Le Monde - 15.10.2019

(Ron) #1
0123
MARDI 15 OCTOBRE 2019 international| 5

Lourdes peines pour les indépendantistes catalans


La Cour suprême a infligé entre neuf et treize ans de prison à neuf personnalités au cœur du projet sécessionniste


madrid ­ correspondance

E


ntre 9 et 13 ans de prison
pour sédition, malversa­
tion de fonds publics et
désobéissance. Le ver­
dict du procès des dirigeants in­
dépendantistes catalans est
tombé lundi 14 octobre à Madrid.
Deux ans après la tenue du réfé­
rendum illégal d’autodétermina­
tion du 1er octobre 2017 et de la dé­
claration d’indépendance unila­
térale qui a suivi, la Cour suprême
a rendu ses conclusions.
A l’unanimité, les sept magis­
trats ont rejeté le très contesté
chef d’accusation de « rébellion »,
défendu par le parquet général de
l’Etat, passible de 25 ans de pri­
son. Il n’avait été appliqué qu’une
fois depuis le retour de la démo­
cratie : contre le général Tejero
pour la tentative de coup d’Etat
du 23 février 1981. Ils lui ont pré­
féré celui de sédition. Alors que la
rébellion est définie pénalement
comme « un soulèvement violent

contre l’ordre constitutionnel », la
sédition est « un soulèvement pu­
blic et tumultueux pour empêcher
par la force ou en dehors des voies
légales l’application des lois ».
Les peines n’en restent pas
moins lourdes. L’ancien vice­pré­
sident du gouvernement catalan,
Oriol Junqueras, de la Gauche ré­
publicaine catalane (ERC), écope
de treize ans de prison et d’inéligi­
bilité. « Il n’y a pas d’autre option
que de construire un nouvel Etat
pour fuir celui­ci qui pourchasse
des démocrates », a réagi M. Jun­

queras dans une lettre écrite aux
militants depuis sa cellule.
Cinq anciens ministres­con­
seillers catalans ont été condam­
nés entre dix et douze ans de pri­
son et d’inéligibilité. L’ancienne
présidente du Parlement catalan,
Carme Forcadell écope d’une
peine de 11 ans et demi. Quant aux
présidents des deux puissantes as­
sociations indépendantistes ANC
et Omnium Cultural, Jordi Cuixart
et Jordi Sanchez, leur peine s’élève
à 9 ans de prison. Trois autres mi­
nistres­conseillers catalans, ayant
joué un rôle secondaire dans les
faits reprochés, sont condamnés à
de simples amendes.

Clore le chapitre judiciaire
Puisque neuf des condamnés ont
déjà passé près de deux ans en
prison préventive, certains de­
vraient pouvoir bénéficier de
permis de sortie dès les pro­
chains mois, grâce au système es­
pagnol d’aménagement de pei­
nes, qui permet des remises en li­

berté surveillée une fois purgé un
quart de la durée de la peine.
Depuis des jours, l’Espagne rete­
nait son souffle dans l’attente de
ce verdict considéré comme histo­
rique avant même qu’il ne soit
rendu. Il tombe en pleine campa­
gne électorale avant les législatives
du 10 novembre. Pour certains
analystes, il risque de ranimer un
mouvement indépendantiste apa­
thique et d’entériner la rupture
sentimentale entre une partie de
la Catalogne et le reste du pays.
Pour d’autres, il permettra de
clore le chapitre judiciaire et de
remettre au premier plan la re­
cherche de solutions politiques à
la crise territoriale de la part du
gouvernement de Pedro Sanchez.
« L’Etat de droit a fonctionné avec
transparence », a souligné le por­
te­parole du Parti socialiste, José
Luis Abalos, en réponse aux avo­
cats des dirigeants indépendan­
tistes, qui entendent porter l’af­
faire devant le Tribunal supérieur
de justice de l’Union européenne.

A court terme, le pessimisme
domine. Dans l’attente de possi­
bles réactions violentes en Catalo­
gne, des renforts de plusieurs cen­
taines de policiers ont été envoyés
récemment à Barcelone. Et l’incer­
titude demeure quant à la réaction
institutionnelle que le gouverne­
ment indépendantiste catalan en­
tend déployer. « Aujourd’hui, nous
sommes tous condamnés », a réagi
le président du Parlement catalan,
Roger Torrent, quelques minutes
après que les peines ont été con­
nues, alors que de petites manifes­
tations spontanées commen­
çaient à se former dans les rues de
Barcelone. La Généralité de Catalo­

gne a multiplié ces derniers jours
les appels enflammés à la déso­
béissance civile tout en respectant
les lois et les décisions de la justice
espagnole.
Ces dernières semaines, la réac­
tion au verdict a commencé à s’or­
ganiser sur les réseaux sociaux.
Une nouvelle plateforme, appelée
« Tsunami démocratique », est
née sur Telegram pour coordon­
ner les manifestations et autres
possibles actions de protestation.
Elle devait dévoiler lundi à 13 heu­
res sa première action.
De Bruxelles où il a fui la justice
espagnole, l’ancien président ca­
talan Carles Puigdemont a quant
à lui appelé tous les élus locaux in­
dépendantistes à une réunion vi­
sant à définir une réaction con­
jointe au verdict. Alors que la jus­
tice espagnole prévoit de réactiver
le mandat d’arrêt européen con­
tre lui, rejeté en 2018 par la justice
allemande, pour sédition et non
pas rébellion, cette fois­ci.
sandrine morel

