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MERCREDI 23 OCTOBRE 2019 international| 3
Nétanyahou renonce à former un gouvernement
Le premier ministre israélien espère, pour se maintenir, que son rival Benny Gantz échouera à son tour
jérusalem correspondance
A
près un premier échec
au printemps, Benya
min Nétanyahou a
récidivé. Lundi 21 oc
tobre, le premier ministre israé
lien a annoncé remettre le man
dat que lui avait à nouveau assi
gné le président Reuven Rivlin
pour constituer un gouverne
ment, à la suite des élections lé
gislatives du 19 septembre.
Ce dernier devrait donc le confier
à Benny Gantz, exchef d’étatma
jor entré en politique il y a moins
d’un an, l’un des chefs de la
formation centriste Bleu Blanc,
et principal rival de M. Néta
nyahou aux scrutins d’avril et de
septembre.
Symboliquement, le transfert
de ce mandat est marquant, car
c’est la première fois en Israël
depuis 2008 qu’il est attribué à
une autre personnalité politique.
Mais la situation de blocage, elle,
demeure : un troisième scrutin
deviendra presque inévitable si
Bleu Blanc ne parvient pas à mo
biliser de majorité parlementaire.
Alors qu’une inculpation pour
rait être prononcée contre lui d’ici
à la fin de l’année, M. Nétanyahou
entend ainsi gagner du temps et
se maintenir au pouvoir.
Dans une vidéo diffusée lundi
soir sur les réseaux sociaux, le
premier ministre israélien a re
connu avec gravité ne pas avoir
rempli la mission qui lui avait été
confiée le 25 septembre par Reu
ven Rivlin. Il a indiqué avoir « tra
vaillé sans relâche pour établir un
large gouvernement d’unité natio
nale », qui aurait inclus son parti
- le Likoud –, ses partenaires na
tionalistes et ultraorthodoxes,
mais aussi Benny Gantz. Mais ses
efforts pour parvenir à faire as
seoir ce dernier « à la table des
négociations » et ainsi « empêcher
un nouveau scrutin » sont restés
vains, atil ajouté.
La décision de Benyamin Néta
nyahou reçue, le président Rivlin
a précisé que les partis politiques
devraient être officiellement in
formés du transfert du mandat à
M. Gantz d’ici à jeudi 24 octobre.
« Le temps de Bleu Blanc est ad
venu », a salué l’intéressé sur
Twitter. Dans un communiqué,
sa formation s’est dite « détermi
née » à former « un gouvernement
libéral d’unité » qui serait dirigé
par M. Gantz. Seulement, comme
le Likoud, Bleu Blanc se trouve
dans l’incapacité de s’assurer la
majorité requise de 61 députés
(sur 120) à la Knesset.
Le blocage actuel était inscrit
dans l’issue du scrutin du 17 sep
tembre. Comme en avril, Bleu
Blanc et le Likoud étaient au
coudeàcoude, ayant respective
ment obtenu 33 et 32 sièges
Cependant, le parti de M. Néta
nyahou pouvait compter sur un
« bloc » de droite de 55 sièges, avec
le soutien des partis religieux et
nationalistes. De son côté, Bleu
Blanc disposait de 54 sièges, avec
le centre gauche et les députés
de la Liste arabe unie – même si
ces derniers n’entendaient pas
siéger dans un gouvernement di
rigé par M. Gantz.
Union nationale
Face à ce dilemme, le président
Rivlin avait finalement confié le
mandat à M. Nétanyahou, présu
mant qu’il avait plus de chances
d’établir une coalition, dans le
délai imparti de vingthuit jours.
« Je le fais en sachant que je n’ai
pas une meilleure chance de for
mer un gouvernement, mais une
moindre incapacité que M. Gantz.
Je ne crois pas que nous puissions
former un gouvernement, sinon
ensemble », avait indiqué le pre
mier ministre, après avoir ac
cepté « la mission ».
Pour en assurer le succès, M. Ri
vlin avait suggéré la formation
d’un gouvernement d’union na
tionale, constitué principalement
par le Likoud et Bleu Blanc, M. Né
tanyahou et M. Gantz occupant à
tour de rôle le poste de chef de
gouvernement. Or, les négocia
tions du Likoud avec Bleu Blanc
n’ont pas abouti. A plusieurs repri
ses, Benny Gantz a refusé de ren
contrer Benyamin Nétanyahou,
sous prétexte que les conditions
n’étaient pas réunies.
Le plan proposé par le Likoud,
inspiré du modèle soumis par le
président Rivlin, ne disait rien de
la rotation au poste de chef de
gouvernement, et qui l’occupe
rait en premier. Par ailleurs,
le chef de Bleu Blanc entendait
négocier avec le Likoud seul, et
non pas avec le « bloc » de droite.
