Les Echos - 18.10.2019

(Grace) #1

14 // IDEES & DEBATS Vendredi 18 et samedi 19 octobre 2019 Les Echos


focus


Retraites : la mère de toutes


les réformes


I


l y a Jean-Claude, né en 1934. Pas
riche, mais une carrière linéaire, un
revenu correct, un pavillon. Héros
ordinaire de la France des trente glo-
rieuses, il touchait 25.000 francs de
revenus en fin de carrière. La retraite
venue, i l aura bénéficié d e 20.000 francs
de retraite par mois. Un quasi-miracle
aujourd’hui.
Il y a aussi Thérèse, 78 ans, salariée
pendant dix ans, puis collaboratrice de
son mari qui gérait une entreprise arti-
sanale mais ne déclarait pas son épouse
pour améliorer la présentation de ses
comptes. Bilan : moins de 1.000 euros
par mois de pension pour Thérèse,
désormais veuve...
Voici encore Michel, 58 ans, conduc-
teur de train, retraité depuis huit ans...
3.000 euros net de salaire en fin de car-
rière, 2.200 euros net de pension. Un
taux de remplacement sans équivalent.
Et puis viennent Gaëlle et Kevin,
enfants du siècle, nés en 2000, chez qui
le besoin de sécurité est manifeste,
directement proportionné à la fragilité
croissante d’un système de retraite qui,
pour Jean-Claude, notre retraité du
début, n’était pas – ou peu – un sujet.
Fascinante entrée en matière, à vrai
dire, que celle de Pascal Perri dans cet
excellent livre consacré aux retraites.
Dans son chapitre initial, judicieuse-
ment intitulé « 50 nuances de retrai-
tés », il campe à merveille la phénomé-
nale d iversité des situations que connaît
la France, forte de ses 42 régimes, de ses
statuts particuliers, de ses carrières
fr agmentées, une mosaïque composée
dans la durée, produit d’une longue his-
toire d’iniquités, là où une même jour-
née de travail ne pèse jamais d’un poids
égal dans le calcul du droit à la retraite.
Un système dont on comprend, à la
lecture de ces pages, pourquoi Emma-


nuel Macron a projeté de le réformer en
profondeur pour le simplifier et bâtir,
tout simplement, un modèle universel,
par points, le même pour tous.
Nul ne sait, à l’heure qu’il est, ce qu’il
adviendra de cette réforme ni à quelle
date elle prendra corps. Mais à ceux qui
reprochent aujourd’hui à ce New Deal
son approche exclusivement sociétale,
là où l’urgence serait plutôt de sauver
des régimes à bout de souffle financier,
Pascal Perri répond que l’on ne s’en sor-
tira pas en touchant simplement –
comme on l’a toujours fait – à la sacro-
sainte trilogie des paramètres (durée de
cotisation, montant des prestations ou
âge de départ). Ce pilotage macroéco-
nomique n’a pas empêché la France
d’être dans une situation précaire, où le
seul avenir de nos régimes de retraite
repose sur l’espoir d’une croissance qui
reste durablement plus élevée que le
montant des pensions. Convenons que,
de nos jours, ce pari est devenu émi-
nemment risqué.

Les conditions du salut
financier
Si on lit bien l’auteur, c’est au contraire
de la résorption de l’iniquité des régi-
mes actuels que pourrait venir le salut
financier. Un seul chiffre pourrait résu-
mer sa pensée : celui de l’écart entre les
cotisations et les pensions versées aux
agents publics, soit 40 milliards d’euros
par an, intégralement compensé par
l’Etat, donc par le contribuable. Un
déséquilibre flagrant, consubstantiel à
notre système actuel, qui a sciemment

choisi de privilégier les fonctionnaires
et agents de l’Etat au détriment des sala-
riés du privé.
Autre chiffre frappant, celui des
réserves accumulées par les différentes
caisses de retraite des professions libé-
rales, aujourd’hui vent debout contre la
réforme : 27 milliards d’euros au total,
là où le régime général peine à s’équili-
brer. Enfin, en guise de modèle, Pascal
Perri ne manque pas d’évoquer les régi-
mes complémentaires Arrco et Agirc,
fonctionnant selon un régime par
points proche de la réforme voulue par
Emmanuel Macron, qui ont accumulé
70 milliards d’euros de réserves.

