Les Echos - 18.10.2019

(Grace) #1

Les Echos Vendredi 18 et samedi 19 octobre 2019 ENTREPRISES// 23


comme ils c herchent à créer en per-
manence l’événement pour faire
venir le public, « ils s’appuient plus
souvent sur les galeries pour monter
des expositions. C’est l’opportunité
de faire entrer nos artistes aux
musées », ajoute-t-il.
Le directeur général du Palais de
Tokyo, Christopher Miles, nuance.
« La relation entre musées et mécè-
nes se réinvente mais n’est pas cal-
quée sur le modèle américain. On ne
se contente pas de mettre leur nom
sur une salle, un mur, un pro-
gramme », relève l e patron de l’insti-
tution, qui doit s’autofinancer à
60 %. « On dialogue avec eux, on fait
du sur-mesure, on leur fait rencon-
trer les artistes, on s’appuie sur les
compétences de leurs salariés. On est
moins dans la recherche de visibilité
systématique, plus dans le collabora-
tif », souligne Christopher Miles.n

du musée. « Il s’agit de sortir d’un
mécénat à court terme par un accom-
pagnement stratégique sur deux à
quatre ans», explique l’ancien du
Centre Pompidou. « Les mécènes
sont associés à sa programmation, à
sa gouvernance même s’ils ne figurent
pas au conseil d’administration
comme dans les musées américains »,
précise-t-il. L’exposition « Points de
rencontres » présentera bientôt, aux
côtés d’œuvres de la collection, les
créations des artistes émergents
accueillis en résidence par ces entre-
prises. Une première.

Relation réinventée
Pour le galeriste new-yorkais David
Zwirner, qui vient de s’installer à
Paris, « les musées français se rap-
prochent du modèle économique
américain. Ils lèvent tous des fonds
pour financer des acquisitions ». Et

rénovations, acquisitions, restaura-
tions... on marie argent public,
mécénat d’entreprises et d’indivi-
dus via les sociétés d’amis ou le
crowdfunding, et revenus du capi-
tal versé dans le fonds de dotation.
« Nos partenaires sont très cons-
cients de l’aura scientifique du Lou-
vre, de la puissance de la marque, et
ils n’interviennent jamais dans les
décisions. Notre travail consiste donc
à proposer de nouvelles offres pour
que des collaborations naissent »,
précise le sous-directeur du mécé-
nat, des partenariats et de la mar-
que, Yann Le Touher.
A Beaubourg, le fonds de dotation
Accélérations, créé à l’initiative de
Benoît Parayre, fédère sept sociétés
mécènes (AXA, Cdiscount, Orange,
Neuflize OBC, Tilder, S NCF Logistics,
Teréga) qui ont choisi de soutenir la
création contemporaine au bénéfice

Demainchez
votremarchand
de journaux

d

QUELLE VIE APRÈS


SUPER MARIO?


DANGERSURL’ASSURANCE-VIE
EN EUROS
UN MONDEDETAUXNÉGATIFS

A New York, le MoMA fait peau neuve


sud-américaine et aux femmes, jus-
qu’ici sous-représentés. Et pour
renouveler l’intérêt des visiteurs
(3 millions par an ces dernières
années), le musée prévoit de chan-
ger un tiers de ses accrochages tous
les six mois.

Généreux donateurs
Les œuvres les plus prestigieuses
devraient continuer à trouver leur
place dans les salles « la plupart du
temps », a indiqué Glenn Lowry,
mais dans des environnements dif-
férents. Pour démocratiser l’art et
en donner une approche plus ludi-
que et manuelle, un « creativity
lab » est aussi créé, en association
avec des artistes qui viendront y
nouer des conversations. Deux sal-
les sont également ouvertes gratui-
tement au public depuis la rue.
Afin de financer les 450 millions
de dollars de travaux menés, le
musée, fondé en 1929 par trois fem-
mes (Rockefeller, Bliss et Quinn) de
la bonne société new-yorkaise, a pu
une nouvelle fois compter sur de
généreux d onateurs. Comme David
Geffen, le cofondateur des studios
DreamWorks et, par ailleurs, col-
lectionneur d’art. Compte tenu de la
valeur de son don (100 millions de
dollars, selon la presse américaine),
toute l’aile ajoutée porte désormais
son nom.
Pour financer son exploitation, le
musée est aussi un univers mar-
chand, et la rénovation ne l’a pas
oublié. Loin de là, comme en témoi-
gne la vision du passant qui, en arri-
vant au MoMa sur la 53e Rue,
s’arrête d’abord sur la boutique en
contrebas. Le musée a signé de nou-
velles collaborations, notam-
ment avec les tennis Vans, ou avec
de jeunes designers repérés et invi-
tés, le MoMa ayant déjà fait le suc-
cès de la lampe Lumio. Ses bouti-
ques ont réalisé l ’an dernier
55 millions de dollars de chiffre
d’affaires, indique le patron (fran-
çais) des ventes Thomas Randon.
Soit près du double des revenus
générés par les entrées.

