Les Echos - 18.10.2019

(Grace) #1

LE
COMMENTAIRE


de Pierre Cahuc


Territoire zéro chômeur : une fausse bonne solution


E


n décembre 2015, le finance-
ment de l’expérimentation
territoires zéro chômeur de
longue durée a été voté à l’unani-
mité à l’A ssemblée nationale. Cette
initiative originale, soutenue par
ATD Quart Monde et d’autres asso-
ciations, consiste à créer des entre-
prises à but d’emploi (EBE) dans dix
territoires pilotes. Ces EBE doivent
embaucher des chômeurs de lon-
gue durée en CDI. Rémunérés au
SMIC, ils d oivent produire des b iens
et services qui répondent à des
besoins non satisfaits, car peu ren-
tables. En outre, leurs activités,
comme le maraîchage, les services
à la personne, les travaux de réno-
vation, le transport de personnes,
ou les épiceries solidaires, sont cen-
sées ne pas concurrencer l’emploi
existant.
L’expérimentation a réellement
démarré début 2017, puisque les

EBE ont commencé à embaucher
en janvier 2017, e t emploient
aujourd’hui environ 800 person-
nes. Bien que l’expérimentation ait
été prévue pour 5 ans, un projet de
loi devrait être bientôt déposé pour
proposer de l’étendre à un grand
nombre de territoires dès 2020. Plu-
sieurs centaines de territoires
seraient candidats et de nombreux
soutiens se mobilisent en vantant le
succès de l’expérimentation en
cours.
L’efficacité de territoires zéro
chômeur repose, selon ses promo-
teurs, sur un argument irréfutable :
l’embauche en EBE ne coûte prati-
quement rien aux finances publi-
ques, p uisque la collectivité
débourse environ 18.000 euros par
an pour chaque chômeur de l ongue
durée. Il y a alors tout intérêt à utili-
ser ces ressources pour embaucher
ces chômeurs, même sur d es

qu’une part significative des per-
sonnes embauchées jusqu’à pré-
sent par les EBE ont travaillé en
CDD, à temps partiel, ou en intérim
dans l es mois précédant leur
embauche, ce qui implique que les
économies pour les finances publi-
ques liées à leur embauche seraient
plutôt de l’ordre de 6.000 euros. Un
rapport de l’IGF et de l’Igas devrait
bientôt nous éclairer sur ce sujet. Et
le coût d’un emploi ne se limite pas
au salaire versé : il faut prévoir des
frais pour l’encadrement et les
investissements immobiliers et
mobiliers. De fait, un emploi coûte
environ 26.000 euros par an à un
EBE. Au total, on est loin d’une créa-
tion d’emploi quasi gratuite pour
les finances publiques. Le coût
annuel net, prenant en compte les
rémunérations, les frais d’encadre-
ment et d’investissement ainsi que
les transferts économisés oscille-

rait plutôt e ntre 1 5.000 e t
20.000 euros.
Ainsi, cette expérimentation ne
produit pas le miracle annoncé. Son
coût est significatif et elle doit être
comparée aux autres dispositifs
d’accompagnement vers l’emploi
des chômeurs de longue durée. Ces
dispositifs présentent l’avantage de
combiner emploi, formation et sou-
tien personnalisé, aspects quasi
absents de l’expérimentation terri-
toire zéro chômeur qui risque
d’enfermer à terme des c entaines de
personnes d ans des emplois
publics peu rémunérés, peu pro-
ductifs et coûteux. Il est donc sou-
haitable d’attendre patiemment la
fin de cette expérimentation pour
pouvoir en évaluer les effets avant
d’envisager son extension.

Pierre Cahuc est professeur
à Sciences Po

emplois très peu productifs, puis-
que le coût annuel du travail au
niveau du SMIC est de l’ordre de
20.000 euros.

En réalité, cet argument n’est pas
crédible. Les évaluations disponi-
bles indiquent qu’une personne qui
passe du non-emploi à un emploi
au SMIC fait économiser à la collec-
tivité un montant annuel de l’ordre
de 9.000 à 10.000 euros, au grand
maximum. En outre, il apparaît

« Cette
expérimentation ne
produit pas le miracle
annoncé. Son coût est
significatif et elle doit
être comparée aux
autres dispositifs. »

Disney+, le challenger


qui veut battre Netflix


Leïla Marchand
@leilamarchand


Un nouveau challenger est attendu
sur le ring de la SVOD : Disney+. A
partir du 12 novembre aux E tats-Unis,
le service de streaming du géant du
divertissement débarque pour défier
Netflix. Il s’attaque à un titan qui s’est
imposé depuis quelques années
comme le modèle du marché. Comp-
tant plus de 150 millions d’abonnés
dans l e monde en 2019, la plate-forme
au « N » rouge a bouleversé notre
façon de regarder les séries télé.
Pour 13 dollars par mois (forfait
standard), Netflix donne accès à des
centaines de films, documentaires et
séries originales, sans qu’il y ait
besoin d’attendre une semaine la
sortie du prochain épisode de
« Stranger Things », une de ses séries
à succès. Cette possibilité de « binge-
watcher » – se gaver de trois saisons
en un week-end, à condition de ne
pas bouger de son canapé – a été
popularisée par Netflix. D’après un
sondage de Médiamétrie, au moins
six jeunes sur dix s e livrent régulière-
ment au « visionnage boulimique »,
comme on l’appelle en bon français.
Mais face à Netflix, Disney pré-
pare ses coups. Et, étonnamment, il
ne compte pas reprendre l’arme
fatale de Netflix sur sa plate-forme,
qui doit faire une entrée fracassante
dans le monde du streaming. Le
géant aux grandes oreilles a
annoncé qu’il diffusera ses nouvelles
séries au rythme d’un épisode par
semaine. Les fans de « Star Wars »
vivront donc les mêmes tourments
que les fans de « Dallas » à leur épo-
que, en patientant durant sept jours
avant chaque nouvel épisode.
Ce retour à l’ancienne formule
risque de faire rager plus d’un télés-
pectateur. Et pourtant, il s’agit pro-
bablement de la tactique la plus
prometteuse de Disney pour
s’imposer sur le marché très con-
currentiel de la vidéo à la demande.
« En faisant cela, on verrouille
l’abonné, explique Gilles Pezet, res-
ponsable du pôle économie des
réseaux et usages numériques chez