Exercice de pédagogie
Si l’on voit bien vers quel type de
réforme p enche le cœur d e Pascal Perri,
ce dernier ne s’en livre pas moins à un
exercice de clarté, d’objectivité, voire de
pédagogie sur un dossier qui passionne
les Français. D’où venons-nous? Où
allons-nous? Qui seront les gagnants et
les perdants? Faut-il ou non garder les
régimes spéciaux? Ou tous les suppri-
mer? Comment rétablir l’égalité de
traitement entre agents publics et sala-
riés du privé? Comment livrer aux
générations futures une architecture
qui tienne la route et leur permette de
vivre une vieillesse – plus longue assu-
rément – à l’abri de la précarité?
Autant de questions, et autant de
réponses surtout, à lire dans ce livre fort
bien fait, pédagogique sans jamais être
ennuyeux et engagé. L’auteur n’est pas
dupe de la difficulté à réformer sur un
terrain aussi glissant, aussi propice aux
passions, aussi révélateur des com-
plexités de n otre société. « La réforme va
heurter les habitudes des corporations
qui avaient bâti des régimes séparés »,
écrit-il. Macron ira-t-il jusqu’au bout?
C’est tout l’enjeu des prochains mois.
C’est un chantier immense, extraordi-
nairement risqué sur le plan politique,
enthousiasmant aussi en ce qu’il pour-
rait faire basculer notre modèle social
dans un tout autre monde.n

42 régimes, des statuts particuliers, des carrières fragmentées : le paysage de la retraite en France est une
mosaïque composée dans la durée, produit d’une longue histoire d’iniquités. Photo Hamilton/RÉA


Dans un livre à la fois engagé et pédagogique, Pascal Perri plaide pour


une réforme en profondeur de nos régimes de retraite, qui rétablisse


l’équité entre agents publics et salariés du privé.


ESSAI
Retraites,
la dernière
chance
par Pascal
Perri. Editions
de l’Archipel,
236 pages,
18 euros.

ESSAI
Le New Deal
vert mondial
par Jeremy Rifkin,
Les Liens qui
libèrent, 304 pages,
21,80 euros.

LIVRES


Par Daniel Fortin


infrastructures régionales connectées
entre elles au-delà des frontières. Au
XXIe siècle, chaque Etat, chaque ville, cha-
que comté des Etats-Unis, ainsi que chaque
localité dans le monde, peut espérer pro-
duire assez d’électricité pour être autosuffi-
sant et résilient. Le soleil brille partout et le
vent souffle partout. »

LE MODÈLE CHINOIS. « La notion d e “civili-
sation écologique” est non seulement au
cœur de la politique intérieure de la Chine
mais au cœur de la nouvelle route de la soie.
La Chine s’é loigne progressivement de la
vision géopolitique qui déterminait les l iens
entre les nations à l’ère de la première révo-
lution industrielle et de la deuxième révolu-
tion industrielle, aux XIXe et XXe siècles,
pour adopter la vision de la biosphère pro-
pre au XXIe siècle, qui signale l’aube de l’Age
écologique. »

UN FUTUR RADIEUX. « Ce changement de
perspective est presque une aubaine ; si
nous l’acceptons et si nous l’intériorisons,
nous maîtriserons la disruption climatique
en cours et nous survivrons, voire, qui sait,
nous nous épanouirons au fil de nombreux
siècles dans un monde qui sera sans doute à
des années-lumière du nôtre. »n

physicien et philoso-
phe des sciences
Etienne Klein dans
son dernier essai. En
nourrissant sa
réflexion, comme à
son habitude, aussi
bien des spéculations
des philosophes – de
Démocrite à Sartre –
que des découvertes d es physiciens, lesquels
n’en finissent pas, eux non plus, de s’interro-
ger à son sujet. Un livre entier pour ne parler
que de lui : la meilleure preuve que le vide
n’est pas rien. —Y. V.