4
À NOTER
L’autre grand musée de New
York, le « Met » (pour Metropo-
litan Museum of Art), fêtera ses
150 ans en avril 2020 avec une
série d’événements prévus à
cette occasion.

lLe Museum of Modern Art,


musée d’art contemporain situé


à Manhattan, ouvre ses portes


lundi après quatre mois


et 450 millions de dollars de travaux.


lL’ institution privilégie désormais


des parcours moins formalisés pour


les visiteurs et des visions croisées


entre artistes.


Nicolas Rauline
@nrauline
—Bureau de New York

Les musées américains vont-ils
devoir revoir leur modèle? Cer-
tains de leurs plus importants
donateurs ont, en tout cas, récem-
ment connu des problèmes. De
quoi inciter ces institutions cultu-
relles à s’interroger sur leurs sour-
ces de revenus. L’opinion publique
américaine est notamment très
remontée contre la famille Sackler,
généreuse donatrice, notamment,
du Met et du Guggenheim à New
York. Or c’est elle qui a fait fortune
dans les médicaments et a créé Pur-
due, ce laboratoire fabriquant
l’OxyContin, un antidouleur à base

Véronique Le Billon
@VLeBillon
—Bureau de New York


Le drapeau américain de Jasper
Johns et les conserves Campbell
d’Andy Warhol sont toujours là,
mais ces icônes du Museum of
Modern Art (MoMA) n e sont p as les
stars du moment. Après quatre
mois de travaux, le musée new-yor-
kais enchâssé dans les rues étroites
au sud de Central Park rouvre ce
lundi. Le bâtiment a été agrandi,
avec 30 % de surface d’exposition
supplémentaire, et le parcours
modifié pour les visiteurs.
« Nous sommes sur le point
d’avoir quatre-vingt-dix ans, et nous
aurons subi neuf déménagements et
agrandissements importants. Cha-
que décennie, quelque chose change,
c’est dans notre ADN », a expliqué à
la presse Glenn Lowry, qui dirige le
musée depuis 1995. Quinze ans
après l’intervention de l’architecte
japonais Yoshio Taniguchi, il s’agit
cette fois de retrouver la vision ori-
ginelle d’Alfred Barr, premier direc-
teur du MoMA, qui était de faire du
musée un lieu « expérimental ».


Accrochages renouvelés
L’American Folk Art Museum voi-
sin a été racheté et détruit il y a quel-
ques années, et le terrain vague qui
jouxtait le musée a été comblé par
une tour de plus de 300 mètres de
haut, dessinée par Jean Nouvel,
dont le MoMa a pris trois étages. Le
nouvel ensemble a été greffé et har-
monisé par le cabinet d’architectes
d’Elizabeth Diller (Diller Scafidio



  • Renfro, en collaboration avec
    Gensler), connue pour avoir coréa-
    lisé la High Line, cette coulée verte
    sur d’anciens rails de chemin de fer
    plus au sud de Manhattan. Au
    MoMA, l’extension et la rénovation
    se sont faites avec l’idée que les visi-
    teurs « se déplacent dans différentes
    directions et qu’ils déterminent leur
    propre chemin ».
    Davantage qu’un parcours didac-
    tique, le parti pris est d’offrir une
    promenade et une conversation
    entre genres. Une même salle peut
    faire voisiner tableaux, photos et
    sculptures de périodes différentes.
    Pour l’inauguration, le musée
    ouvre plus largement ses salles à
    des artistes d’origine africaine ou


