32 | 0123 MERCREDI 23 OCTOBRE 2019
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E
miettées, fragmentées,
réduites à l’impuissance,
les gauches sont embar
quées dans une spirale
mortifère. A trente mois de l’élec
tion présidentielle de 2022, un
nouveau jeu a fait son apparition,
celui de l’équivoque. Les joueurs
font savoir qu’ils ne seront pas
candidats, sauf si on les supplie
de faire leur devoir pour sauver
leur gauche. Ségolène Royal et
Christiane Taubira s’y sont déjà il
lustrées. Quant à Bernard Caze
neuve, il assure avoir dit « mille
fois » qu’il n’avait « aucune ambi
tion pour 2022 ». Mais le dernier
premier ministre de François
Hollande fait entendre de plus en
plus fortement sa petite musique
et précise qu’en cas de vide politi
que persistant à gauche, il « pren
drait ses responsabilités »...
Seules deux personnalités ne
font pas mystère de leur volonté
d’être candidats : JeanLuc Mélen
chon, pour la troisième fois, et
Yannick Jadot. Le Lider Maximo
de La France insoumise (LFI) rêve
de prendre sa revanche sur
Emmanuel Macron et la tête de
liste d’Europe EcologielesVerts
(EELV) se voit déjà en successeur
de l’actuel président. A ce stade,
tous les ingrédients sont donc
réunis pour que, comme en 2002
et en 2017, la gauche soit absente
du second tour de la prochaine
présidentielle.
L’écologie, le nouveau Graal
C’est le scénario que retient Jean
Christophe Cambadélis dans le
« roman politique », Le Dîner des
présidents (Kero, 208 pages,
17,50 euros), qu’il vient de pu
blier. Connu pour être un redou
table manœuvrier, l’ancien pre
mier secrétaire du Parti socia
liste (PS) y déploie un vrai talent
de conteur. Cette fiction, dans la
quelle Emmanuel Macron con
vie dans un restaurant grec ses
trois prédécesseurs (François
Hollande, Nicolas Sarkozy et Jac
ques Chirac) alors qu’un climat
insurrectionnel règne à Paris, où
des « gilets jaunes » s’attaquent à
l’Elysée, lui sert de prétexte pour
livrer son analyse politique.
Et, pour « Camba », « si rien ne
change, Marine Le Pen va l’em
porter en 2022 ».
Les gauches jouent leur survie.
L’heure n’est donc plus aux rafis
tolages, aux petits ravalements de
façade. Elles doivent se dépasser,
redéfinir l’architecture de leur
mouvement – la forme partisane
atelle encore un sens? –, leur
doctrine, leur fonctionnement,
leurs alliances, bref se réinventer.
Le PS qui, grâce à François Mit
terrand, avait conquis une posi
tion hégémonique en lieu et
place du Parti communiste, ne
peut pas échapper à cette remise
en question. Elu premier secré
taire en avril 2018, Olivier Faure a
marqué une première rupture en
abandonnant la primaire ouverte
à l’ensemble des électeurs de gau
che pour le choix du candidat à
l’Elysée. Il a aussi joué la carte du
« dépassement » du PS en con
fiant la tête de liste aux élections
européennes à un nonsocialiste,
Raphaël Glucksmann (Place pu
blique). Mais cette stratégie n’a
guère été payante, le score obtenu
(6,18 %) étant équivalent à celui
de Benoît Hamon (6,36 %) à la
présidentielle.
Si le PS a bien engagé sa res
tructuration, à défaut de vérita
ble rénovation idéologique, cel
leci s’avère laborieuse. Ce parti,
observe lucidement JeanChris
tophe Cambadélis, « est désor
mais politiquement minoritaire
avec une culture et des réflexes
qui restent hégémonistes ». Et,
ajoute l’ancien trotskiste, « la so
cialdémocratie est caduque » et
« le socialisme n’a jamais vrai
ment pu voir le jour ».
Sous l’impulsion d’Olivier Faure,
le PS a accentué sa mue vers la « so
cialécologie ». Mais il peine à faire
entendre sa différence alors que
toutes les gauches ont fait leur
conversion à l’écologie et que dé
sormais, du haut de ses 13,47 % aux
élections européennes, EELV veut
lui ravir son ancienne position hé
gémonique. « Personne ne peut in
carner à lui seul la gauche », pro
teste Olivier Faure tout en propo
sant aux Verts d’« inventer quelque
chose ensemble ».
Pour « inventer quelque chose
ensemble », encore faudraitil
que les Verts parlent d’une
seule voix. On en est loin. Les
lauriers du « triomphe » euro
péen n’étaient pas encore fanés
qu’ils renouaient avec leurs habi
tuels démons de la division. A
défaut d’une « motion de syn
thèse » réunissant tous leurs
courants, quatre textes vont être
soumis au vote des 8 000 adhé
rents pour le congrès du 30 no
vembre à SaintDenis (Seine
SaintDenis). Yannick Jadot veut
faire d’EELV un parti de gouver
nement et en même temps une
écurie présidentielle.
Loin de vouloir réinventer les
gauches, il cultive le cavalier seul
et prétend « recomposer le pay
sage politique autour de l’écologie
et nous [EELV] dépasser pour cons
truire un grand rassemblement
écologique et social ». Officieu
sement, il se retrouve dans la
motion d’Eva Sas, qui entend dé
passer le clivage gauchedroite et
faire de l’écologie le nouveau
Graal autour duquel doit se res
tructurer l’opposition.