Or M. Nétanyahou veut mainte
nir le lien avec celuici à tout prix,
conscient que son horizon judi
ciaire s’assombrit après son
audition début octobre auprès
du procureur général Avichaï
Mandelblit, préalable à toute
mise en examen. Les dirigeants
de Bleu Blanc considèrent d’ail
leurs que Benyamin Nétanyahou
ne peut diriger un gouverne
ment alors qu’il pourrait être in
culpé pour corruption d’ici à la
fin de l’année. Il est notamment
soupçonné d’avoir favorisé
un opérateur de télécoms en
échange d’une couverture posi
tive par les médias détenus par
son propriétaire. Pendant cette
période, le premier ministre n’a
cessé d’invoquer la situation sé
curitaire dans la région, et no
tamment la menace iranienne
grandissante, pour faire céder
M. Gantz sous prétexte de « res
ponsabilité nationale ».
Le Likoud a également fait
pression sur l’ancien ministre de
la défense Avigdor Lieberman,
tenu pour responsable de l’échec
du mois d’avril. Benyamin Néta
nyahou n’avait alors pas réussi à
obtenir une majorité parce que
le chef du petit parti laïque et ul
tranationaliste Israël Beitenou
s’était désolidarisé du « bloc » de
droite, refusant de céder aux ul
traorthodoxes au sujet de la
conscription. Fort de huit sièges
(pour quatre au mois d’avril),
M. Lieberman joue aujourd’hui
l’arbitre en appelant à un gouver
nement « d’union » constitué du
Likoud, de Bleu Blanc et de son
parti. Le 17 octobre, il préconisait
une nouvelle fois le « démantè
lement du bloc haredi [ultraor
thodoxe] et messianique ». Deux
jours avant l’échéance, M. Néta
nyahou a donc renoncé. A son
tour, Benny Gantz disposera de
vingthuit jours pour sortir de
l’impasse politique. Dès le 22 oc
tobre, il doit consulter tous les
chefs des partis, dont le premier
ministre. Ses chances de former
une coalition sont minces.
Blocage politique
Les commentateurs imaginent
plusieurs scénarios, dont celui
d’un « gouvernement minori
taire » de centregauche, appuyé
de loin par les partis arabes et
par l’abstention des députés
d’Israël Beitenou, lors du vote de
confiance à la Knesset sur le gou
vernement formé. « Mais le sou
tien conjoint des Arabes et de Lie
berman [connu pour ses diatribes
antiarabes] est impossible », rap
pelle Abraham Diskin, de l’Uni
versité hébraïque de Jérusalem.
« On peut aussi imaginer une
scission au sein du Likoud au
cas où le procureur général an
nonce l’inculpation de Benya
min Nétanyahou pendant cette
période », ce qui serait à l’avan
tage de M. Gantz, suggèretil en
core. Si Benny Gantz échoue, Reu
ven Rivlin pourrait demander à
une majorité de députés de dési
gner un candidat qui aurait alors
vingt et un jours pour le même
exercice. Le président israélien a
promis de faire son possible pour
éviter un troisième passage aux
urnes. Si le blocage politique se
poursuit, il deviendrait néan
moins inévitable.
Selon certains experts, le pre
mier ministre souhaiterait que
M. Gantz échoue à former une
coalition pour que de nouvelles
élections législatives aient lieu et
qu’il reste au pouvoir quelques
mois supplémentaires.
Dans la vidéo de lundi soir,
Benyamin Nétanyahou décrivait
son rival comme celui qui serait
opposé à un gouvernement opé
rationnel, mettant ainsi le pays
en danger, et qui risquerait de
composer avec les partis arabes,
lesquels « nient l’existence d’Is
raël ». Il semblait déjà ainsi prépa
rer le terrain en vue d’un poten
tiel scrutin.
claire bastier
Au Liban, des annonces ambitieuses, mais qui ne convainquent pas
Le chef du gouvernement, Saad Hariri, tente de reprendre la main en présentant des réformes face aux manifestants exigeant sa démission
beyrouth correspondant
L’
épreuve de force entre la
rue et le gouvernement
promet de se poursuivre
au Liban. Les protestataires
massés depuis cinq jours dans le
centre de Beyrouth et de plu
sieurs autres villes du pays ont
massivement rejeté le plan de ré
formes, pourtant très ambitieux,
proposé lundi 21 octobre par le
premier ministre, Saad Hariri.
Forts de leur nombre et mus par
leur rejet viscéral du « système »,
les manifestants continuent à ré
clamer la démission de l’exécutif.
« Même si la feuille de route pré
sentée par Hariri est en apparence
révolutionnaire, la classe poli
tique est devenue inaudible, ob
serve Karim Emile Bitar, profes
seur de sciences politiques à
l’université SaintJoseph de Bey
routh. La crise de confiance est en
core plus grave que la crise écono
mique et sociale. Le gouverne
ment a perdu toute crédibilité. »
Le programme dévoilé par le
premier ministre, axé sur un
retour à l’équilibre budgétaire
sans hausse de l’imposition, mêle
réductions de la dépense publi
que, ponction du secteur ban
caire, aide aux plus pauvres et
lutte contre la corruption. La déci
sion la plus symbolique est la
baisse de 50 % du traitement des
ministres, députés et présidents
(du conseil des ministres, du Par
lement et de l’Etat), en poste et ho
noraires. A cette disposition dras
tique, s’ajoute la suppression du
ministère de l’information et de
plusieurs organismes étatiques.
