Les Echos - 18.10.2019

(Grace) #1

12 // IDEES & DEBATS Vendredi 18 et samedi 19 octobre 2019 Les Echos


opinions


Le débat sur l’immigration


calmé par les chiffres


l’immigration est-elle utile lorsque les
employeurs, dans les secteurs « en ten-
sion », font face à une « pénurie » de
salariés? La réponse qui conduirait à
des politiques de « quotas » n’est pas
claire, par manque d’études. Les écono-
mistes recommandent à la France
d’abord de fluidifier son marché du tra-
vail et de former les non-qualifiés, sou-
vent les immigrés déjà sur place, avant
d’en faire venir d’autres.
Les conséquences de l’immigration
sur les finances publiques sont faibles.
Deux études disponibles (OCDE et
Cepii) concluent à un léger coût (envi-
ron – 0,3 % point de PIB) pour une rai-
son compréhensible : les immigrés ont
des salaires, donc des cotisations, plus
basses (d’environ 15 %). L’âge plus faible
des immigrés devrait conduire à un ré-
équilibrage dans le futur (ils paieront
les retraites de tous) mais ce dividende
démographique sera plus faible en
France qu’ailleurs du fait du chômage
plus élevé de cette population.
Les conséquences sur la croissance
par tête sont positives selon les écono-
mistes, à cause de l’augmentation de la
population a ctive qui stimule la
consommation et l’investissement.
L’examen empirique confirme un effet
positif, mais il est très dépendant du
niveau de qualification des entrants et
ne joue qu’à long terme.
Le rapport demande à la puissance
publique de commander des suivis
réguliers des trajectoires des popula-
tions d’immigrés. J’ajouterais que
l’interdiction des statistiques ethniques
en France « pour ne pas discriminer » se
retourne contre les populations immi-
grées et devient paralysante pour la
puissance publique. Elle laisse courir
les erreurs, les fantasmes et les aveugle-
ments. Sur le terrain économique et
social, l’immigration ne mérite pas ces
fureurs.

Eric Le Boucher est éditorialiste
aux « Echos »

(1) Rapport pour l’Assemblée nationale
juillet 2019
(2) « Introduction à la pensée complexe »,
Points

par an) sont également un peu infé-
rieurs à ceux des autres pays. Selon
l’Insee, un quart du total des entrants
repartent (en particulier les étudiants).
Mais comme la France a accueilli des
immigrés de longue date (4 % de sa
population en 1920), elle a sur son sol
une proportion plus élevée d’immigrés
et d’enfants d’immigrés que les autres
grands pays : 27 % selon l’Insee, ou 21 %
selon les critères du Haut Conseil à
l’Intégration. On comprend à ces der-
niers chiffres pourquoi l’opinion est
devenue très sensible à la question de
l’immigration.

Mais contrairement au sentiment
commun, son impact sur le chômage et
sur les salaires des résidents est « fai-
ble », selon toutes les études recensées
par le rapport de France Stratégie, en
France comme dans les autres pays.
Dans les pays où les mécanismes sala-
riaux sont rigides et où le SMIC est haut,
comme en France, l’impact sur les salai-
res est nul. Mais ce constat doit être
nuancé dans certains cas, par exemple
sur les revenus des non-qualifiés,
comme dans la construction. Les pre-
miers concernés par une concurrence
sont alors t rès souvent les immigrés des
années précédentes. Dans l’autre sens,

Contrairement
au sentiment commun,
l’impact de
l’immigration
sur le chômage
et sur les salaires
des résidents est faible.

L’ interdiction
des statistiques
ethniques en France [...]
se retourne contre les
populations immigrées
et devient paralysante
pour la puissance
publique.

SOCIÉTÉ// Un rapport de France Stratégie publié en juillet permet
de sortir des fantasmes liés à la question migratoire. Les immigrés
coûtent très peu aux finances publiques. Et l’effet sur la croissance
par tête est positif à long terme.

Manifestation de migrants,
place de la République à Paris,
en décembre dernier.

