Les Echos - 18.10.2019

(Grace) #1

08 // MONDE Vendredi 18 et samedi 19 octobre 2019 Les Echos Les Echos Vendredi 18 et samedi 19 octobre 2019 MONDE// 09


extérieur. Toutefois, l’économie
nationale reste intacte, l’emploi et
les revenus sont en hausse, et le
secteur de la construction est tou-
jours en plein essor. D’ici à la fin de
2020, nous a urons environ
45 ,4 millions de personnes au tra-
vail », a-t-il ajouté. Et de con-
clure : « Il s’agit maintenant de
retrousser nos manches. »
Peter Altmaier a renouvelé
son intention de faciliter la vie
des entreprises. « Nous avons
maintenant besoin d’une politi-
que de croissance assortie d’allé-
gements fiscaux et de réduction de
la bureaucratie, de solutions de
marché pour la révolution éner-
gétique, d’investissements dans
les technologies f utures e t d’efforts
accrus dans le domaine de la
numérisation », a-t-il égrainé.

Une question de timing
Malgré les appels répétés de la
France et du FMI, il n’est en
revanche pas question de des-
serrer l’étau budgétaire. « Il est
grand temps que nous commen-
cions à élaborer un programme
immédiat pour renforcer les
investissements privés et publics.
La politique budgétaire devrait
utiliser toute la marge d e
manœuvre disponible pour
s’adapter rapidement aux pério-
des difficiles », a pourtant aussi
martelé jeudi la Fédération de
l’industrie allemande (BDI).
Avec une croissance de 1 %
l’an prochain, l’Allemagne enre-
gistrerait l’une des progressions
les plus faibles des pays indus-
trialisés avec l’Italie. Mais pour
ses dirigeants, elle resterait loin
d’une crise. Dans un tel cas, le
ministre des Finances, Olaf
Scholz, a assuré qu’il laisserait
jouer les stabilisateurs économi-
ques. Autrement dit, il ne rédui-
rait pas les dépenses sociales,
qui seraient amenées à augmen-
ter. La règle du déficit zéro ou
« schwarze Null » serait donc
implicitement abandonnée.
Mais tout est une question
de timing.n

Ninon Renaud
@NinonRenaud
—Correspondante à Berlin

Cela fait quasi un an jour pour
jour que le gouvernement alle-
mand avait dû, pour la première
fois après des années d’embellie
continue de son économie,
revoir à la baisse ses ambitions
de croissance. Depuis, le minis-
tre de l’Economie, Peter Alt-
maier, a renouvelé cet exercice
inconfortable au printemps,
puis de nouveau ce jeudi, mais il
se refuse toujours à tout alar-
misme.
« Même si les perspectives sont
actuellement sombres, il n’y a pas
de risque de crise économique »,
a-t-il assuré. Ce proche d’Angela
Merkel prend en revanche acte
de ce que l’Allemagne est entrée
dans une ère de croissance plus
timide. Il a ainsi dit s’attendre à
une hausse de 1 % seulement du
PIB en 2020 et confirmé son
objectif d’une progression de
0,5 % cette année, soit la moins
bonne performance depuis


  1. En avril, Peter Altmaier
    comptait encore sur une pro-
    gression de 1,8 % pour 2020.


Toucher le creux
de la vague
Ces anticipations sont équiva-
lentes aux estimations publiées
par les cinq grands instituts
économiques allemands au
début du mois. Ceux-ci avaient
alors prévenu qu’ils n’inté-
graient pas un Brexit dur dans
leurs calculs, lequel aurait
représenté 0,4 point de crois-
sance en moins. L’accord trouvé
jeudi entre l’UE et la Grande-
Bretagne, dans l’attente du vote
du Parlement, peut donc renfor-
cer l’optimisme de Peter Alt-
maier, selon lequel le commerce
international, moteur de la
croissance allemande, devrait
bientôt toucher le creux de la
vague. « L’industrie orientée vers
l’exportation est sous pression en
raison des conflits commerciaux,
du Brexit et des incertitudes de
l’environnement du commerce

EUROPE


Le ministre
de l’Economie,
Peter Altmaier,
a revu jeudi
à la baisse
ses anticipations
de croissance
pour 2020.

