Le Monde - 23.10.2019

(C. Jardin) #1
0123
MERCREDI 23 OCTOBRE 2019 campus| 19

Les punaises de lit, fléau des cités universitaires


Ces insectes buveurs de sang frappent partout en France, obligeant les Crous à réagir


I


l est 2 heures du matin, cette
nuit de septembre, quand
Coline, 19 ans, étudiante en
psychologie de l’université
de Nice, rejoint la résidence
étudiante Baie­des­Anges, sur les
hauteurs de la promenade des
Anglais. Elle croit retrouver la sé­
curité de sa chambre universi­
taire. Mais, derrière la porte, elles
sont six, éveillées, alertes, instal­
lées sur le matelas à attendre la
chaleur d’un corps endormi pour
s’abreuver de son sang. Coline
entre, fait claquer la lumière et
surprend la vilaine troupe : des
punaises de lit.
Branle­bas de combat dans la
résidence universitaire. Malgré
l’heure tardive, le gardien, alerté,
oriente illico l’étudiante vers une
chambre « de secours ». Le lende­
main, les punaises sont élimi­
nées, balayées, ébouillantées à la
vapeur, et la chambre soumise à
une décontamination qui pren­
dra au minimum quinze jours,
temps nécessaire pour s’assurer
que les vampires à six pattes n’ont
pas laissé de descendance entre
les murs.
La punaise de lit est un fléau qui
ne cesse de s’étendre. En 2017,
les professionnels de la désinfes­
tation ont eu à traiter 180 000 si­
tes en France. Deux années plus
tard, ils ont eu à intervenir dans
360 000 endroits. « Les étudiants
sont des victimes, mais ils ne sont
pas les seuls », note Stéphane Bras,
porte­parole de CS3D, chambre
syndicale des métiers de la ges­
tion du risque nuisible. « Nous
intervenons sur tous les lieux de
résidence et de transhumance »,
explique le spécialiste. L’hôtellerie
(même de luxe), les crèches, les
gîtes, les maisons d’hôte, les
logements locatifs, les théâtres, les
cinémas, les bibliothèques sont
les lieux de villégiature préférés
des punaises : elles y trouvent une
quantité d’individus en station de
repos sur lesquels elles pourront
grimper pour se nourrir.

« Difficile psychologiquement »
Quasiment éradiquées après la
seconde guerre mondiale, les
punaises de lit sont bien de
retour en France. La multiplica­
tion des trajets internationaux
depuis le début du millé­
naire ainsi que l’interdiction des
insecticides les plus nocifs
seraient, selon plusieurs spécia­
listes, les principales causes de
leur recrudescence.
Le logement étudiant, habité par
une population particulièrement
mobile et parfois mal informée,
fait également partie des lieux de
prédilection de la punaise de lit.
Les centres régionaux des œuvres
universitaires et scolaires (Crous),
qui s’occupent des logements étu­
diants, « ont pris le sujet à bras­le­
corps », affirme Thierry Bégué,
conseiller chargé de la diversifi­
cation et de la modernisation
de l’hébergement au Centre natio­
nal des œuvres universitaires et
scolaires (Cnous).
Depuis plusieurs rentrées, de
nombreuses résidences, partout
en France, se sont trouvées in­
festées. A Metz (Moselle), sur l’île
du Saulcy, plusieurs étudiants se
plaignent de « bâtiments déla­
brés » où punaises de lit et cafards

« grouillent ». « J’ai demandé à
changer de logement, le Crous m’a
répondu que ma chambre n’était
pas sur la liste de celles à désin­
fester », témoigne Ugur Sulutas,
étudiant ingénieur en mécanique
et production.
Dylan Lecocq, étudiant en his­
toire à l’université de Lille jus­
qu’en 2018, a été logé dans la
résidence Albert­Camus, à Ville­
neuve­d’Ascq (Nord). Il fait partie
des victimes et raconte son cal­
vaire : les premiers indices lais­
sés par les visiteurs sont des ta­
ches noires qui maculent ses
draps – des excréments de punai­
ses, qui ne sont rien d’autre que le
propre sang de l’étudiant que les
punaises ont digéré. Puis il dé­
tecte un insecte, un deuxième...
L’étudiant alerte alors l’adminis­
tration. « On m’a proposé un chan­
gement de matelas. Mais ce n’‘était

qu’un placebo. C’est toute la rési­
dence qu’il fallait bloquer. »
Le week­end, lorsque l’étudiant
rentre en famille, un rituel est mis
en place afin de protéger ses
proches : « Avant même de rentrer
dans la maison, je mettais toutes
mes affaires dans un sac plastique,
je sortais mon ordinateur de son
sac pour le traiter et j’isolais le tout.
Pendant une année, j’ai dû me
dévêtir avant de franchir le seuil de
la porte pour ne pas ravager les
miens. Psychologiquement, c’est
très dur de se dire qu’on risque de
contaminer les autres. Inviter des
amis chez moi était impossible et
me rendre chez les autres était
également pénible », témoigne­
t­il. Une année universitaire
ruinée. Dylan a changé de cur­
sus... et de logement.
« L’insecte n’est vecteur d’aucune
maladie, bien qu’il se nourrisse de

sang », assure le docteur Pascal
Delaunay, parasitologue et ento­
mologiste médical au CHU de
Nice. Il n’y a pas non plus de cor­
rélation entre un défaut d’hy­
giène et la présence de punaises.
Toutefois, les conséquences d’une
infestation sont multiples : les
démangeaisons après les piqûres
sont variables selon le système
immunitaire de chaque individu.
« Certaines personnes n’auront
aucune réaction, d’autres vont
se gratter de la tête aux pieds »,
souligne le médecin.
Mais c’est surtout l’impact psy­
chologique de la présence de
l’animal qui fait de la vie un
enfer. « Savoir qu’un insecte va
vous piquer, vous boire, lorsque
vous allez vous endormir, interdit
de se reposer et peut être difficile
à gérer psychologiquement. Cela
entraîne, pour les personnes les

plus fragiles, un état de stress
post­traumatique et, même bien
après que le problème a été réglé,
ces personnes revivent la situa­
tion passée. Elles se réveillent, per­
suadées qu’elles sont à nouveau
plongées dans ce cauchemar »,
poursuit le docteur Delaunay.