« Vous êtes la boussole »
Parallèlement, le plan Hariri re
quiert la contribution de la ban
que centrale et des banques com
merciales à une baisse du déficit
public de l’ordre de 5 100 milliards
de livres libanaises (3 milliards
d’euros). Le chef du gouverne
ment se propose d’atteindre cet
objectif par une réduction du
service de la dette, contractée
principalement auprès des éta
blissements de crédit libanais,
et une nouvelle hausse de l’impôt
sur les intérêts bancaires.
Le premier ministre s’est par
ailleurs engagé à accélérer la ré
forme du secteur de l’électricité,
serpent de mer du débat public, et
à créer des autorités de régulation
pour l’énergie, les télécommuni
cations et l’aviation civile, de
vieilles promesses jamais mises
en œuvre. Parmi les autres mesu
res égrenées par Saad Hariri figu
rent l’adoption, avant la fin de l’an
née, d’un nouveau régime de re
traite et de protection sociale, un
filet de sécurité dont la plupart des
Libanais sont privés, le déblocage
de 20 milliards de livres pour les
ménages les plus démunis, la créa
tion d’une autorité de lutte contre
la corruption et l’élaboration d’un
projet de loi sur la récupération de
l’argent public volé – l’un des leit
motive des frondeurs.
Dans sa conférence de presse,
Saad Hariri, persuadé d’avoir
repris l’initiative, s’est permis
d’applaudir les manifestants.
« Vous êtes la boussole, c’est vous
qui avez fait bouger le conseil des
ministres, c’est votre mouvement
qui a conduit aux décisions. Il
s’agit d’un nouveau départ pour le
Liban. » Mais, aussi vaste et bien
intentionné soitil, son plan n’a
guère impressionné les contesta
taires qui occupent le centre de
Beyrouth dans une ambiance
festive. Nonobstant les menaces
de récession qui planent sur l’éco
nomie libanaise et hypothèquent
la faisabilité de ces réformes,
ceuxci ne croient tout simple
ment pas que les partis au pou
voir soient capables de traduire
leurs paroles en actes.
« Hariri essaie de nous faire
croire qu’il va transformer le Liban
en Suisse en l’espace de quelques
semaines », raille Elias, 24 ans, qui
travaille dans le marketing. Son
ami Karim, un avocat stagiaire
de 25 ans, ne croit pas non plus à
ces nouvelles annonces, faites au
lendemain d’énormes manifesta
tions, ayant rassemblé des centai
nes de milliers de personnes du
nord au sud du pays. « Avec ces
gens, plus rien ne marche, ditil.
Ils accouchent en trois jours d’un
plan que l’on attendait depuis
trois ans. C’est honteux. »
« Quel culot, quand 1 million de
personnes te demandent de partir,
tu n’as pas d’autre choix que
d’écouter et d’obéir », s’indigne
Aziz, 29 ans, un autre représen
tant de cette jeune génération
libanaise, décidée à renverser la
table. « C’est de la morphine pour
forcer les manifestants à rentrer
chez eux, vitupère Reine, 28 ans,
une ingénieure au chômage, qui
se refuse à émigrer au Canada, où
le reste de sa famille vit. S’ils
croient vraiment dans ces réfor
mes, pourquoi ne les ontils pas
passées plus tôt? »
A la place de l’équipe au pouvoir,
de plus en plus de manifestants
demandent l’instauration d’un
gouvernement de transition,
composé d’indépendants et de
technocrates, dont la principale
tâche consisterait à préparer la te
nue d’élections anticipées. Un mot
d’ordre insufflé par des organisa
tions de la société civile et de petits
mouvements d’opposition, dans
le but d’unifier les doléances des
mutins, jusquelà très disparates.
Saad Hariri s’est dit prêt à organi
ser un tel scrutin, sans, toutefois,
dissoudre son gouvernement. Ses
deux principaux partenaires au
sein de la coalition au pouvoir,
le Courant patriotique libre du
ministre des affaires étrangères,
Gibran Bassil, une formation chré
tienne, et le mouvement chiite
Hezbollah, rejettent catégorique
ment l’hypothèse d’une démis
sion. La pression devrait donc s’in
tensifier dans les prochains jours,
sur les épaules de l’exécutif, mais
aussi sur celles de ses opposants.
Le pays est à l’arrêt depuis
cinq jours, avec beaucoup de rou
tes bloquées, de nombreuses en
treprises et établissements fer
més, dont les écoles et les ban
ques. Au sein même du mou
vement de contestation, des voix
se demandent combien de temps
le Liban, dont l’économie est ex
sangue, pourra supporter cette si
tuation de paralysie.
benjamin barthe
Le premier
ministre,
Benyamin
Nétanyahou
(à droite),
au côté
du président
israélien
Reuven Rivlin,
à Jérusalem,
le 10 octobre.
RONEN ZVULUN/REUTERS
Benny Gantz,
de la formation
Bleu Blanc, doit
consulter tous
les chefs de parti.
Ses chances
de former
une coalition
sont minces
« C’est de
la morphine
pour forcer
les manifestants
à rentrer
chez eux »
REINE
ingénieure au chômage
âgée de 28 ans