DANS LA PRESSE
ÉTRANGÈRE


  • L’affaire commence en 2012 dans les
    locaux du Credit Suisse à Londres, où
    un représentant de la Secrétairerie
    d’Etat du Vatican, chargé de la gestion
    de centaines de millions de dollars de
    donations de fidèles, et un financier ita-
    lien, Raffaele Mincione, se rencontrent,
    raconte le « Financial Times », après
    des premières révélations du magazine
    « l’Espresso ». Son conseil un an après :
    « n’investissez pas dans un projet pétro-
    lier en Afrique mais dans l’immobilier de
    luxe à Londres ». En 2014 un transfert de
    200 millions d e dollars, selon l e journal,
    a été effectué depuis les c omptes de Cre-
    dit Suisse et de Banca della Svizzera Ita-
    liana (BSI) de Lugano à la société hol-
    ding du financier italien qui avait fait la
    une des tabloïds dans les années 1990
    lorsqu’il f ut le c ompagnon de l’ancienne
    modèle Heather Mills. Mais le résultat
    de cette opération est que, désormais, le
    dicastère de la curie romaine est copro-
    priétaire d’un projet de 49 apparte-
    ments à Chelsea au 60 Sloane Avenue.
    Un projet risqué après les remous sur le
    marché immobilier londonien provo-
    qués par le Brexit. La police du Vatican,
    comme l’indiquaient « Les Echos »
    récemment, vient de saisir des docu-
    ments financiers et des ordinateurs de
    la Secrétairerie et cinq employés ont été
    suspendus. D’après le « FT », l’enquête
    s’est concentrée sur la manière dont
    l’officine est rentrée dans une transac-
    tion financière aussi complexe. Et se
    masque derrière la bataille que livre
    une faction de cardinaux désireux de
    résister aux tentatives du pape François
    de remettre de l’ordre dans les finances
    du Vatican. La société d’investissement
    de Mincione, WRM, a précisé que la
    secrétairerie avait été conseillée dans
    ses opérations par le Credit Suisse et
    que les transactions avaient été contrô-
    lées par des auditeurs. Une affaire en
    tout cas à suivre. —J. H.-R.


Immobilier : le Vatican
dans le piège du Brexit

LE MEILLEUR DU


CERCLE DES ÉCHOS


Anglais à l’école :


en finir avec le QCM


La ministre de l’Enseignement supérieur veut
la mise en place d’une certification obligatoire
d’anglais en fin de licence à partir de 2020.
Une proposition louable, mais inefficace si
l’on maintient l’actuel questionnaire à choix
multiples (QCM) qui ne reflète pas le niveau
réel des étudiants, prévient Hervé Marc,
directeur Europe et Afrique du Nord
de Cambridge Assessment English.


NIVEAU« Les étudiants français, à l’instar
de l’ensemble de la population, n’auraient
pas le niveau en anglais attendu par les
recruteurs et par les universités étrangères.
[...] Dans l’enseignement supérieur, 31 %
seulement des étudiants en école d’ingénieurs
atteignent le niveau B2, minimum requis par
la commission des titres d’ingénieurs pour
l’obtention du diplôme. Par ailleurs, 20 % des
étudiants évalués ne dépassent pas le niveau
débutant A1-A2. »


ÉVALUATION« La décision du
gouvernement, certes louable, s’avérera
pourtant inefficace à élever le niveau général
si l’examen choisi ne devait pas s’inscrire dans
un dispositif plus large incluant, d’une part,
une redynamisation de l’enseignement de
l’anglais et, d’autre part, un dispositif
d’évaluation incluant les quatre compétences
langagières : à l’oral, comprendre et parler ;
à l’écrit, lire et écrire. Concrètement, il est
temps d’en finir avec l’inefficacité des tests
sous forme de QCM [...]. »