Malgré l’essoufflement


de son économie,


l’Allemagne n’anticipe


pas de crise


Le ministre de l’Economie, Peter Altmaier, se refuse
toujours à tout alarmisme. Photo Tobias Schwarz / AFP

« D’ici à la fin
de 2020,
nous aurons
environ
45,4 millions
de personnes
au travail. »
PETER ALTMAIER
Ministre de l’Economie

L’enthousiasme
était palpable devant
ce compromis arraché
in extremis par
le Premier ministre
britannique, Boris Johnson
(ci-dessus à gauche) au côté
de Jean-Claude Juncker,
le président
de la Commission
européenne,
jeudi à Bruxelles,
Photo Francois Lenoir/Reuters

quées par une attitude perçue
comme du déni à Bruxelles, Boris
Johnson a enfin accepté, lors
d’une rencontre avec Leo Varad-
kar, la nécessité de renoncer à
tout projet de frontière entre les
deux Irlande – aussi moderne et
« créative » soit-elle. Pour la pre-
mière fois, Londres admettait
qu’il allait falloir, d’une manière
ou d’une autre, régler la question
douanière en mer d’Irlande, et
non entre l’Ulster et la république
d’Irlande, territoire de l’Union
européenne.
S’en est suivie l’accélération
tant attendue des discussions,
centrées autour d’un régime
douanier nord-irlandais hybride :
légalement, le territoire resterait
partie intégrante de l’union doua-
nière avec le Royaume-Uni, mais
il appliquerait des droits de
douane conformes à ceux de l’UE.
Ce mécanisme complexe a néces-
sité des vérifications techniques
et juridiques des Européens et
leur a demandé une bonne dose
de pragmatisme. « Tout le monde
a mis un peu d’eau dans son vin car
à situation exceptionnelle, il fallait
une réponse exceptionnelle »,
résume une source proche des
discussions. Tout l’enjeu était de
trouver le moyen de préserver la
fluidité des échanges sur l’île
d’Irlande, sans faire de la fron-
tière avec l’UE une passoire
menaçant le marché unique
européen.

L’autre scénario
Dans leurs conclusions, les diri-
geants européens se sont donc abs-
tenus d e toute mention d’une exten-
sion. Le calendrier du Parlement
européen doit également permet-
tre une ratification en toute
urgence, afin de crédibiliser le scé-
nario d’un Brexit à la fin octobre.
Mais à Bruxelles, personne n’est
dupe : en cas de rejet de l’accord à
Londres, c’est une tout autre méca-
nique qui s’enclencherait. Elle pas-
serait probablement par de nouvel-
les élections outre-Manche,
justifiant une nouvelle prolonga-
tion du statu quo... dans l’espoir
qu’une nouvelle majorité soit enfin
capable d’en finir avec ce mauvais
feuilleton.

(


Lire l’éditorial de
Jacques Hubert-Rodier
Page 16

Brexit : après l’accord, les Européens mettent

la pression sur la Chambre des communes

Catherine Chatignoux
@chatignoux
Gabriel Grésillon
@Ggresillon
Derek Perrotte
@DereckPerrotte
—Bureau de Bruxelles


Européen échaudé craint l’eau
froide. Les dirigeants de l’Union
européenne, réunis jeudi en som-
met à Bruxelles, ont préféré ne
pas se laisser aller au triompha-
lisme, après l’annonce d’un nou-
vel accord, entre négociateurs, au
sujet du Brexit. Certes, l’enthou-
siasme était palpable devant ce
compromis arraché in extremis,
que Boris Johnson a qualifié
d’« excellent » et que son homolo-
gue irlandais, Leo Varadkar,
jugeait « bon pour l’Irlande et
l’Irlande du Nord ». Ursula von der
Leyen, qui doit succéder prochai-
nement à Jean-Claude Juncker à
la présidence de la Commission
européenne, y a vu un « bon point
de départ pour les futures négocia-
tions et la relation future » avec le
Royaume-Uni. Mais comme l’a
résumé Emmanuel Macron à son
arrivée à Bruxelles, il est essentiel
de garder la tête froide devant
ce « bon compromis » : « Instruits
par le passé, il faut rester raisonna-
blement prudents ».
Les Européens n’ont pas oublié
l’énergie déployée en pure perte
pour le précédent compromis,
signé en novembre 2018 avec les
équipes de Theresa May : celui-ci
avait ensuite été rejeté à trois
reprises par le Parlement britan-
nique, provoquant des sueurs
froides sur le continent, et obli-
geant les Vingt-Sept à accepter
une extension de la période de
négociation.


