Le Monde - 23.10.2019

(C. Jardin) #1

18 |économie & entreprise MERCREDI 23 OCTOBRE 2019


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2,7 MILLIARDS
C’est le montant, en dollars (2,4 milliards d’euros), du chiffre d’affaires
annuel que pèsent les activités mises en vente par Coty. Le groupe
coté à Wall Street a annoncé, lundi 21 octobre, envisager la cession
de plusieurs de ses marques de produits destinées aux professionnels
de la beauté, dont les colorations Wella et les vernis à ongles OPI, ainsi
que ses activités au Brésil. Le concurrent de L’Oréal et d’Estée Lauder
est à la peine depuis le rachat, en 2015, de Max Factor, Covergirl
et autres marques de produits de beauté et de parfums à son compa-
triote Procter & Gamble pour 12,5 milliards de dollars. – (AFP.)

M É D I A
Daniel Kretinsky
investit dans la
télévision allemande
Czech Media Invest (CMI),
le groupe dirigé par Daniel
Kretinsky (actionnaire indi­
rect du Monde), a annoncé,
vendredi 18 octobre, avoir
acquis 4,07 % du capital de la
société allemande ProSieben­
Sat.1 Media SE grâce à des
achats d’actions sur le marché
pour un montant estimé à
128 millions d’euros. CMI, qui
contrôle 12 magazines en
France, affirme qu’il s’agit de
la première étape de sa nou­
velle stratégie : acquérir des
participations minoritaires de
médias européens attractifs
en termes d’investissements.

C I N É M A
EuropaCorp Films USA
sous procédure
de sauvegarde
Par jugement du 17 octobre,
le tribunal de commerce de
Bobigny a ouvert une procé­
dure de sauvegarde à l’égard
d’EuropaCorp Films USA pour
six mois, a annoncé le groupe
de Luc Besson, lundi 21 octo­

bre. La société espère ainsi
finaliser le projet de plan
de sauvegarde.

I N D U S T R I E
Démission du directeur
général d’Imerys
Le groupe de minéraux
industriels Imerys a abaissé,
mardi 22 octobre, sa prévision
de résultat net courant pour
l’année 2019 et annoncé
la démission de son directeur
général, Conrad Keijzer.
Le groupe prévoit un
bénéfice net courant en recul
de 20 %. – (AFP.)

L’Oréal rachète
les parfums Azzaro
et Mugler
Le groupe a annoncé, lundi
21 octobre, avoir conclu
l’accord de rachat des par­
fums de Clarins. L’Oréal, qui,
sous licence, fabrique déjà les
jus Armani et Saint­Laurent,
met la main ainsi sur les
parfums Azzaro et Mugler.
Cette opération, dont le
montant n’a pas été dévoilé,
lui accorde 340 millions
d’euros de chiffre d’affaires
supplémentaire. – (AFP.)

Après Air India, le gouvernement Modi


engage la privatisation du pétrolier BPCL


L’Inde veut céder de nombreux groupes industriels publics et récolter 13,3 milliards d’euros


bombay ­ correspondance

D


urant son premier quin­
quennat (2014­2019), le
premier ministre indien
Narendra Modi a souvent déclaré
que « le business de l’Etat n’est pas
de faire du business ». Sous en­
tendu : les fleurons de l’industrie
nationale ont vocation à être
privatisés. Mais cet objectif a buté
sur une réalité plus complexe
que prévu, et le gouvernement
d’alors a dû se contenter de céder
quelques participations minori­
taires ici ou là. Et il a échoué à
vendre Air India, qui était pour­
tant sa priorité.
Le leader nationaliste hindou,
réélu triomphalement le 23 mai,
entend profiter de son deuxième
mandat pour changer cette
donne, et même battre le record
réalisé au début des années 2000
par le précédent premier ministre
nationaliste, Atal Bihari Vajpayee.
Rien que pour l’année fiscale
en cours, M. Modi espère faire en­
trer 1 050 milliards de roupies
(13,3 milliards d’euros) de recettes
dans les caisses de l’Etat.
Le 30 septembre, son adminis­
tration a ouvert la voie à la pri­
vatisation du groupe pétrolier
Bharat Petroleum Corporation
Ltd (BPCL), opération qui, à elle
seule, pourrait représenter le tiers
de cette somme, espère le service
de gestion des actifs publics (De­

partment of Investment and Pu­
blic Asset Management, Dipam)
du ministère des finances, soit au
moins 4,4 milliards d’euros, sa­
chant que la participation de
l’Etat au capital s’élève à 53,3 %.
A la Bourse de Bombay, les ana­
lystes financiers sont encore plus
optimistes. Au regard du cours de
l’action, ils valorisaient, ces der­
niers jours, la part de l’Etat entre
6,8 et 7,6 milliards d’euros. BPCL,
qui emploie 12 000 personnes et a
réalisé en 2018 un chiffre d’affai­
res de 43 milliards d’euros pour
un bénéfice légèrement supé­
rieur à 900 millions d’euros, est la
sixième plus grosse entreprise de
l’Inde en volume d’activité.

