Macron et la réforme
pas comme les autres
LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE
Cécile
Cornudet
L
a première réforme
post-« gilets jaunes »?
Dit comme cela, les
artisans de la réforme des
retraites n’auraient aucune
raison d’inquiéter. Les
samedis sont redevenus
plutôt tranquilles. Sauf que
ce mouvement a aussi été un
révélateur, et peut-être même
un moment de bascule. Celui
où violence et manifestation
sont devenues inséparables.
La Marche pour le climat du
21 septembre a été émaillée
d’incidents ; à Rouen, des
attroupements ont été très
tendus après l’incendie
de Lubrizol. Quelle tournure
pourrait prendre une
manifestation de plusieurs
centaines de milliers de
personnes, comme on en voit
toujours dans les réformes
des retraites? C’est la question
cauchemar de l’exécutif.
D’autant que le climat social
reste éruptif. Hôpitaux, police,
pompiers, agriculteurs,
enseignants... on ne compte
plus les secteurs en souffrance.
« C’est comme si les “gilets
jaunes’’ s’étaient certes apaisés
mais avaient diffusé partout
dans la société », note Julien
Vaulpré, D G du cabinet
Taddeo. Terrain miné, sujet
par définition explosif
puisqu’il concerne tout le
monde, fond d’incrédulité
devant toute parole publique,
rarement réforme n’aura paru
aussi risquée. « Tu peux perdre
la présidentielle sur cette
réforme », ont prévenu
certains de ses proches
lorsqu’Emmanuel Macron
a pris la décision. Oui, mais
l’inverse est vrai aussi. Je ne
gagnerai pas la présidentielle
si je ne fais pas la réforme,
a en substance répondu
le président. Reprendre le fil
du quinquennat pour tourner
la page des « gilets jaunes ».
Au sortir du grand débat,
Macron en est persuadé, il faut
poursuivre les réformes. Celle-
ci, en particulier, puisqu’elle
figurait dans son programme
et s’attaque à cette notion
d’injustice qui a enflammé les
ronds-points. Aux spectateurs
effarés des « gilets jaunes »,
il doit aussi cette autre
promesse. Si 10 milliards ont
été lâchés en décembre, c’était
pour sauver l’essentiel, a-t-il
expliqué. La crise passée, le
temps est donc revenu pour
l’essentiel, c’est-à-dire pour la
réforme ou, dit autrement,
pour le mouvement, puisqu’à
défaut d’idéologie, c’est ainsi
que se définit le macronisme.
Au gré des événements,
la retraite est devenue plus
qu’une réforme : un emblème,
la marque d’un président qui
voulait révolutionner la
politique et conjurer
l’immobilisme qui gagnait ses
prédécesseurs. Il ne faut pas
chercher plus loin les gestes de
ces derniers jours et la crainte
de les voir lus comme un recul.
Emmanuel Macron doit faire
une réforme infaisable.
[email protected]
Première réforme post-« gilets jaunes », celle
des retraites est aussi explosive qu’incontournable
pour Emmanuel Macron.
Dessins Kim Roselier pour
« Les
Echos »
Solveig Godeluck
@Solwii
« J’accueillerai tout geste favorable en
direction de l’hôpital, considérant la
situation des hôpitaux. » Mercredi,
lors de l’examen en commission des
Affaires sociales du projet de loi de
financement de la Sécurité sociale
pour 2020, le rapporteur général,
Olivier Véran, a fait un appel du pied
au gouvernement afin qu’il donne
des gages à la majorité sur les établis-
sements de santé. Impressionnés
par la crise des urgences qui dure
depuis mars, des députés de gauche,
de droite et même de la majorité ont
défendu des amendements visant à
mieux doter l’hôpital, quitte à ponc-
tionner les soins de ville.
Mais ces rallonges budgétaires
ont toutes été rejetées, après qu’Oli-
vier Véran lui-même a appelé à
voter contre, pour éviter un choc
En commission à l’Assemblée,
les députés n’ont pas adopté
les amendements augmen-
tant les crédits hospitaliers,
mais ils espèrent trouver
une solution d’ici à l’examen
du projet de loi de finance-
ment de la Sécurité sociale
dans l’hémicycle.
