Les Echos - 18.10.2019

(Grace) #1
dépendre des logiciels américains.
« C’est pratiquement impossible,
juge Annette Zimmermann. Les
consommateurs ont en moyenne
60 applications sur leur smart-
phone. Huawei devrait persuader les
développeurs de les porter sur son
système. Même Microsoft, avec sa
puissance de marché, a échoué. »
Huawei en est conscient. Aussi,
dans un premier temps, le groupe
veut convaincre les développeurs
de migrer leurs applications sur
son propre magasin d’applica-
tions – Huawei App Gallery – qui
fonctionne sur la version « open
source » d’A ndroid, non concernée
par les sanctions américaines.
« Nous espérons le lancer dans trois
à six mois », explique Walter Ji, le
patron Europe de Huawei.
Outre q u’il sera f acile de convertir
les applis Android déjà dévelop-
pées, Huawei compte proposer aux
développeurs un partage de reve-
nus « plus intéressant » que la taxe
de 30 % qui est la norme chez Apple
et Google. Il dévoilera ces modalités
au Web Summit de Lisbonne début
novembre. La manœuvre réussira-
t-elle? A long terme, certains pon-
tes des télécoms e n sont p ersuadés :
en imposant son magasin d’appli-
cation puis son propre OS, Huawei
sortira largement gagnant de la
crise, au détriment de Google.

Alliance chinoise
Aujourd’hui, la base installée de télé-
phones Huawei hors de Chine est de
300 millions d’appareils, dont 70 à
80 millions en Europe, selon Walter
Ji. Si cela ne suffit pas à convaincre
les développeurs, Huawei pourrait
persuader les autres constructeurs
chinois – Oppo, Vivo, Xiaomi... –
de travailler de concert avec lui.
Selon Walter Ji, aucune discussion
en ce sens n’a encore débuté, mais
rien n’est exclu. « Ensemble, les
constructeurs chinois représentent
plus de 50 % des terminaux vendus
dans le monde. N’importe quel déve-
loppeur serait intéressé par une telle
plate-forme, explique Francisco
Jeronimo. Voudront-ils travailler
ensemble, alors que ce sont de féroces
concurrents? Le gouvernement chi-
nois pourrait les y pousser. »
Dans une telle configuration,
Google aurait du souci à se faire.
La croissance de son écosystème
reposerait quasi entièrement sur
Samsung. Une situation inconfor-
table, qui amènerait des change-
ments drastiques de stratégie. « Si
une telle alliance se produisait en
Chine, le paysage de l’industrie serait
radicalement modifié. Google devrait
peut-être fournir gratuitement tous
ses services... spécule l’analyste
d’IDC. Mais c’est un énorme “si”. »n

Sébastien Dumoulin
@sebastiendmln


Jusqu’ici, tout va bien. Huawei est
un solide numéro deux du marché
mondial des smartphones, derrière
Samsung. Les derniers résultats tri-
mestriels du groupe de Shenzhen
l’attestent : les mesures de sanction
imposées par les Etats-Unis n’ont
pas eu raison de son insolente crois-
sance. La marque au lotus rouge a
écoulé 185 millions de téléphones
depuis le début de l’année. C’est 26 %
de plus que l’an passé, sur un mar-
ché mondial en décroissance.
Pourtant, lorsque l’administra-
tion Trump avait placé Huawei sur
liste noire au printemps, le privant
de nombreux fournisseurs, dont
Google et ses indispensables appli-
cations mobiles, le ciel semblait
tomber sur la tête du constructeur.
« Les ventes de Huawei se sont qua-
siment arrêtées pendant deux à
trois semaines en Europe, mais elles
se sont rapidement remises, explique
Francisco Jeronimo, analyste chez
IDC. Les distributeurs ont eu peur de
se retrouver avec d’importants stocks
sur les bras et ils o nt fortement poussé
la marque. » Promotions, accessoi-
res offerts, commissions accordées
aux vendeurs ont soutenu les ventes
sur le Vieux C ontinent. « Et en Chine,
le groupe a gagné des parts de marché
sur ses concurrents chinois, com-
plète Annette Zimmermann, ana-
lyste chez Gartner. Jusqu’à présent,
Huawei a très bien géré la crise. »
Dans les boutiques en France, les
déclinaisons du P30 – le dernier
modèle phare de la marque au
lotus – figurent parmi les meilleures
ventes. Huawei garde la main sur un
quart du marché tricolore.