Dossier stratégique
Sa capacité de raffinage annuelle
approche les 40 millions de ton­
nes, avec quatre usines majeures
situées à Bombay (ouest), Cochin
(sud), Numaligarh (nord­est) et
Bina (centre). Elle possède un ré­
seau de 15 000 stations­service de
carburant (25 % du marché) et de
6 000 stations de distribution de
gaz de pétrole liquéfié.
D’après le cabinet ICICI Securi­
ties, plusieurs géants mondiaux
du secteur auraient d’ores et déjà
pris contact avec Delhi pour se po­
sitionner sur ce dossier straté­
gique. Parmi eux, Total, arrivé en
Inde en 1993 et partenaire, depuis
un an, du conglomérat indien

Adani dans le domaine du gaz
naturel. De passage à Delhi le
14 octobre, le PDG du groupe fran­
çais, Patrick Pouyanné, a souhaité
« stopper cette rumeur », précisant
ne pas être intéressé par le métier
de raffinage dans le sous­conti­
nent. Dans le cadre de son alliance
avec Adani, a­t­il ajouté, Total a
déjà prévu « 600 millions de dol­
lars [538 millions d’euros] de
coûts d’acquisition sur les années
2019­2020 » dans le pays.
Quoi qu’il en soit, la compéti­
tion autour de BPCL s’annonce
rude, puisque six autres candi­
dats seraient sur la ligne de dé­
part : le russe Rosneft, qui s’est
emparé de l’indien Essar Oil
en 2017 pour 12,9 milliards de
dollars, le britannique BP, qui
s’est associé en août à Re­
liance Industries, mais égale­
ment Kuwait Petroleum, Exxon­
Mobil, Shell et Abu Dhabi Natio­
nal Oil Company.
La privatisation de BPCL va
prendre du temps. Si un premier
tour de piste des banques conseils
a démarré le 11 octobre, le gouver­
nement Modi va devoir donner
son feu vert officiel et obtenir
ensuite celui du Parlement, BPCL
ayant été constitué par une loi
spécifique en 1976, lors de la
nationalisation de la société
d’origine fondée dans les années
1920 par l’anglo­néerlandaise
Royal Dutch Shell et l’indien Bur­

mah Oil Company and Asiatic Pe­
troleum. Un obstacle qui avait
d’ailleurs conduit le gouverne­
ment Vajpayee à renoncer à une
première tentative de privatisa­
tion, en 2003.
Par la suite, l’acquéreur aura
obligation de lancer une offre
publique d’achat sur les actions
cotées en Bourse, ce qui renché­
rira l’opération de 3,5 à 4 milliards
d’euros, explique le journal éco­
nomique Mint.
Parallèlement à la vente de
BPCL, l’Etat indien compte tenter
à nouveau de privatiser la compa­
gnie aérienne Air India avant la
fin de l’année, et vendre avant le
31 mars 2020 quatre autres fir­
mes : le constructeur naval Ship­
ping Corporation of India (SCI),
les électriciens Tehri Hydro Deve­
lopment Corporation (THDC) et
North Eastern Electric Power Cor­
poration (Neepco), et la compa­
gnie de fret ferroviaire Container
Corporation of India (Concor).
Dans le domaine aéroportuaire,
il a cédé cet été six aéroports au
groupe Adani et prévoit d’en ven­
dre une bonne vingtaine d’autres
assez rapidement. Dans les trans­
ports terrestres, il a confié près de
700 kilomètres d’autoroutes à
des concessionnaires privés et
prévoit de soumettre prochaine­
ment à péage cent cinquante
autres sections.
guillaume delacroix

Accord dans la crise des opiacés aux Etats­Unis


Un premier arrangement financier entre deux comtés de l’Ohio et des industriels permet d’éviter un long procès


washington ­ correspondance

L


es plaidoiries étaient prê­
tes et une queue s’était
formée dès avant 7 heu­
res du matin devant le tri­
bunal de Cleveland (Ohio), lundi
21 octobre. Mais, après l’un de ces
rebondissements dont le système
judiciaire américain a le secret,
le « procès du siècle » opposant
les fabricants et les principaux
distributeurs d’opiacés à près
de 2 500 plaignants (Etats, villes,
comtés, tribus indiennes, hôpi­
taux...) n’a pas eu lieu.
Dan Polster, le juge fédéral
chargé de ce procès hors norme,
a annoncé au cours de la matinée
qu’un accord avait été trouvé à
1 heure du matin entre les avocats
des entreprises américaines
incriminées – Cardinal Health,
McKesson, AmerisourceBergen,
le laboratoire israélien Teva –, et
ceux des deux comtés de l’Ohio,
dont les plaintes devaient ouvrir
les débats.
L’Ohio est, derrière la Virginie­
Occidentale, l’Etat américain le
plus touché par l’épidémie
d’overdoses liées à la consomma­
tion de médicaments antidou­
leur. Le procès intenté à une cin­
quième entreprise – la chaîne de
pharmacies Walgreens – a, lui, été
reporté sine die.
Selon les termes de l’accord,
les distributeurs d’opiacés verse­
ront 215 millions de dollars (envi­
ron 193 millions d’euros) aux
plaignants, tandis que Teva leur
paiera 20 millions en espèces
et leur fournira l’équivalent de
25 millions de dollars en Su­
boxone, un médicament utilisé
dans le traitement de l’addiction.
L’arrangement évite à toutes les
parties un long et coûteux procès.
Comme l’ensemble des accords
signés ces dernières années ou ac­
tuellement en négociation, il per­
met aux entreprises d’échapper
aux dénonciations publiques et
répétées de leurs pratiques, très

contestées. Cependant, il est loin
de clore le sujet et ne constitue
qu’une infime partie des règle­
ments à venir. Les discussions en
cours pour une solution satisfai­
sant l’ensemble des plaignants
porteraient sur environ 48 mil­
liards de dollars, selon la presse
américaine.

