Le Monde - 23.10.2019

(C. Jardin) #1

24 |culture MERCREDI 23 OCTOBRE 2019


0123


L E S A U T R E S F I L M S D E L A S E M A I N E


Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr

    P O U R Q U O I PA S
L’Acre Parfum des immortelles
Documentaire français de Jean­Pierre Thorn (1 h 19).
Né en 1947, Jean­Pierre Thorn présente le cas rare d’un cinéaste
ayant si bien accompagné les luttes de son temps qu’il en est
venu, dans le sillon de Mai 68, à déposer sa caméra pour
embrasser la condition ouvrière, en occupant pendant dix ans
un poste à l’usine Alsthom de Saint­Ouen. Son dernier
documentaire se présente comme un retour sur cinquante ans
de films et de combats politiques, les images d’hier donnant
lieu à des retrouvailles au présent avec les personnes jadis
filmées, le tout imprégné du souvenir élégiaque d’un amour
de jeunesse. La plus belle part du film réside dans ce
mouvement de balancier qui rapporte sans cesse les espoirs
du passé aux béances du présent, même si la tentation
explicite de la poésie a parfois tendance à figer l’ensemble sous
le sceau d’un certain romantisme.ma. mt

5 est le numéro parfait
Film italien d’Igort (1 h 46).
On reconnaîtra dans cette adaptation d’une bande dessinée
par son auteur les traits de tentatives précédentes, le Dick
Tracy de Warren Beatty, le Sin City de Roberto Rodriguez et
Frank Miller. L’histoire d’un tueur à gages forcé de reprendre
du service après l’assassinat de son fils prend le tour convenu
d’un thriller hollywoodien. A ceci près que le malfrat a le
regard triste de Toni Servillo et que les néons de Little Italy
ont laissé la place aux autels de rue napolitains. t. s.

    O N P E U T É V I T E R
Abominable
Film d’animation américain de Jill Culton et Todd Wilderman
(1 h 37).
Abominable nous fait suivre les aventures de la dynamique Yi,
adolescente qui habite à Shanghaï où elle enchaîne les petits
boulots afin de pouvoir s’offrir un périple à travers la Chine.
Elle découvre un jour, sur le toit de son immeuble, un yeti
poilu égaré dans la grande ville. Avec l’aide d’amis, Yi se
lancera dans un long voyage afin de ramener la grosse bête,
baptisée Everest, dans son habitat naturel. Avec le film
d’animation Abominable, il s’agit moins pour Dreamworks
de proposer un nouvel univers graphique que de servir à son
jeune public son dernier produit dont la recette lui assure une
réussite à peu de frais : fable aux relents écologistes, héroïne
moderne, bête mignonne et poilue dont l’allure est exploitable
à l’envi dans des produits dérivés. Pour le reste, la laideur
graphique et la confondante paresse du scénario font
d’Abominable un énième produit manufacturé.m. j.

Un monde plus grand
Film franco­belge de Fabienne Berthaud (1 h 40).
Inspiré du cas Camille Sombrun, ingénieure du son devenue
chamane au hasard de l’enregistrement d’une cérémonie
en Mongolie, Un monde plus grand s’appuie sur cette
référence à la réalité pour exiger une adhésion sans condition
du spectateur. Si on la refuse, on aura du mal à prendre au
sérieux ce parcours initiatique, malgré l’engagement de Cécile
de France et le mystère des forêts mongoles.t. s.

À L’A F F I C H E É G A L E M E N T
Les Municipaux (trop, c’est trop !)
Film français d’Eric Carrière et Francis Ginibre (1 h 39).
Les Charbons ardents
Documentaire français d’Hélène Milano (1 h 29).
Théâtre du radeau, triptyque
Documentaire français de Patrick Viret (60 minutes).

Règlement de comptes au « car wash »


Deux « bras cassés » s’installent chez le patron d’une station de lavage automatique
de voitures pour lui voler son argent. Un film loufoque et libre