Le Premier ministre, Edouard Philippe, et Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire aux Retraites, ont tenté d’expliquer la réforme
des retraites lors d’un débat avec des parents d’élèves à Lons-le-Saunier (Jura). Photo Alain Robert/Sipa
rios alternatifs à une entrée en
vigueur à partir de la généra-
tion 1963, Matignon a confirmé les
différentes options et assuré jeudi
que « rien n’est tranché sur la durée
de la période de transition ».
Sentiment de vertige
« La concertation est ouverte et le
projet de loi n’est pas écrit », a redit
l’entourage du Premier ministre,
pour lequel toutes les options de
transition comprennent des avan-
tages et des inconvénients. L’avan-
tage du scénario s’appliquant à par-
tir de 2025, uniquement pour les
nouveaux entrants sur le marché
de l’emploi, serait notamment de
respecter à 100 % le contrat passé
par ceux qui y sont déjà. Mais l’exé-
cutif récuse, sur les temps de transi-
tion, toute reculade. « On est cohé-
rent, on dit la même chose depuis le
début et on a toujours insisté sur le
temps crucial des transitions »,
assure un proche d’Edouard Phi-
lippe. Mais il a bien en tête que les
transitions brutales, comme Alain
Juppé sur les régimes spéciaux en
1995, signeraient bien plutôt la
mort de la réforme que son aboutis-
sement. Qui plus est dans un « cli-
mat social particulier », reconnaît
un conseiller ministériel, relevant
le « sentiment de vertige » qui a pris
certains ministres face aux négo-
ciations qu’ils allaient devoir mener
sur leur secteur.n
Réforme des retraites : pour Philippe,
« rien n’est tranché »
Isabelle Ficek
@IsabelleFicek
Mais pourquoi faire cette réforme
des retraites? C’est ce qu’a essayé
d’expliquer ce jeudi soir Edouard
Philippe, lors d’un débat avec des
parents d’élèves à Lons-le-Saunier
(Jura). Comme Emmanuel Macron
à Rodez début octobre, le Premier
ministre – acte II du quinquennat
oblige, plus encore pour cette
réforme complexe à fort potentiel
anxiogène – s’est livré à un exercice
d’écoute et d’échanges. Cela pour
tenter de rassurer et de convaincre
de la nécessité d’une « transforma-
tion » pour laquelle, dixit un haut
responsable patronal, « on n’a pas
encore vu nos compatriotes vibrer à
l’idée d’avoir un système universel de
retraite ». En revanche, CGT, FO,
FSU et Solidaires fourbissent leurs
armes avec une journée de mobili-
sation test le 5 décembre, qui signe
aussi le début de la grève illimitée
annoncée à la RATP.
Le chef du gouvernement avait
souhaité débattre avec des parents
et grands-parents d’élèves pour
illustrer le « fil des générations »,
l’aspect nouveau « contrat s ocial » d e
la réforme, qu’il justifie en souli-
gnant que « l’on vit plus longtemps »,
et en pointant les « injustices » du
système actuel et ses 42 régimes, sa
« solidité pas garantie », son inadap-
tation croissante à des parcours pro-
fessionnels de plus en plus chan-
geants ou d es situations – les aidants
par exemple ou la carrière des fem-
mes – qui n’ont pas été pensées à la
création du système en 1945. La
défiance, aussi, des jeunes généra-
tions souvent persuadées qu’elles
n’auront pas de retraite.
« Le fil des générations »
Alors Edouard Philippe a essayé de
rassurer sur les grands principes
déjà arrêtés, notamment le fait que
le futur système universel par
points s’appuiera t oujours – c’est « le
fil des générations » – sur la réparti-
tion, qui doit être, selon lui, plus
simple et plus lisible avec « un euro
cotisé qui ouvrira les mêmes droits
pour tous ». Lui qui prend régulière-
ment l’exemple des agriculteurs (au
moment de la création du système
par le Conseil national de la Résis-
tance, ils n’ont pas voulu être ratta-
chés au régime général tant leur
pyramide démographique était, à
l’époque, favorable) a essayé,
comme il le fait parfois, de présen-
ter le futur système à points comme
« hyperprotecteur face aux incertitu-
des de l’avenir ».
Surtout, contrairement aux
réformes menées tambour battant,
voire sabre au clair, durant les dix-
huit premiers mois du quinquen-
nat, Edouard Philippe a de nouveau
insisté sur les « transitions très pro-
gressives » pour passer au futur sys-
tème. Depuis son discours de politi-
que générale, en juin dernier, il
souligne la nécessité de « prendre le
temps ». Alors qu’un document de
travail communiqué aux partenai-
res sociaux et révélé par « Les
Echos » propose plusieurs scéna-
lLe Premier ministre débattait jeudi
soir de la réforme avec des parents
d’élèves de Lons-le-Saunier.
lMatignon a confirmé que plusieurs
options sur l’entrée en vigueur de la
réforme et les durées de transition sont
à l’étude avec les partenaires sociaux.