ROYAUME-UNI


Nicolas Madelaine
@NLMadelaine
—Envoyé spécial au Royaume-Uni


D’après les premiers calculs, pru-
dents parce que tous les éléments
n’étaient pas connus avant jeudi et
parce que la relation future entre
l’Union européenne et le Royaume-
Uni reste à écrire, l’accord de Boris
Johnson aura un impact plus négatif
sur l’économie britannique, à court
terme, que celui négocié par
Theresa May. L’impact est toutefois
moins important que si le Royaume-
Uni était sorti sans deal et s’en était
remis aux règles de l’OMC (Organisa-
tion mondiale du commerce). Le
think tank UK in a Changing Europe,


pro-« remain », a été le premier à
tirer en prenant en compte trois
« déterminants majeurs : le com-
merce, l’immigration et, indirecte-
ment, la productivité », et ce à partir
de l’accord proposé le 2 octobre au
moment de la conférence du parti
torie. « Substantiellement négatif »,
concluent les auteurs, qui viennent
du King’s College London et de la
London School of Economics.
Le gros du changement depuis
mars est la relation commerciale.
Dans l’accord de May, « jusqu’à ce que
la relation future devienne applicable,
un territoire douanier commun à
l’Union européenne et au Royaume-
Uni était établi ». Dans l’accord de
Boris Johnson, la Grande-Bretagne
sort tout de suite de l’union doua-
nière européenne et l’Irlande du
Nord acquiert un statut hybride.
En prenant seulement les effets de
ces frictions commerciales et leur
impact sur la productivité, l’impact

s’élève à 2.000 livres par personne et
par an (2.500 avec les règles de l’OMC
et 1.500 avec le deal de Theresa May),
calcule UK in a Changing Europe. En
fait, leur conclusion montre, comme
l’avait calculé le gouverne-
ment en novembre 2018, que plus la
relation est intime avec l’Union euro-
péenne, plus l’impact est faible.

Un sujet brûlant
Sur l’immigration, les accords de
May et de Johnson abolissent tous
deux la libre circulation intra-euro-
péenne, mais selon le think tank, le
système par points évoqué par
l’administration Johnson est poten-
tiellement plus souple que celui de
May. Toutefois, en prenant en
compte la nouvelle donne commer-
ciale et dans le scénario où les
frontières restent relativement
ouvertes, la perte de revenu par tête
serait quand même de 5,8 %. Si
l’immigration devient plus restric-

tive, l’impact grimpe à 7 %, contre
5,5 % pour l’accord de May et 8,7 %
pour un « no deal ».
UK in a Changing Europe prend
toutefois en compte dans ses calculs
la promesse de Boris Johnson selon
laquelle « le gouvernement a [désor-
mais] l’intention de baser la relation
future (avec l’UE) sur un accord de
libre-échange dans lequel le Royau-
me-Uni prend le contrôle de ses affai-
res réglementaires et de sa politique
commerciale ». Or la déclaration
politique de jeudi parle, selon un
communiqué de la Commission,
d’« engagements robustes en faveur
d’un terrain de jeux équilibré » devant
« assurer une concurrence ouverte et
juste », même si leur nature précise
sera « proportionnelle aux ambitions
de la relation future ».
L’incertitude sur l’alignement
réglementaire est déjà un sujet brû-
lant. Le Labour estime que le nou-
veau deal augure d’« une décennie de

dérégulation » et à moins de protec-
tion pour les salariés et l’environne-
ment. Cinq industries, et pas des
moindres – l’aérospatiale, l’automo-
bile, la chimie, l’alimentaire et la
pharmacie – avaient déjà dénoncé
ces derniers jours de « sérieux ris-
ques de compétitivité » si le pays
n’était plus aligné au continent.
Nicolas Véron, du think tank
Bruegel, explique dans un papier
récent qu’il est très sceptique sur
l’éventualité d’une sortie du marché
unique par le Royaume-Uni lorsqu’il
faudra vraiment s auter le pas, en rai-
son, en particulier, de l’impact sur la
City. Sortir signifie perdre le passe-
port qui permet aux établissements
financiers londoniens d’opérer sur
tout le continent. « Le passeport est
un droit, les éventuelles équivalences
sont un privilège qui peut être retiré,
précise-t-il aux « Echos ». Cette seule
incertitude rend la place de Londres
beaucoup moins compétitive malgré

tous ses atouts. » Les conséquences
pourraient être « dures ».
Les économistes pro-Brexit esti-
ment de leur côté qu’un Royaume-
Uni « flibustier » libéré des chaînes
de l’Union européenne peut négo-
cier des accords commerciaux de
par le monde et prospérer. Sur ce
point, l’ex-chancelier de l’Echiquier
conservateur Philip Hammond,
un des tories rebelles, s’est montré
très cassant. « Nous savons tous que
ces deals commerciaux ont très peu de
valeur potentielle », a-t-il dit au
« Telegraph ».
A n’en pas douter, les nombreux
députés Remainers ont du mal à
digérer ce futur impact économique
du Brexit. Cela les motive certaine-
ment pour trouver toutes les raisons
possibles de ne pas approuver le
deal signé par Boris Johnson, ou
au moins trouver un moyen de le
soumettre d ’abord au verdict
des urnes.n