Prudence des distributeurs
« Mais les ennuis commencent main-
tenant », explique Francisco Jero-
nimo. Le tout dernier smartphone
dévoilé par Huawei fin septembre à
Munich, le Mate 30, est un bon pro-
duit, de l’avis général. Mais sans les
applications de Google, impossible
de le vendre aux consommateurs
européens. Aucune date de com-
mercialisation n’a d’ailleurs été
avancée. « Contrairement aux
années précédentes, les distributeurs
n’ont pas pris d’engagements en anti-
cipation de la période de Noël »,
relève l’analyste d’IDC. A moins d’un
accord avec les Etats-Unis, le pire e st
à venir pour le groupe de Shenzhen.
Pour éviter la déroute, Huawei
veut lancer un système d’exploita-
tion (OS) alternatif, pour remplacer
celui de Google, Android, et ne plus


TÉLÉPHONIE


groupe chinois est parvenu jeudi à
lancer un nouveau téléphone, le
Nova 5T, qui embarque bel et bien la
suite applicative de Google.
En mai, pourtant, le géant améri-
cain avait pris Washington au pied
de la lettre et coupé tous ses liens
avec Huawei. Privé du jour a u lende-
main de son accès à Android et au
Play Store, le système d’exploitation
et la boutique d’applications de G oo-
gle, le champion chinois des télé-
coms s’était retrouvé à nu.
Cette fois, Huawei s’en est sorti en
faisant du neuf avec du vieux. Le
Nova 5T est en effet une quasi copie
d’un modèle similaire lancé en
Chine... avant les sanctions améri-
caines. Grâce à cette technique

habile, le groupe a pu embarquer
Android ainsi que le magasin
d’applications.
Le téléphone est le premier d’une
nouvelle gamme baptisée « Nova ».
Déjà présente en Chine, celle-ci
débarque en France pour la pre-
mière fois. Elle doit aider Huawei à
toucher les 18-24 ans, quitte à canni-
baliser Honor, la marque sœur du
groupe, dédiée aussi aux jeunes.

« Un modèle haut
de gamme à bon prix »
« Nous voulions proposer un modèle
haut de gamme à bon prix. Le
Nova 5T intègre notre processeur
Kirin 980 et cinq caméras dopées à
l’intelligence artificielle », explique

Walter Ji, président des smartpho-
nes Huawei en Europe. Le téléphone
sera disponible avant la fin octobre
pour 399 euros. En plus de la Chine,
le Nova 5T était déjà disponible au
Mexique et dans neuf pays d’A sie,
surtout des marchés en développe-
ment comme le Bangladesh ou
l’Indonésie. Mais en Europe, il aurait
été une coquille vide s’il n’avait pas
intégré le « software » de Google.
Avec ce lancement, Huawei veut
montrer qu’il reste toujours droit
debout, en dépit des sanctions amé-
ricaines. La firme chinoise doit ras-
surer sur sa capacité à lancer de nou-
veaux produits malgré la crise
qu’elle traverse. Car partout en
Europe, l’absence soudaine des ser-

Raphaël Balenieri
@RBalenieri


Comme ses fournisseurs, Huawei a
lui aussi trouvé une façon de
contourner les sanctions américai-
nes. Cinq mois presque jour pour
jour après avoir été blacklisté par les
Etats-Unis en raison de ses liens
supposés avec le pouvoir de Pékin, le


Le groupe chinois a lancé
jeudi le Nova 5T en France.
Ce téléphone étant une
quasi copie d’un modèle
précédent conçu avant les
sanctions américaines,
Huawei a pu embarquer
les applications de Google.


lLe géant chinois a maintenu ses ventes, mais les ennuis commencent maintenant.


lEn lançant son propre App Store dans les prochains mois, il peut rebattre les cartes.