BACHOTAGE« Pour les étudiants du
supérieur, il devient urgent d’abandonner les
tests d’anglais par QCM papier, en particulier
à l’heure de l’avènement de la transformation
numérique. Obsolètes et inefficaces pour juger
correctement du niveau réel des candidats,
ils favorisent le bachotage et n’évaluent que
les compétences de réception (écouter, lire)
au détriment des compétences de production
(parler, écrire), indispensables dans la
maîtrise de la langue et prioritairement
demandées dans le monde du travail. »


a


A lire en intégralité sur Le Cercle :
lesechos.fr/idees-debats/cercle

Eric Feferberg/AFP

LA
CHRONIQUE
d’Eric
Le Boucher

Q


ue sait-on vraiment, au-delà
des préjugés et des fantasmes,
de l’immigration? Au moment
où le président de la République rouvre
le débat, il faut se reporter à la précieuse
étude publiée par France Stratégie en
juillet, forte de chiffres, riche d’analyses
et toute en nuances (1).
L’immigration a des impacts politi-
ques, culturels, religieux que n’aborde
pas le rapport. Il se concentre sur le
marché du travail, les finances publi-
ques et la croissance. Conclusion? Il
faut se garder de tout discours absolu
sur l’immigration qui serait intrinsè-
quement « bonne » ou « mauvaise ».
Parmi les nombreux facteurs qui dyna-
misent ou affectent l’économie et le
social d’un pays comme la France,
l’immigration compte en réalité peu.
Elle n’a qu’un effet marginal sur le chô-
mage et les salaires, elle coûte mais très
peu aux finances publiques et au total
elle n’influe que faiblement sur la crois-
sance. Il faut espérer qu’un débat prési-
dentiel ainsi nourri de tels constats
puisse sortir du fouillis, nous faire
entrer dans la pensée complexe, celle
que préconise Edgar Morin, et de faire
retomber la chaleur (2).
Il y a en France, 6,7 millions d’immi-
grés au sens d e personnes nées étrangè-
res à l’étranger (chiffre Insee 2018), soit
9,7 % d’une population totale de 67 mil-
lions. Plus d’un tiers (37 %) ont acquis la
nationalité française. Les immigrés
sont nés à 35 % en Afrique et autant en
Europe. Ils s ont très c oncentrés dans l es
métropoles, 38 % vivent dans la région
parisienne. Ces statistiques sont en aug-
mentation à peu près continue depuis
1950, avec un léger ralentissement
entre 1970 et 2000 et une nouvelle accé-
lération depuis (7,3 % en 1999). Mais ils
sont inférieurs à ceux des pays compa-
rables, dont l’Allemagne ou la Grande-
Bretagne. Les flux d’arrivées (260.

LA REVUE
DU JOUR

Ralentir, lire
et réfléchir

LE PROPOS Voici une nouvelle
publication qui invite à prendre
du temps pour penser et
découvrir. « Big Time », dont
la signature en sous-titre rappelle
que « rien ne presse », vient de
naître. La revue paraîtra cinq fois
par an, précisément avant des
périodes de ponts et de vacances.
Un peu dans la tradition du « long
read » anglo-saxon, il s’agit de
redonner ses lettres de noblesse
à l’entretien approfondi et aux
publications qui font découvrir
à la fois l’époque et le monde.
Dans cette première livraison,
le chef Pierre Gagnaire soutient
que « la viande doit devenir une
rareté », tandis que François
Hollande estime que « Obama
a remis Poutine dans le jeu ».
Suivent notamment deux
explorations « multicanal »
de Bologne et Tanger. Bien
des occasions, pour le lecteur,
de laisser ses jouets numériques
de côté et de savourer le bel
ouvrage.

L’ORGANISATION Clément Boulle,
directeur de publication, est un
entrepreneur des médias et du

marketing digital. Richard Robert,
directeur de la rédaction, est un
élégant lettré. Cette équipe,
qui aspire à la décélération, veut
organiser la vie d’une revue
de façon moderne, avec lecteurs
impliqués, donateurs engagés
et ambassadeurs du projet.
A suivre. Lentement.
—Julien Damon

« Big Time »
n° 1, automne 2019, 19 euros.
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