Impact économique : un Brexit plus dur que celui de Theresa May


Plus « hard » à court terme,
le Brexit de Boris Johnson
devrait davantage peser
sur l’économie britannique
que celui de Theresa May.


Ceci n’est pas une frontière.
L’accord trouvé jeudi s’efforce de
répondre à la question s ur
laquelle ont si longtemps buté les
discussions : comment préserver
l’intégrité du marché unique s ans
pour autant rétablir de frontière
entre l’Irlande du Nord (qui va
quitter l’Union européenne en
tant que province du Royaume-
Uni) et la République d’Irlande
(qui est et reste dans l’Union
européenne) afin d’y préserver
l’accord de paix de 1998?
Le mécanisme prévu pour
« faire rentrer un rond dans un
carré », selon la formule de
Michel Barnier, complexe, vient
remplacer l e « backstop »
d’abord envisagé. Ce filet de sécu-
rité maintenait le Royaume-Uni
dans un territoire douanier avec
l’UE mais a été repoussé à plu-
sieurs reprises par la Chambre
des communes puis refusé par
Boris Johnson au motif qu’il
empêchait Londres de conclure
des accords de libre-échange
avec des pays tiers.

1 UN RÉGIME DOUANIER
À TIROIRS AU NORD
Le régime douanier de l’Irlande
du Nord dépendra de la destina-
tion finale des produits en prove-
nance de Grande-Bretagne, qu’ils
y aient été fabriqués ou qu’ils y
transitent depuis un autre pays
tiers. S’ils ont vocation à rester
dans le nord de l’île, ils ne seront
pas taxés. S’ils sont au contraire
destinés à la République
d’Irlande, au sud, ou au reste de
l’UE, alors les autorités britanni-
ques devront appliquer les droits
européens. L’opération sera du
ressort des douaniers britanni-

Les mécanismes imaginés
dans le nouvel accord
entre Bruxelles et Londres
visent à protéger l’intégrité
du marché unique
sans rétablir de frontière
physique sur l’île d’Irlande.

Alexandre Counis
@alexandrecounis
—Correspondant à Londres

Boris Johnson peut se féliciter
d’avoir conclu jeudi un « bon
accord » de Brexit avec Bruxelles.
Mais il risque fort d’être mort-né si
le Parlement britannique ne lui
apporte pas son feu vert ce samedi.
Or, l’équation déjà compliquée pour
obtenir une majorité à la Chambre
des communes s’est encore corsée,
jeudi, avec la rebuffade du DUP. Le
parti unioniste nord-irlandais, qui
continue de s’opposer à l’accord
conclu avec l’Union européenne, ne
compte que 10 élus à Westminster.
Mais leur soutien est d’autant plus
crucial pour le gouvernement
conservateur que celui-ci est désor-
mais minoritaire à la Chambre des
communes avec un écart d e 43 voix.
La majorité à atteindre est de 320
voix pour faire passer à l’accord la
rampe du Parlement (seuls 639 des
650 députés siègent en l’absence
des élus du Sinn Féin). Boris John-
son p eut raisonnablement compter
sur une base de départ d’environ
258 élus tories : 279 élus conserva-
teurs ont en effet soutenu, en mars
dernier, l’accord conclu en novem-
bre 2018 par Theresa May, mais il
faut y soustraire les 21 qui ont
depuis été exclus pour avoir voté la
loi anti-« no deal ».
Le Premier ministre peut d’abord
aller chercher les 62 suffrages qui

lui manquent dans les rangs de ces
députés rebelles, désormais indé-
pendants. Selon les décomptes de
Sky News, une dizaine, voire une
douzaine seraient prêts à lui appor-
ter leur voix. Il peut ensuite tenter
de convaincre les 25 députés con-
servateurs jusqu’au-boutistes qui
ont t oujours refusé de voter pour un
accord. Steve Baker, le président de
l’ERG ( European Reasearch
Group), qui réunit les « hard Brexi-
ters » du Parti conservateur, sem-
blait ces derniers jours disposé à
l’aider, même si certains francs-ti-
reurs continueront de résister.