NPA Conseil. Pour une série en dix
épisodes, on est assuré de garder
l’abonné au moins trois mois. »
Alors que la croissance du nom-
bre d’abonnés de Netflix dépend f or-
tement de son calendrier de diffu-
sion, la programmation d’épisodes
sur plusieurs mois peut a ider à créer
une base d’abonnés plus stable.
Disney devrait profiter de son p orte-
feuille prometteur de séries pour
diffuser chaque nouvelle produc-
tion juste avant la fin de la diffusion
de la précédente et ainsi s’assurer de
garder l’attention de ses abonnés.
« L’objectif de Disney d’atteindre
les 10 millions d’abonnés dès la fin de
la première année ne devrait pas être
difficile à réaliser. Mais les garder en
permanence pourrait être plus com-
pliqué », prédit Gilles Pezet. Le
géant américain doit s’appuyer sur
sa plus grande force : ses franchi-
ses. Les dessins animés signés Walt
Disney bien sûr, mais aussi Pixar,
« Star Wars », « Les Simpsons » et l a
machine à cash « Marvel ». Disney
ne prévoyant pas de dépenser
autant que Netflix dans la produc-
tion de contenus originaux, il est
donc essentiel pour lui de faire en
sorte que ses abonnés reviennent
tout d e même régulièrement
feuilleter son catalogue.
Mais la motivation de Disney+
n’est pas uniquement financière.
« Mettre fin au “binge-watching” cor-
respond à son positionnement straté-
gique de se présenter comme un “a nti-
Netflix” », souligne l’analyste. Le
président de la division streaming de
Disney a ainsi clairement annoncé
que leur service privilégierait la qua-
lité sur la quantité, en misant sur des
marques fortes. Proposer un seul
épisode par semaine va dans le sens
de cette image premium face à la
consommation « fast-food » propo-
sée par Netflix. Mieux, cette techni-
que permet de « maintenir la discus-
sion » autour d’une série. Le succès
de « Game of Thrones », qui a tenu
en haleine des millions de téléspec-
tateurs ces huit dernières années, en
alimentant les théories les plus folles
des fans avant chaque sortie hebdo-

madaire d’épisode, a sans doute ins-
piré Disney. « Même si une série est de
qualité, si on sort t ous les épisodes d’un
coup, on n’a pas le t emps de capitaliser
sur ce succès », note Gilles Pezet. Sur
Netflix, la durée de buzz d’une série
n’excède pas quelques jours. Cet été,
la nouvelle saison de « Stranger
Things » n’a pas eu le temps de faire
parler d ’elle qu’elle était déjà enterrée
par la sortie de « La Casa de Papel »,
elle-même éclipsée quelques jours

plus tard par « Mindhunter »...
Disney pourrait marquer des points
sur un autre aspect, pouvant paraî-
tre plus anecdotique, mais qui fait
pourtant « beaucoup parler sur les
forums aux Etats-Unis », d’après
Gilles Pezet : le « spoil ». En contrô-
lant le rythme de diffusion des épiso-
des, Disney s’assure que p ersonne ne
« divulgâche » la fin de ses séries,
comme le disent si bien les Québé-
cois.

Disney serait-il en train de signer
la fin de l’ère du binge-watching?
L’entreprise de Bob Iger n’est pas la
seule à avoir adopté ce modèle.
Hulu f onctionne déjà de cette f açon,
et Apple a également annoncé une
diffusion hebdomadaire d e ses con-
tenus. A l’heure où Netflix est
devenu le royaume de la surcon-
sommation de contenus, Disney
fait le pari de la « slow video ». Et ça
pourrait bien marcher.n

L’ANALYSE
DE LA RÉDACTION
Disney a annoncé que
sa future plate-forme
de streaming, qui
devrait être disponi-
ble au printemps
2020 en France,
diffusera ses nouvel-
les séries au rythme
d’un épisode par
semaine. Une straté-
gie à l’opposé de celle
de Netflix, qui devrait
lui permettre de
garder ses abonnés
plus longtemps.

Pinel

pour « Les Echos »

D


Les points à retenir



  • Disney lance sa plate-forme
    Disney+ le 12 novembre
    prochain aux Etats-Unis.

  • Pour marquer sa différence
    et s’imposer rapidement, le géant
    du divertissement a fait des choix
    forts : un immense catalogue
    disponible dès le lancement
    et des nouveautés distillées
    à un rythme hebdomadaire.

  • Si Netflix a réussi a imposer
    le « binge-watching » (visionner
    plusieurs saisons dans un laps
    de temps court) comme la norme
    de diffusion actuelle, parier
    sur la « slow video » permettrait
    à Disney de se démarquer de son
    principal rival et de captiver son
    audience au-delà d’un simple
    effet de buzz.


Les Echos Vendredi 18 et samedi 19 octobre 2019 // 11


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