BRAQUER  POITIERS


B


raquer Poitiers, premier
long­métrage de Claude
Schmitz, procure l’effet,
joyeux et salutaire, d’un coup de
rouleau sur le pare­brise du ci­
néma français. A travers l’histoire,
foldingue, d’un patron d’en­
treprise de lavage automatique de
voitures qui accepte de se faire
« plumer » par deux
branquignols, le réalisateur nous
livre une utopie, soit le partage
des richesses consenti. Il fait en
outre preuve d’une liberté rare
dans l’écriture de ce film, fabriqué
avec des comédiens dont certains
ne sont pas des professionnels
(tel Francis Soetens, l’un des deux
braqueurs).
Cette œuvre loufoque et libre
évoque le cinéma de Jacques
Rozier, 92 ans, l’auteur d’Adieu
Philippine (1962) et Maine Océan
(1986). Contrairement à ce qui est
annoncé, Braquer Poitiers ne sera
pas le casse du siècle, plutôt le
braquage du pauvre : en effet, les
deux « bras cassés » Francis et
Thomas (Thomas Depas)
récupèrent seulement les pièces
dans les automates de la station,
située près de Poitiers.
Chaque jour, ils comptent leur
recette minable, le temps file et

les voilà qui s’installent chez Wil­
frid le « châtelain », propriétaire
d’une riche demeure. Francis et
Thomas sont bientôt rejoints par
leurs copines, Hélène (Hélène
Bressiant) et Lucie (Lucie Guien),
deux « cagoles » qui veulent bien
participer à l’aventure...

Distance sociale et complicité
Ce film inclassable est né de la
rencontre entre le réalisateur
bruxellois et un ami de son oncle,
Wilfrid Ameuille, le fameux
patron du car wash et de la société
Lavance. Wilfrid Ameuille rêvait
de vivre l’expérience d’un tour­
nage et a tout simplement invité
Claude Schmitz à venir faire un
film chez lui. Le cinéaste l’a pris au
mot, à condition que l’entrepre­
neur joue son propre rôle et
produise le film.

Marché conclu : Braquer Poitiers
a donc été financé (en partie) par
Lavance, à défaut d’avoir reçu
l’avance sur recettes (!) du Centre
national du cinéma et de l’image
animée (CNC).
Il y a du western, du règlement
de comptes et du désir dans ce
braquage à la poitevine, mais
aussi un motif puissant, celui
de l’amitié naissante entre des in­
dividus pourtant différents. Il
faut voir Francis, gros ours tatoué,
chanter un soir d’été Ces gens­là
(1965) de Jacques Brel, comme s’il
voulait transmettre deux ou trois
choses de sa vie de « prolo » à
Wilfrid. Le temps d’une chanson,
deux hommes mesurent leur dis­
tance sociale tout en découvrant
leur complicité.
Au départ, Braquer Poitiers était
un moyen­métrage de cinquante­
neuf minutes : sélectionné dans
divers festivals, il a obtenu le prix
Jean Vigo du court­métrage.
Entre­temps, le réalisateur s’est
attelé à la version longue – celle
qui sort en salle – en ajoutant à
Braquer Poitiers un « court » inti­
tulé Wilfrid (26 minutes), film épi­
logue qui réunit les comédiens
après le tournage.
Braquer Poitiers s’est donc cons­
truit en deux temps, et ce détail a
son importance : le premier tour­
nage a eu lieu durant l’été 2018, le

second à l’automne, alors que
naissait le mouvement des « gi­
lets jaunes » et que se nouaient
des solidarités autour des ronds­
points, et forcément aux alen­
tours du car wash.

Lutte des classes
Braquer Poitiers ne montre
aucune image du mouvement
social – une seule allusion y est
faite – mais raconte en parallèle
l’émergence d’un collectif autour
de Wilfrid, Francis, Thomas,
Hélène et Lucie, dans le film et
dans la vraie vie. Claude Schmitz
les filme dans la sérénité de plans­
séquences qui donnent le temps
à la parole, aux paysages, et
captent les restes d’un repas à la
manière du plasticien Daniel
Spoerri.
Dans cette lutte des classes iné­
dite, Francis et Thomas prennent
leur part du butin à l’écart des
actions et des bagarres, se gardant
bien de fracturer les automates
pour ne pas tuer la poule aux
œufs d’or. Comme le répète
Thomas : « Pas de violence, c’est les
vacances. »
clarisse fabre

Film français de Claude Schmitz.
Avec Wilfrid Ameuille,
Thomas Depas, Francis Soetens
(1 h 25).