Un jeu qui s’annonce serré
Boris Johnson peut enfin aller pui-
ser dans les rangs de l’opposition
travailliste, où une petite vingtaine
de députés o nt laissé entendre q u’ils
pourraient soutenir un accord.
Mais le chef du Labour, Jeremy Cor-
byn, fera tout pour les en dissuader.
Indiquant sans surprise jeudi que le
parti voterait en l’état contre
l’accord, et recommandant un nou-
veau référendum, il continue de
croire qu’un échec de Boris John-
son à la Chambre des communes
pourrait lui ouvrir les portes du
pouvoir. Le Scottish National Party
et les Libéraux-démocrates ont eux
aussi rejeté l’accord.
Rien n’est perdu pour le Premier
ministre, et la pression va être forte

contrôles vétérinaires ou encore
pour les produits agricoles.
En pratique, quatre ans après
la fin de la période de transition,
l’Assemblée devra, à la majorité
simple, décider du maintien de
l’application du droit de l’Union
ou voter son abandon, auquel cas
le protocole cesserait de s’appli-
quer deux ans après. Compte
tenu des modalités du vote, le
DUP ne sera pas en mesure de
bloquer, seul, l’alignement régle-
mentaire entre les deux Irlandes,
un point important pour les
Européens qui permet de limiter
le risque d’une sortie de ce méca-
nisme.

4 DES RÈGLES
DU JEU ÉQUITABLES
POUR L’AVENIR
La menace de voir s’installer aux
portes de l’Union européenne un
« Singapour sur Tamise » est
écartée. Les Européens ont en
tout cas remis de l’ordre dans les
ambitions dérégulatrices de
Boris Johnson. Ce dernier exi-
geait encore au début du mois
que soit retirée de la déclaration
politique sur les relations futures
entre l’Union et le Royaume-Uni
la référence à un « level playing
field ». L’engagement, accepté
par Theresa May et finalement
maintenu, repose sur l’applica-
tion de règles du jeu équitables et
consiste à appliquer le même
niveau de réglementation que
l’Union européenne. Londres ne
pourra ni sabrer dans sa fiscalité,
ni déréguler son droit du travail,
sa politique de la concurrence ou
ses aides d’Etat pour s’arroger des
avantages concurrentiels, du
moins s’il souhaite conclure un
accord de libre-échange avec les
Vingt-Sept. La déclaration politi-
que remaniée est même plus pré-
cise que dans sa première mou-
ture et elle sera soumise à un
système de règlement des diffé-
rends en cas de problème.
—C. C, G. G. et D. P.

Irlande : comment le compromis


résout la quadrature du cercle


sur les élus refusant l’accord, qui
devront rendre des comptes aux
électeurs ensuite. Mais le jeu
s’annonce extrêmement serré. Une
question se pose donc : pourquoi
Boris Johnson, malgré le risque
d’échec à Westminster, a-t-il décidé
d’enclencher la marche avant en
concluant avec Bruxelles? La
réponse est s imple : i l n’est pas e xclu
que le Premier ministre britanni-
que soit aussi prêt à jouer la partie
en deux temps. Et qu’il ait un coup
d’avance.
Il serait ainsi prêt à perdre la pre-
mière manche, prévue samedi,
pour gagner le match retour dans
quelques semaines. Un rejet du
nouvel accord par les députés bri-
tanniques samedi déclencherait
automatiquement l’obligation pour
lui de demander u n report du Brexit
à Bruxelles jusqu’au 31 janvier. La loi
anti-« no deal » le lui impose en
effet si aucun accord n’est conclu
avec Bruxelles et endossé par West-
minster avant le 19 octobre.
Cela l’obligerait, certes, à revenir
sur sa promesse d’une sortie de
l’Union européenne avec ou sans
accord au 31 octobre. Mais cela lui
donnerait aussi le temps d’affronter
les électeurs à l’occasion d’élections
législatives anticipées, de tenter de
reconstituer à cette occasion sa
majorité parlementaire, puis de
soumettre à nouveau aux députés
l’accord conclu jeudi avec Bruxel-
les. Il aurait alors bien plus de chan-
ces de l’emporter. D’autant que
conclure avec Bruxelles lui permet
de se prévaloir auprès d’eux de
« son accord », là où le seul deal jus-
qu’ici sur la table était celui, forcé-
ment présenté comme moins avan-
tageux, conclu l’an dernier par
Theresa May.n

Un risque élevé de rejet par


les députés britanniques samedi


Avec le rejet par le parti
unioniste nord-irlandais
(DUP) de l’accord conclu
jeudi avec Bruxelles,
Boris Johnson aura du mal
à arracher un feu vert,
samedi, aux députés.