Un enjeu de santé publique
Préparé depuis deux ans, ce pro­
cès devait être le premier, au ni­
veau fédéral, à mettre en évidence
la responsabilité des entreprises
pharmaceutiques dans la crise sa­
nitaire qui ravage les Etats­Unis.
Avec 400 000 morts en vingt ans,
la surconsommation d’opiacés
est devenue, ces dernières an­
nées, un enjeu de santé publique.
Apparue dans les années 1990,
à la faveur d’un traitement dé­
faillant de la douleur dans le
système américain de soins, la
surprescription d’opiacés a été
encouragée par le marketing
agressif des fabricants et des
distributeurs.
Les alertes sur le caractère addic­
tif de ces médicaments n’ont pas
été suffisamment entendues par
les autorités sanitaires et, de ce
fait, ont pu être totalement occul­
tées par les entreprises du sec­
teur. Leurs bénéfices sur ces pro­
duits se chiffrent en dizaines de
milliards de dollars. L’efficacité
de leurs publicités mensongères
leur vaut aujourd’hui d’être
poursuivies devant la justice. Car
l’addiction aux antidouleurs a

débouché, pour des millions
d’Américains, sur une dépen­
dance à l’héroïne puis, plus ré­
cemment, au Fentanyl, une dro­
gue de synthèse cent fois plus
puissante et dévastatrice.
La mise en cause des entreprises
du secteur n’est pas nouvelle,
mais la justice a jusqu’à présent
échoué à faire cesser les pratiques
dénoncées : dès 2001, l’Etat de Vir­
ginie­Occidentale traînait devant
les tribunaux Purdue Pharma, le
fabricant de l’Oxycontin, princi­
pal antidouleur vendu aux Etats­
Unis. En 2004, un chèque de
10 millions de dollars avait per­
mis à l’entreprise d’échapper aux
poursuites. Trois ans plus tard,
devant un juge fédéral, Purdue
avait accepté de plaider coupable

de publicité mensongère et avait
versé 630 millions de dollars
d’amendes. Trois de ses diri­
geants avaient été condamnés à
de fortes amendes et à des heures
de service civique.

Multiplication des plaintes
Malgré ces démêlés judiciaires,
l’entreprise se trouve encore au
cœur de plusieurs plaintes. En
mars, elle a conclu un accord à
l’amiable avec l’Etat de l’Okla­
homa, assorti d’un versement de
270 millions de dollars. Pour
l’heure, les autres plaintes sont
suspendues : Purdue s’est placée
en septembre sous la protection
de la loi des faillites et a proposé
de payer entre 10 milliards et
12 milliards de dollars à l’ensem­

L’addiction
aux antidouleurs
a débouché,
pour des millions
d’Américains, sur
une dépendance
à l’héroïne

ble des plaignants. Plusieurs Etats
ont rejeté l’accord.
Les sommes envisagées mon­
trent le sérieux de la crise et des
accusations. Car, ces dernières
années, les plaintes se sont multi­
pliées et le montant des règle­
ments à l’amiable s’est envolé.
En août, Johnson & Johnson a ac­
cepté de payer 572 millions de dol­
lars au seul Etat de l’Oklahoma
pour financer les coûts induits
par l’épidémie : centre de réhabi­
litation, traitements de substi­
tution, prise en charge des en­
fants de personnes dépendantes
ou décédées, financement des
services publics impliqués (hôpi­
taux, police, justice).
Si l’accord global, portant sur
près de 50 milliards de dollars,

Mark Lanier,
l’avocat
des comtés
de Cuyahoga
et de Summit,
dans l’Ohio,
devant
le tribunal
de Cleveland,
le 21 octobre.
MEGAN JELINGER/AFP

était finalement conclu entre les
parties du procès de Cleveland, il
constituerait le deuxième plus
important règlement financier
depuis celui de 1998 trouvé avec
les cigarettiers américains. Ces
derniers s’étaient engagés à dé­
bourser 200 milliards de dollars
sur vingt­cinq ans.
A l’époque, l’argent avait été
versé au budget des Etats et
n’avait pas forcément bénéficié
aux victimes du tabac. Une erreur
que les avocats des plaignants
s’efforcent de ne pas répéter.
Le coût économique de la crise
des opiacés pour la société améri­
caine est évalué à plusieurs cen­
taines de milliards de dollars cha­
que année.
stéphanie le bars
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