« La concertation
est ouverte
et le projet de loi
n’est pas écrit. »
ENTOURAGE
DU PREMIER MINISTRE
SOCIAL
frontal avec le gouvernement. « Je
vous rejoins », « je considère que
nous devons trouver des marges de
manœuvre pour l’hôpital », a-t-il
nuancé. Mais cela ne sera pas forcé-
ment en jouant sur l’Objectif natio-
nal de dépenses d’assurance-mala-
die (Ondam), a-t-il poursuivi,
évoquant plutôt « un mécanisme
connexe » qui permettrait d’« inves-
tir » e t de « transformer » l’hôpital. Il
a donc demandé à ses collègues de
« poursuivre le travail en vue » de
l’examen du texte dans l’hémicycle
la semaine prochaine.
La ministre de la Santé, Agnès
Buzyn, a beau affirmer que le projet
de budget pour 2020 « préserve
l’hôpital », elle n’en est pas moins
inquiète de la crise qui couve chez
les blouses blanches. Ses services
planchent sur l’attractivité et la
revalorisation des carrières. Mer-
credi, ils ont reçu les fédérations
hospitalières pour une première
séance de discussion en vue de leur
donner une visibilité budgétaire sur
plusieurs années.
Les députés de la majorité se sont
vus confier la tâche d’accélérer la
mise en place de nouveaux modes
de tarification pour les services
d’urgence, la psychiatrie et les soins
de suite et rééducation, par amen-
dement. La ministre aurait égale-
ment promis à Olivier Véran de
« faire un geste » dans l’hémicycle.
Reste que, comme le socialiste
Boris Vallaud, nombre de députés
voient dans la progression de 2,1 %
de l’Ondam hospitalier une « provo-
cation », alors que les soins de ville
auront droit à une hausse de 2,4 %.
Dans un avis publié mardi, le
Comité d’alerte sur les dépenses
d’assurance-maladie apporte un
bémol à cette analyse. La tendance
spontanée à la hausse des dépenses
diffère fortement, rappelle-t-il : elle
n’est que de 3,3 % pour les établisse-
ments, contre 5,6 % en ville. Les éco-
nomies demandées aux soignants
libéraux en 2020 sont donc bien
plus importantes (2,86 milliards
d’euros) contre 1,04 milliard pour
l’hôpital et 280 millions p our les éta-
blissements médico-sociaux.
La tendance spontanée à l’aug-
mentation des dépenses hospitaliè-
res est d’ailleurs plus faible de
0,4 point par r apport à l’année précé-
dente. Et cela malgré 200 millions de
dépenses supplémentaires en 2020
dues à la revalorisation des carrières
enclenchée en 2016, plus 200 mil-
lions liés au pacte de refondation des
urgences présenté en septembre,
plus 800 millions d’achats de médi-
caments innovants contre le cancer.
« Virage ambulatoire »
A l’inverse, la tendance dépensière
s’accélère dans les soins de ville. Cela
s’explique par le « virage ambula-
toire », c’est-à-dire la baisse du nom-
bre de nuitées à l’hôpital, elle-même
facilitée par les techniques chirurgi-
cales peu invasives, l es chimiothéra-
pies orales, etc. En toile de fond, une
restructuration lente mais pro-
fonde dans les établissements.
Selon une étude de la Direction
des études du ministère de la Santé
(Drees) publiée jeudi, en 2018, il res-
tait 1.356 hôpitaux publics, soit une
baisse de 4 % depuis 2014. En cinq
ans, depuis 2013, 17.500 lits ont été
supprimés. Dans le même inter-
valle, 5.300 « places » d’hospitalisa-
tion partielle, c’est-à-dire sans nui-
tée, ont été créées. Au passage, la
rotation des patients s’accélère et la
charge de travail s’intensifie pour le
personnel hospitalier.n
Les députés attendent un geste sur les hôpitaux
LITS D’HÔPITAUX
ont été supprimés depuis 2013.
FRANCE
Vendredi 18 et samedi 19 octobre 2019Les Echos