Une franchise au futur imparfait


Produit par James Cameron et réalisé par Tim Miller, le sixième opus


de la saga remet en scène des figures des premiers épisodes


TERMINATOR : DARK FATE


O


n ne présente plus
l’une des franchises
les plus célèbres du
monde, dont la carac­
téristique la moins heureuse,
mais hélas pas la plus rare,
consiste à s’être démonétisée
au cours des cinq épisodes qui
la composent, entre 1984 et 2015.
De retour à la production du
sixième opus, James Cameron,
le réalisateur des deux premiers
films, qui sont clairement les
meilleurs, propose aux spec­
tateurs un « deal » radical, qui
consiste ni plus ni moins à effacer
de leur mémoire les numéros
trois, quatre et cinq.
Par quoi l’on voit la considé­
ration en laquelle il les tient, et la
leçon de relativisme qu’il faut en
tirer sur ces monstres hollywoo­
diens qu’on nomme les franchi­
ses, dont la complexité et l’incohé­
rence prolifèrent avec leur degré
de longévité sans qu’il soit encore
assuré qu’il y ait lieu de les compa­
rer aux mythes grecs. S’adjoi­
gnant le concours d’un pasticheur
en la personne du réalisateur Tim
Miller (Deadpool, 2016), Cameron
remet donc tout à plat et redéploie
à plus ou moins nouveaux frais la
trame qui avait enchanté les spec­
tateurs de ses films. Soit une intel­
ligence artificielle située dans un
avenir pas forcément lointain
(2042), qui envoie sur Terre un
robot tueur ultraperfectionné
pour détruire à l’avance l’humain
destiné à leur mettre des bâtons
dans les rouages.
Sur ce délicieux paradoxe tem­
porel, Miller et Cameron font
aujourd’hui débarquer au Mexi­
que un Rev­9, créature transfor­
mable, impavide et indestructible
mandatée par une intelligence
qui porte désormais le nom de
Légion. En même temps que lui
tombe du ciel une soldate du
futur dénommée Grace (la, de fait,
gracieuse Mackenzie Davies),
humaine augmentée dépêchée

dans notre bas monde pour
contrecarrer ce funeste projet.
Elle doit ainsi sauver l’humanité
en la personne messianique de
Dani Ramos, jeune Mexicaine
travaillant sur une chaîne de
montage et appelée dans un futur
proche à entrer en résistance
contre les robots.

Impertinence
S’ensuit une course­poursuite as­
sez relevée depuis Mexico jus­
qu’au Texas, avec un Rev­9 incre­
vable qui se transfigure, se dé­
double avec son propre sque­
lette et se liquéfie sous les balles
avant de se reconstituer à l’identi­
que. Choses désormais mille fois
vues, et nous montrant, tel l’en­
vers d’un monde que nous croi­
rions réel, la matière même, infi­
niment dissolue, dont sont dé­
sormais faits les films, les acteurs
qui les peuplent, et les décors qui
les accueillent.

Aussi bien, l’essentiel est­il
moins dans cette labilité techno­
logique que dans le retour de fi­
gures connues qui contribuent à
la stabilité d’un récit qu’on aime,
en grands enfants, à voir se répé­
ter. On parle, sauf leur respect,
de deux « vieux de la vieille »
qui assistent Grace dans sa mis­
sion. On a nommé Sarah Connor
(cible d’un T­800 dans le premier
Terminator, devenue, depuis,
chasseuse d’androïdes), inter­
prétée par la légendaire Linda
Hamilton. Et l’un de ces antiques
T­800 (Arnold Schwarzenegger)
qui poursuit, par une voie qui
demeure inconnue du plus
grand nombre, l’humanisation
de son statut.
C’est ici, bien sûr, que l’imper­
tinence de Tim Miller allège un
film par ailleurs assez routinier,
en poussant le personnage de
Sarah Connor aux confins d’une
Madame Foldingue (référence

peut­être caduque à une vieille
émission de télévision française
intitulée « Cocoricocoboy ») et en
conférant au T­800 une famille,
un métier (drapier) et une
passion avouée pour la décora­
tion d’intérieur. Voilà bien l’état
où se trouvent aujourd’hui la
plupart des franchises de scien­
ce­fiction américaine, usées par
leur propre démesure, et flottant
en un point indéterminé non
seulement entre l’algorithme et
la chair, mais encore Pierre Dac
et l’apocalypse. Comme en ce
point l’humanité tout entière se
retrouve aujourd’hui, difficile de
rester insensible à une telle in­
certitude.
jacques mandelbaum

Film américain de Tim Miller,
avec Arnold Schwarzenegger,
Linda Hamilton, Mackenzie
Davies, Gabriel Luna, Natalia
Reyes (2 h 08).

Linda Hamilton et Arnold Schwarzenegger. KERRY BROWN/TWENTIETH CENTURY FOX

Contrairement
à ce qui est
annoncé,
ce ne sera pas
le casse du siècle,
plutôt
le braquage
du pauvre

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