320


VOIX
c’est la majorité à atteindre
pour faire passer à l’accord
la rampe du Parlemenent.

ques, sur la base d’un protocole
qui sera défini durant la période
de transition par un comité
conjoint entre l’Union euro-
péenne et le Royaume-Uni.

2 UNE TVA UNIFIÉE
SUR L’ ÎLE
Les discussions ont été âpres sur
ce point qui a occupé les ultimes
heures de la négociation : com-
ment garantir sur un certain
nombre de produits, comme
ceux de première nécessité, qu’il
n’y ait pas de différence entre les
taux appliqués entre le nord et le
sud de l’Irlande? L’idée est
notamment d’éviter un trafic de
marchandises au sein de l’île
jouant sur les écarts de TVA entre
les deux Irlandes. La solution
retenue offre la possibilité au
gouvernement britannique
d’appliquer en Irlande du Nord
les mêmes taux de TVA qu’en
République d’Irlande. Les auto-
rités britanniques seront char-
gées de l’application et de la col-
lecte de cette TVA, là aussi sous
l’égide du futur comité conjoint.

3 L’IRLANDE DU NORD,
MAÎTRE DES HORLOGES
L’Assemblée d’Irlande du Nord
aura une voix décisive sur la
durée de l’application de l’aligne-
ment réglementaire entre les
deux Irlandes. Outre les points
précédemment évoqués, sont
aussi concernés par ce méca-
nisme dit de « consentement »
l’application du marché unique
de l’électricité, des règles com-
munautaires sur les aides d’Etat,
les règles sanitaires pour les

Un comité conjoint
Union européenne -
Royaume-Uni devra
néanmoins encore
préciser les modalités
pratiques.

« Nous ne pensons
pas qu’il soit
possible d’accorder
une nouvelle
prolongation. »
JEAN-CLAUDE JUNCKER
Président de la Commission
européenne

Or, cette fois encore, l’arithmé-
tique s’annonce serrée pour Boris
Johnson. Entre un parti unioniste
nord-irlandais (DUP) qui a claire-
ment fait savoir son hostilité à
l’accord, et des Travaillistes bien
décidés à ne pas offrir à Boris
Johnson un cadeau politique, la
journée de samedi s’annonce à
haut risque. C’est en effet au plus
tard à cette date que, en vertu
d’une loi votée par le Parlement
britannique, Boris Johnson est
contraint d’obtenir le feu vert des
députés, sans quoi il devra récla-
mer un nouveau report du Brexit
à Bruxelles.

D’où la partie de poker men-
teur à laquelle s’e st livré Jean-
Claude Juncker. Interrogé sur la
possibilité d’une nouvelle exten-
sion, le président de la Commis-
sion européenne a été
clair : « Nous ne pensons pas qu’il
soit possible d’accorder une nou-
velle prolongation ». A l’évidence,
il s’agit là, pour le Luxembour-
geois, de maximiser la pression
sur la Chambre des communes,
en la plaçant devant un choix
binaire : approuver l’accord ou
assumer, devant le peuple britan-
nique, la responsabilité d’un « no
deal » à la date du 31 octobre.
Dans un scénario qui aurait
semblé très improbable il y a
encore deux semaines, les Euro-
péens, pressés d’en finir avec
cette interminable saga, voient
ainsi leurs objectifs stratégiques
converger avec ceux de Boris
Johnson : la date butoir du
31 octobre doit rester brandie
pour arracher un vote positif.
Cette convergence découle
d’un revirement britannique,
intervenu il y a une dizaine de
jours. Après des semaines de
négociations infructueuses, mar-

lRéunis à Bruxelles, les dirigeants de l’Union européenne


ont adopté le compromis trouvé, in extremis, jeudi matin.


lMais ils savent la fragilité du texte face à la Chambre


des communes britannique, qui se prononcera samedi.


lUn jeu de poker menteur est enclenché.


Tout l’enjeu est de
trouver le moyen de
préserver la fluidité
des échanges sur l’île
d’Irlande, sans faire
de la frontière avec
l’Union européenne
une passoire
menaçant le marché
unique européen.
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