La réinvention des gauches n’est
pas davantage la préoccupation
de LFI. Son score calamiteux aux
européennes (6,31 %) lui a fait per
dre ses velléités d’être en position
hégémonique à gauche. En crise
profonde, la formation de Jean
Luc Mélenchon joue la carte de la
« souveraineté populaire » et juge
que « l’alternative, c’est l’oligarchie
ou le peuple ». Elle est déjà dans le
dépassement des formes partisa
nes et ambitionne de construire
une « fédération populaire » qui
n’aurait rien à voir avec l’« union
de la gauche » de l’ancien monde
et sa « soupe de logos ».
Pour l’ancien ministre de Lionel
Jospin, il s’agit de fédérer, par
exemple à l’occasion des élec
tions municipales, des revendica
tions politiques, syndicales et as
sociatives sous un label commun.
Chimère? JeanChristophe Cam
badélis, qui estime que les gau
ches pensent « trop peu », préco
nise un « congrès constituant de la
gauche », incluant les forces syn
dicales (qui ne viendront pas) et
« la gauche du local, et donc du
quotidien ». C’est peutêtre en cul
tivant des utopies que les gauches
se réinventeront.
L’
Algérie parviendratelle à tourner
la page de l’autoritarisme de façon
pacifique? Pour un pays qui a sou
vent avancé par àcoups violents, le défi est
immense et l’occasion historique. Depuis
maintenant huit mois, les manifestations
non violentes se multiplient contre le pou
voir mis en place il y a vingt ans par Abdela
ziz Bouteflika, le président déchu. De ce
luici ne restent aujourd’hui que des ori
peaux dont les représentants sont
impuissants à comprendre le sens de l’his
toire et à appréhender les aspirations d’une
population excédée par l’infélicité dans la
quelle le régime a plongé l’Algérie.
L’élection présidentielle du 12 décembre
aurait dû constituer l’aboutissement du pro
cessus démocratique. La façon dont le scru
tin est organisé ne crée pas les conditions
d’une transition réelle, légitime et transpa
rente vers un accord politique global.
La bureaucratie et les lobbys inféodés au
pouvoir ont encore assez d’influence pour
tenter de maintenir l’existant à rebours des
revendications de la rue. Les vieux réflexes
restent les mêmes, même si la pression po
pulaire a obligé le système à adapter son
discours. Mais, dans un climat de défiance
généralisée visàvis du pouvoir, celuici est
devenu inaudible.
Au lieu de s’inspirer de l’écho du Hirak, le
mouvement populaire, pour tenter de don
ner de nouvelles perspectives à une Algérie
qui en manque tant, l’armée, désormais en
première ligne, ne cherche qu’à le neutrali
ser. Vouloir perpétuer un système qui a
échoué et contre lequel les Algériens sont
désormais vaccinés n’aboutira qu’à radica
liser le mécontentement.
L’élection qui se profile prend des allures
de parodie démocratique, dans laquelle les
exministres du président sortant font
mine de participer à une compétition qui
n’a qu’un but : faire émerger une personna
lité du sérail pour que rien ne change véri
tablement. Tant que la presse subira des
pressions permanentes pour diffuser la
bonne parole du pouvoir, tant que des ar
restations arbitraires et une justice d’excep
tion perdureront, tant que le pouvoir actuel
n’acceptera pas de laisser le processus élec
toral se dérouler librement, les conditions
de la désignation d’un nouveau président
légitime ne seront pas réunies.
Dans ce contexte, le scrutin du 12 décem
bre risque d’aboutir à une élection vide de
sens avec un taux de participation ridicule
ment bas. Le nouvel élu sera fragilisé, ren
dant le pays ingouvernable.
Ce qui fait la force de ce mouvement, c’est
qu’il ne s’agit pas d’une révolte sociale ou
catégorielle jetant dans la rue une partie
des Algériens contre une autre. Il s’agit
d’un élan qui mêle jeunes et vieux, classes
populaires et plus aisées. Face à cette masse
et à cette diversité, le pouvoir aura les plus
grandes difficultés à jouer la division pour
maintenir un statu quo illusoire.
Si les tenants du système imaginent
qu’un retour à la situation ante est encore
possible, ils se trompent lourdement. Les
Algériens ne manifestent pas depuis huit
mois pour obtenir des réformes à la marge
avec ceux qui les ont conduits à la situation
actuelle. L’immense majorité demande
une remise à plat de la redistribution des ri
chesses nationales, veut remettre la souve
raineté du peuple au centre de la vie politi
que et entend reprendre en main son des
tin qu’un clan lui a confisqué pendant trop
longtemps. A ce stade, le scrutin du 12 dé
cembre n’est pas à la hauteur de cette aspi
ration et ne fera que compliquer la transi
tion démocratique.
L’HEURE N’EST
PLUS AUX
RAFISTOLAGES,
AUX PETITS
RAVALEMENTS
DE FAÇADE
ALGÉRIE:
UNE ÉLECTION
VIDE DE SENS
FRANCE|CHRONIQUE
pa r m i c h e l n o b l e c o u r t
La réinvention
des gauches
UN NOUVEAU JEU
A FAIT SON
APPARITION,
CELUI DE
L’ÉQUIVOQUE
Tirage du Monde daté mardi 22 octobre : 165 601 exemplaires