Ce qui est sans
être tout à fait
par Etienne Klein,
Actes Sud,
172 pages, 18 euros

encore celui d’ONG
environnementales
contre la compagnie
pétrolière Shell. Ces
procès, expression de
nouvelles formes de
mobilisation
citoyenne, montrent
pour l’auteure une
certaine efficacité.
« Celle du dernier espoir, de la dernière cham-
bre d’écho », écrit-elle. Pour preuve, ils
déclencheraient la « conscientisation » des
populations ou encore l’amendement des
agendas gouvernementaux. —K. B.

Justice pour
le climat!
Les nouvelles
formes de
mobilisation
citoyenne
par Judith
Rochfeld. Odile
Jacob, 19,90 euros.

Depuis deux décennies, l’économiste et
prospectiviste américain prédit à longueur
d’ouvrages que le solaire et l’éolien vont se
généraliser, et que leur mariage avec les
technologies numériques annonce une
nouvelle révolution industrielle, marquée
par une abondance de l’énergie, une distri-
bution décentralisée des ressources et la
création de nouveaux emplois plus
« verts ». Autant d’idées présentes dans le
concept de « Green New Deal », qui inspire
aujourd’hui une partie des démocrates
américains. Son dernier essai peut leur ser-
vir de bréviaire : il explique que la bulle des
énergies carbonées va éclater (en 2028,
soyons précis), et qu’il f aut investir
d’urgence dans les t echnologies qui p ermet-
tront enfin de se passer du pétrole et du gaz.
Pour Rifkin, un nouveau modèle émerge
porté par l’Europe, mais aussi, ce qui est
plus d érangeant, par la Chine, pour laquelle
il affiche une admiration sans nuance.

LA BULLE CARBONE. « Les énergies issues
des combustibles fossiles ont créé́ une bulle
carbone qui n’a aucun équivalent dans l’his-
toire de l’humanité [...]. Certaines études ont
fixé́ la date du point de bascule à 2023,
d’autres à 2035. Si l’on compare les diffé-
rents s cénarios e t les différentes projections
[...], l’effondrement de la civilisation des
combustibles fossiles devrait se produire
autour de 2028. »

L’ ÉNERGIE LOCALE. « Nous sommes à
mille lieues du New Deal de Roosevelt, qui a
vu le gouvernement fédéral construire et
superviser de gigantesques barrages pour
produire et distribuer de l’électricité́ bon
marché́ d ans t oute l’Amérique. Le New Deal
Vert est centré sur des énergies renouvela-
bles exploitées localement et gérées par des


  • Question : quoi de
    commun entre le ver-
    tige qui saisit l’alpi-
    niste suspendu à une
    paroi rocheuse,
    l’ennui qui s’empare
    de celui qui n’a rien à
    faire ou ne parvient
    pas à s’intéresser à ce
    qu’il fait ou devrait
    faire, et Pascal chargeant son beau-frère Flo-
    rin Périer d’emporter un baromètre à mer-
    cure au sommet du puy de Dôme?
    Réponse : une certaine expérience du vide.
    C’est à ce concept qu’a choisi de s’attaquer le


Livres en bref


Tout sur le vide



  • Et si le sort du cli-
    mat se jouait devant
    les tribunaux? La
    professeure de droit
    privé Judith Rochfeld
    vient de consacrer un
    essai à ce sujet. Elle y
    présente et analyse
    les procès inédits
    contre les responsa-
    bles du dérèglement climatique ou contre
    ceux qui n’agissent pas (ou pas assez), alors
    qu’ils s’étaient pourtant engagés à le faire.
    Elle revient notamment sur le procès de la
    Fondation Urgenda contre les Pays-Bas, ou


Rendre justice à la planète


BONNES FEUILLES


Par Benoît Georges


Dans son essai, le prospectiviste américain annonce
la mort de la civilisation carbone... et érige l’Europe et
la Chine en modèles pour éviter le chaos climatique.

Le « Green New Deal »


selon Rifkin

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