaire ce choix. »
Preuve du caractère inattendu de
cette décision, la ministre de la
santé, Agnès Buzyn, qui s’est dite
« extrêmement en colère » de ce
ratage, avait annoncé quelques
heures plus tôt sur LCP/Public
Sénat que l’ARS avait fait le choix
de « donner une prime de 500 euros
par mois aux internes qui accepte­
raient d’aller travailler dans la
grande couronne plutôt que dans
un service dans Paris intra­muros ».

Mécontentement
Une solution pourtant insuffi­
sante. Les jours précédents, seul
un interne s’était dit prêt à chan­
ger de stage et quinze à prendre
des gardes, là où il en aurait fallu le
double. « Il n’y avait pas de bonne
solution », estime M. Rousseau,
reconnaissant que « vérifier cha­
que semaine qu’on avait les lignes
de garde nécessaires », comme
s’apprêtait à le faire l’ARS, « était
une solution préoccupante ».
Sur les réseaux sociaux lundi
soir, plusieurs internes ont fait
part de leur vif mécontentement
après l’annonce de l’ARS. Dans un
post Facebook, les représentants
du syndicat parisien des internes
de médecine générale (SRP­IMG)
se sont dits « indignés et affligés »
de la situation. Sur Twitter, Lucie
Garcin, la présidente de l’Isnar­
IMG, un syndicat national d’inter­
nes de médecine générale, a jugé
« inadmissible de relancer la
procédure à moins de deux semai­
nes du début du semestre ».
La commission de répartition de
médecine générale devait se réu­
nir, mardi, afin de proposer une
nouvelle répartition des postes de
façon que « les hôpitaux de petite et
grande couronne disposent d’un
plus grand nombre d’internes de
médecine générale en pédiatrie ».
françois béguin

J U S T I C E
Fin de l’enquête
sur les attentats
du 13 novembre 2015
Les juges d’instruction char­
gés de l’enquête sur les atten­
tats du 13 novembre 2015,
qui ont fait 130 morts à Paris
et Saint­Denis, ont terminé
leurs investigations, a­t­on
appris, lundi 21 octobre, de
source judiciaire. Cette nou­
velle étape dans la procédure
ouvre un délai d’un mois
pour les observations des
parties et pour les réquisi­
tions du parquet national
antiterroriste, avant une déci­
sion finale sur la tenue d’un
procès, qui n’aura pas lieu
avant un an, au mieux.
Quatorze personnes, dont
onze en détention provisoire,
sont mises en examen, parmi
lesquelles Salah Abdeslam.
Cinq autres suspects, parfois
présumés morts en Syrie
ou en Irak, sont visés par un
mandat d’arrêt. – (AFP.)

Le parquet demande
la confirmation
de la condamnation
du maire de Ouistreham
L’avocat général de la cour
d’appel de Caen a demandé,
lundi 21 octobre, la confirma­
tion de la peine infligée en

première instance au maire
(LR) de Ouistreham (Calva­
dos), Romain Bail – à savoir
un an de prison avec sursis et
5 000 euros d’amende. L’élu
se voit reprocher d’avoir écrit
un faux mail dans lequel
l’association britannique
Normandy Memorial Trust
annonçait à la municipalité
son intention de soutenir
financièrement un projet
de centre sur les relations
franco­britanniques. – (AFP.)

P O L I C E
Villiers-le-Bel :
l’IGPN saisie
L’Inspection générale de la
police nationale (IGPN) a été
saisie dans le cadre de l’en­
quête sur le décès à moto
d’un jeune homme à Villiers­
le­Bel (Val­d’Oise), à proxi­
mité d’une opération de
police, a­t­on appris, lundi
21 octobre, de source proche
du dossier. Vingt­quatre heu­
res après les faits, survenus le
6 octobre, un millier de per­
sonnes s’étaient rassemblées
dans la ville pour réclamer
« la vérité » ; une information
judiciaire a été ouverte trois
jours après le dépôt
d’une plainte de la famille
de la victime pour homicide
volontaire. – (AFP.)