Smartphones : les sanctions sur


Huawei redessinent l’industrie


IBM à la


peine pour


son premier


trimestre


avec Red Hat


Florian Dèbes
@FL_Debes

Son mariage avec Red Hat
n’efface pas d’un coup de
baguette magique les problè-
mes d’IBM. En dépit de l’apport
de revenu généré par le cham-
pion de l’open source racheté
pour 34 milliards de dollars,
le groupe informatique cente-
naire a encore enregistré un
chiffre d’affaires en baisse entre
juillet et septembre comparé à
l’année dernière. D’après ses
résultats du troisième trimes-
tre, publiés jeudi soir aux Etats-
Unis, Big Blue a facturé pour
18 milliards de dollars de recet-
tes, en baisse (–3,9 %) pour la
cinquième publication d’affilée.
Comme prévu en raison
du coût d’intégration d es
13.000 salariés de Red Hat et de
leurs technologies, le résultat
net d’IBM a également plongé,
de 38 %, à 1,7 milliard de dollars.
Fin juillet, l’entreprise avait déjà
abaissé son objectif pour son
bénéfice par action sur l’année
complète à 12,80 dollars, au lieu
de 13,90 dollars. Cette ambition
est maintenue.

Architecte de l’acquisition de
Red Hat, la PDG d’IBM, Virginia
« Ginni » M. Rometty, a tou-
jours des raisons d’y croire.
« Nos résultats démontrent que
nos clients voient IBM et Red Hat
comme une combinaison puis-
sante », commente-t-elle dans
un communiqué. La stratégie
du groupe c onsiste à associer les
technologies de Red Hat et cel-
les d’IBM pour aider les grandes
entreprises à construire des
liens entre leurs données héber-
gées chez des prestataires
(Amazon Web Services, Micro-
soft Azure ou... IBM) et les don-
nées stockées dans leurs pro-
pres centres de données.
Ce trimestre, les revenus de
Red Hat auraient augmenté de
20 % d’après IBM, soit davan-
tage qu’au dernier trimestre
quand Red Hat n’était pas
encore intégré dans le groupe.
Mais la bonne forme d’IBM dans
ces activités d’informatique en
ligne et de logiciel tirant parti de
l’intelligence artificielle (+ 6,4 %,
à 5,3 milliards de dollars) ne
compense pas le déclin structu-
rel sur le marché des services de
maintenance de serveurs infor-
matiques (–5,6 %, à 6,7 milliards
de dollars), grignoté par l’auto-
matisation d’AWS et Azure.
Traditionnellement, le troi-
sième trimestre est peu porteur
dans le secteur. A Wall Street,
l’action IBM perdait 6,51 % jeudi
matin, lors des échanges avant-
Bourse. Le rouge et le bleu ne
font pas encore du vert.n

INFORMATIQUE


Après sa méga-acqui-
sition à 34 milliards
de dollars du
champion de l’open
source, IBM est
toujours en difficulté.

Les profits
ont plongé, comme
prévu, et les recettes
sont encore, elles
aussi, en déclin.

vices Google dans les téléphones du
deuxième fabricant mondial a
poussé de nombreux consomma-
teurs à reporter leur achat, de peur
d’acquérir un smartphone Huawei
vite dépassé.
Reste à voir maintenant jusqu’à
quel point Huawei soutiendra cette
nouvelle gamme. Car, pendant ce
temps-là, le Mate 30 dort toujours
dans les cartons, Huawei n’ayant
donné aucune date de commercia-
lisation depuis son lancement fin
septembre. Les opérateurs télé-
coms, de leur côté, hésitent à vendre
ce téléphone privé des services Goo-
gle. « Aucune décision n’a été prise,
c’est très compliqué », reconnaît
d’ailleurs un opérateur tricolore.n

Avec le Nova 5T, le groupe chinois fait du neuf avec du vieux


IBM subit un déclin
structurel dans les
services de mainte-
nance de serveurs.

HIGH-TECH & MEDIAS


Les EchosVendredi 18 et samedi 19 octobre 2019

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