CULTURE


Pour renouveler l’intérêt des visiteurs (3 millions par an), le musée prévoit de changer un tiers de ses accrochages tous les six mois.
Photo Véronique Le Billon

Mécénat innovant dans les musées français


Martine Robert
@martiRD


Confrontés au désengagement de
l’Etat lié aux restrictions budgétai-
res, les musées français font appel
au financement privé, c omme leurs
homologues américains. « Ce qui
diffère, c’est le degré de dépendance,
car nos musées restent très large-
ment publics alors que les musées
américains sont totalement privés »,
rappelle l’ex-directeur du mécénat
et des partenariats du Centre Pom-
pidou Benoît Parayre.
Au Louvre, pour financer les


Jusqu’ici largement
financées par des subven-
tions qui ont tendance à
diminuer, les institutions
nationales s’ouvrent aux
partenariats privés.


d’opium ayant engendré des dizai-
nes de milliers d’addictions à tra-
vers le pays. La responsabilité de la
société a été reconnue, et plusieurs
musées, comme le Guggenheim et
la Tate à Londres, ont affirmé qu’ils
n’accepteraient plus d’argent
venant des Sackler. Le Louvre a
également retiré leur nom de sa
liste de donateurs.
Mais la situation a provoqué un
vrai casse-tête. « Des gens p ortent le
nom de Sackler et n’ont rien à voir
avec les activités pharmaceutiques,
a expliqué pour sa part le patron
du Met, Daniel Weiss. Si c’est quel-
qu’un lié à la direction de Purdue,
nous n’acceptons pas. » L’affaire est
toutefois loin d’être un cas isolé.
Les pressions s e multiplient sur les
conseils d’administration des
musées pour qu’ils fassent le
ménage, à la fois dans leurs rangs
et parmi les donateurs, pour
répondre à certaines valeurs.
Ainsi, Warren Kanders a dû quit-
ter le board du Whitney Museum of
American A rt, car il est aussi le PDG
de Safariland, qui produit un gaz

lacrymogène utilisé contre les
migrants à la frontière avec le Mexi-
que. Des artistes menaçaient de
retirer leurs œuvres. « New York
Magazine » a même publié un clas-
sement des musées « les plus toxi-
ques » : presque tous les grands
musées y sont... Or les donations
restent, de loin, la première source

de revenus des musées américains.
Elles constituent, en moyenne, 22 %
de leurs recettes, selon l’Association
of Art Museum Directors. Si l’on
ajoute les contributions des fonda-
tions et des entreprises, c’est même
près de la moitié des ressources des
musées américains qui en dépend.

Les subventions publiques ne
représentent que 15 % des recettes,
la billetterie 8 %, tout comme les
boutiques, et les abonnés 6 %.

Des subventions en baisse
Malgré leurs efforts récents pour
diversifier leurs sources de reve-
nus, les musées restent confrontés
à une répartition identique depuis
des années. Dans ce contexte, il
s’avère presque impossible pour
des musées n’ayant pas le renom
des plus prestigieux de dire non à
un donateur.
Les c ollectivités locales et le gou-
vernement fédéral, en particulier
depuis l’élection de Donald
Trump, ont aussi tendance à
réduire leurs budgets pour la cul-
ture – alors qu’avec la réforme fis-
cale, ils ont eu tendance à faciliter
les donations. Reste à trouver
d’autres sources financements. Le
musée d’Art contemporain de Los
Angeles a ainsi réuni, récemment,
650.000 dollars lors d’une vente
aux enchères d’œuvres créées spé-
cialement pour l’o ccasion.n

Les musées américains doivent faire face


aux questions sur la provenance des dons


La pression est forte pour
que certains musées
cessent d’accepter ces
dons. C’est tout le modèle
économique de la culture
aux Etats-Unis qui est ainsi
remis en cause.

Malgré leurs efforts
pour diversifier leurs
sources de revenus,
les musées restent
confrontés à une
répartition identique
depuis des années.
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