Une permanence LR attaquée à la chevrotine


Le candidat aux municipales à Blois, Malik Benakcha, y voit un acte d’intimidation politique


blois ­ correspondant

L


es impacts encerclent le
portrait du candidat
depuis ce week­end. Dans
la nuit du samedi 19 au dimanche
20 octobre, des coups de feu
ont été tirés sur la vitrine de la
permanence de Malik Benakcha,
30 ans, entrepreneur et candidat
Les Républicains (LR) investi
pour les prochaines élections
municipales à Blois.
« Il n’y a pas eu de blessés et je
pense que ce n’était pas l’intention,
mais on a retrouvé des bouts
de verre jusqu’au fond de notre
local de campagne », explique
M. Benakcha, debout face à la de­
vanture. Une enquête policière est
en cours. Quarante­deux impacts
ont été comptabilisés : deux car­
touches de chevrotine remplies
de plomb ont vraisemblablement
été tirées depuis un véhicule.
Dimanche, en début de soirée,
le maire socialiste de la ville,
Marc Gricourt, candidat pour un
troisième mandat, a fermement

condamné des « actes de dé­
gradation ». Son communiqué,
jugé euphémique par certains
commentaires, a été rapidement
retiré de la plate­forme Facebook.
« Ce n’était pas un simple graffiti
tout de même! J’ai failli répondre
que ce n’était pas loin d’être un at­
tentat », a réagi l’un des sept bé­
névoles de la permanence LR pré­
sents lundi midi, affairés à rem­
plir des centaines d’enveloppes
de leur prochain tract.

« Actes barbares »
Un nouveau message a été publié
par le maire, lundi matin de
bonne heure, où le mot « dégra­
dation » était remplacé par « tir à
arme à feu » et où l’expression
« condamne fermement » laissait
place à « condamne très fer­
mement ». Dans un Tweet, la
fédération PS du Loir­et­Cher a
« condamné des actes barbares »
et apporté à M. Benakcha son
« soutien républicain ».
Le 20 août, des tags avaient été
découverts sur la permanence

blésoise du Parti socialiste. En fé­
vrier, une trentaine de croix gam­
mées et symboles nazis avaient
été peints dans un immeuble de
logements sociaux en construc­
tion, suscitant alors l’émoi parmi
toutes les formations politiques.
Un petit commerçant de la rue
où se sont produits les tirs se
demande ainsi si cette vitrine cri­
blée de balles n’est pas un nouvel
acte xénophobe.
« Il y a sans doute des gens à
Blois qui ne sont pas très heureux

d’être représentés par quelqu’un
qui n’a pas les mêmes origines »,
soupire­t­il avant de rappeler que
les partisans de Nicolas Sarkozy
avaient été chahutés, le soir de la
victoire de François Hollande
en 2017 : « Je me souviens de voitu­
res dont les pneus crissaient de­
vant leur local de campagne, des
jeunes qui klaxonnaient et hur­
laient pour effrayer les gens à l’in­
térieur. La politique ici, c’est tou­
jours un peu électrique. »
M. Benakcha estime qu’il s’agit
uniquement d’un acte d’intimi­
dation politique. « Cela ne fait que
renforcer ma détermination. Il
faut faire de Blois une ville en or­
dre », répète­t­il. Son programme
pour les prochaines élections est
particulièrement axé sur la sécu­
rité. Le candidat souhaite multi­
plier par trois le nombre de camé­
ras de surveillance dans la ville,
armer les policiers municipaux et
faire instaurer des peines plan­
cher de travail d’intérêt général
pour les actes de délinquance.
jordan pouille

Quarante-deux
impacts ont été
comptabilisés :
deux cartouches
de chevrotine
remplies de
plomb auraient
été tirées depuis
un véhicule

« On allait vers
une crise
sanitaire »
AURÉLIEN ROUSSEAU
directeur général de l’agence
régionale de santé
d’Ile-de-France
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