Pour certains
analystes, le
verdict risque
de ranimer
un mouvement
indépendantiste
apathique

Les Indiens font céder


le pouvoir équatorien


Le gouvernement retire son décret
supprimant les subventions au carburant

quito ­ envoyée spéciale

A


u terme de douze jours
d’une mobilisation qui a
paralysé le pays et de qua­
tre heures de négociations, les In­
diens équatoriens ont obtenu gain
de cause dimanche soir. Le prési­
dent Lenin Moreno a en effet ac­
cepté de retirer le décret 883 qui,
supprimant les subventions publi­
ques aux carburants, avait provo­
qué une hausse du prix du diesel à
la pompe de plus de 100 % et la co­
lère populaire. Quito a immédiate­
ment explosé de joie.
Le chef de l’Etat avait proposé
vendredi « un dialogue direct »
pour tenter de mettre un terme à
la crise. Les dirigeants de la Confé­
dération des nationalités indigè­
nes de l’Equateur (Conaie) avaient
exigé, samedi, que le dialogue soit
« public ». Tenu sous l’égide des Na­
tions unies et de la Conférence
épiscopale, il a donc été retrans­
mis dimanche en direct à la télévi­
sion et suivi comme un match de
football. Les parties sont conve­
nues de « concerter un nouveau dé­
cret annulant le 883 », a annoncé le
fonctionnaire onusien Arnaud Pe­
ral. Le président de la Conaie,
Jaime Vargas, a immédiatement
donné ordre à ses camarades de le­
ver des barrages qui bloquaient les
routes. Les classes devaient re­
prendre dès lundi, ainsi que l’acti­
vité économique.
A l’annonce de la concession
gouvernementale, la liesse a éclaté
aux abords de la Maison de la cul­
ture, dans le centre de Quito, où les
Indiens venus de tout le pays
avaient installé leur quartier géné­
ral. Les rues de la capitale, désertes
depuis l’instauration, samedi
après­midi, d’un couvre­feu géné­
ral, ont alors ressuscité en quel­
ques instants. Le bruit des feux
d’artifice a remplacé celui des
bombes lacrymogènes. Les In­
diens ont scandé le traditionnel
slogan latino­américain : « Le peu­
ple uni ne sera jamais vaincu! »
« Merci nos frères », ont crié les
manifestants qui déferlaient à
pied, en voitures, en camions.
Tous brandissaient des drapeaux
équatoriens. Les klaxons son­
naient joyeusement : « Je suis telle­
ment heureuse, expliquait de sa
voix douce Maria, chapeau de feu­
tre sur la tête. On a gagné et on peut
rentrer chez nous, avec dignité ».

Entre 7 000 et 10 000 Indiens ont
occupé la capitale.
« La raison et le bon sens ont ga­
gné et nous en somment heureux,
s’est félicité, dans la ville de
Cuenca, le leader indien Yaku Pe­
rez. Mais nous sommes tristes aussi
parce que nous n’oublions pas nos
morts. » Selon la Defensoria del
Pueblo, l’organisme public chargé
de veiller au respect des droits de
l’homme, sept personnes ont été
tuées et plus d’un millier a été
blessé au cours des affrontements
avec les forces de l’ordre.

« Nous n’allons rien céder »
Les organisations de défense des
droits de l’homme Amnesty Inter­
national et Human Rights Watch
se sont publiquement inquiétées
de la brutalité de la répression de­
puis le début des manifestations.
De l’avis des observateurs, les vio­
lences policières ont contribué à
radicaliser le mouvement indien.
Des actes de vandalismes iné­
dits ont marqué les manifesta­
tions. Samedi, un immeuble pu­
blic a été incendié, les locaux de la
chaîne Teleamazonas et du quoti­
dien El Comercio ont été attaqués.
La Conaie a attribué les violences
à des casseurs. Dans un pays où
les manifestations ont toujours
été pacifiques, ces images de des­
tructions et leur bilan humain
ont suscité une vive émotion.
« Nous n’allons rien céder », pro­
mettait dimanche matin Jaime
Vargas à sa base avant de rejoin­
dre la salle des négociations, en
compagnie de tous les autres diri­
geants de la Conaie. D’aucuns au
sein de la confédération, et no­
tamment les nombreux jeunes,
auraient voulu continuer le mou­
vement pour forcer Lenin Mo­
reno à la démission.
« Je n’ai jamais eu l’intention d’af­
fecter les secteurs les plus démunis
et les plus pauvres », a tenté d’expli­
quer, au début de la réunion, le
chef de l’Etat qui a pris la décision
d’augmenter le prix de l’essence
dans le cadre d’un accord avec le
FMI. Les chefs indiens se sont
montrés inébranlables. « Si vous
ne retirez pas le décret 883, nous
continuerons, fermes et unis », a dé­
claré Jaime Vargas, le visage peint
et coiffé de plumes. Lenin Moreno
a cédé. Il va devoir désormais af­
fronter la colère de la droite.
marie delcas

« Aujourd’hui, nous
sommes tous
condamnés »
ROGER TORRENT
président du
Parlement catalan

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Insign. •Réf: AP CÉCILE 2019. • Merci àCécile, médecin encentre médico-social, d’avoir prêté son visage à notrecampagne decommunication.
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