Campagne d’information
Malgré plusieurs sollicitations
auprès de différents Crous
concernés par la lutte contre ce
fléau, seul celui de Nice a répondu
favorablement pour présenter
son « plan d’attaque » contre les
punaises. En 2018, 80 chambres
de deux bâtiments de la résidence
Jean­Médecin étaient infestées.
« Nous avons dû les vider et reloger
les étudiants dans un bâti­
ment annexe », rend compte Slim
Fénira, responsable maintenance
et exploitation du site Crous de
Nice­Ouest. Une fois l’alerte
donnée, il faut faire vite, « régler le
problème avant que les étudiants
repartent chez eux et infestent
leurs familles, leurs amis », détaille
Mireille Barral, directrice générale
du Crous Nice­Toulon.
Comme il n’existe pas de solu­
tion d’éradication certaine, le
Crous niçois a donc dégainé toutes
les armes connues pour mettre fin
à la propagation : les insectes et
leurs larves sont ébouillantés à la
vapeur, leurs cadavres balayés et
aspirés, et un traitement chimi­
que (insecticide) est poursuivi afin
d’éliminer les éventuels résis­
tants. Les affaires personnelles des
étudiants sont congelées pendant
soixante­douze heures pour éra­
diquer les parasites les mieux ca­
chés. Enfin, une période de qua­
rantaine est ensuite appliquée
avant de réallouer le logement.
Même si le sujet met mal à
l’aise, « la prévention » est un
autre outil efficace pour savoir
reconnaître le danger et donc évi­
ter la propagation. Plusieurs
Crous, dont celui de Nice, ont
lancé une campagne d’informa­
tion par voie d’affichage, tandis
que le Cnous réalise un guide des
bonnes pratiques, qui sera distri­
bué en novembre. Les premières
alertes sévères au sein des rési­
dences universitaires datent de
plusieurs années.
éric nunès

ANNA WANDA GOGUSEY

« On m’a proposé
un changement
de matelas.
Mais ce n’était
qu’un placebo.
C’est toute la
résidence qu’il
fallait bloquer. »
DYLAN LECOQ
étudiant à Lille

dominique marchand est directrice du Centre
national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous).
Elle occupait précédemment le poste de directrice
générale des services à l’université Claude­Bernard
Lyon­I. Elle défend les efforts de son administration
pour la qualité du logement social étudiant.

Les punaises de lit, qui se propagent en France,
n’épargnent pas le logement étudiant. Quels sont
les outils mis en place par le Cnous, que vous
dirigez, pour enrayer ce fléau?
Il est important de préciser que ce phénomène
concerne l’ensemble des opérateurs hôteliers, cham­
bres d’hôte ou autres. Nous avons un parc de plus de
174 000 logements, donc nous ne pouvions pas ne pas
être touchés, surtout que nous dépendons de l’atten­
tion que les étudiants vont prêter aux problèmes d’in­
festation afin de pouvoir y répondre rapidement.
Un coordinateur national est chargé de diffuser les
bonnes pratiques dans l’ensemble du réseau. Toute­
fois, chaque centre régional des œuvres universitaires
et scolaires (Crous) n’a pas les mêmes problémati­

ques. Celles­ci dépendent de la population étudiante,
mais également du mobilier, qui est plus ou moins
réceptif aux infestations de punaises de lit. C’est
un sujet important, il est pris très au sérieux pour ré­
pondre au confort des étudiants et pour protéger
l’image des Crous.

Il reste, dans le parc de logements étudiants,
des bâtiments à la limite de la salubrité, qui
côtoient des constructions neuves. Pourquoi?
Effectivement, dans le même Crous, il peut y avoir
des bâtiments relativement anciens qui ont besoin
d’être réhabilités et d’autres modernes et de bon stan­
dard. On observe aussi une disparité en fonction
des Crous. Nous nous employons à lisser ces diffé­
rences, c’est un objectif majeur de finaliser à moyen
terme la réhabilitation de l’ensemble du parc. Quel­
que 65 millions d’euros sont alloués chaque année
à l’hébergement.

Pour répondre aux besoins, le gouvernement s’est
engagé, en début de mandature, à faire construire

60 000 logements au cours du quinquennat.
Combien en avez­vous reçus à mi­mandat?
Nous recevons environ 3 000 logements par an. Les
besoins les plus urgents de logements étudiants se
concentrent sur les métropoles. Pour répondre aux
attentes des étudiants, il faut construire sur le campus
à proximité de leur lieu de formation ou dans le cen­
tre­ville. Il est particulièrement difficile d’y trouver du
foncier disponible, c’est le principal problème auquel
nous sommes confrontés.

A ce rythme, l’objectif gouvernemental est­il
réalisable d’ici la fin du quinquennat?
Nous n’en serons pas loin. Les Crous ne sont pas les
seuls qui construisent du logement étudiant, il y a
aussi des opérateurs privés. Ensuite, les travaux des
contrats Etat­région sont en cours. Nous analysons
actuellement les projets, Crous par Crous, qui seront
présentés et, nous l’espérons, retenus. C’est un levier
important qui pourrait permettre de nous approcher
de l’objectif.
propos recueillis par é. n.

« C’est un sujet important, il est pris très au sérieux »


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