0123
JEUDI 24 OCTOBRE 2019 sports| 13
Les femmes arbitres, invisibles en sports collectifs
Avec une seule arbitre en Ligue 1, le football s’attire les critiques, mais la parité sur d’autres terrains peine à s’installer
ENQUETE
S
téphanie Frappart a été,
en avril, la première
femme arbitre centrale
sur un match de Ligue 1,
le championnat de France mas
culin de football. Elle a fait la
« une » des médias, son nom était
sur toutes les lèvres. Un pas avait
été franchi dans le monde du bal
lon rond. Pour autant, on reste
toujours loin de la parité dans le
football français : seulement 3 %
de femmes sont arbitres dans les
rangs de la Fédération française,
selon des chiffres de 2018. Et
seule Stéphanie Frappart l’est au
plus haut niveau. Son assistante,
Manuela Nicolosi, n’officie
« qu’en » Ligue 2 quand elles ne
sont pas en binôme.
Ce n’est guère mieux hors foot
ball. Car, si la féminisation du
corps arbitral est largement sou
haitée (93 % d’opinions favora
bles en France, selon une étude
présentée lors des Journées
nationales de l’arbitrage organi
sées par La Poste entre le 7 et
21 octobre), les femmes restent
minoritaires à officier dans la
plupart des sports collectifs dans
l’Hexagone.
Une lente progression
Selon l’Association française du
corps arbitral multisport, les fem
mes représentent 26 % des arbi
tres, toutes fédérations et tous ni
veaux confondus. Et encore plus
minoritaires quand il s’agit d’ar
bitrer des hommes. Sans parler
des matchs internationaux...
En France, le ballon rond a pris
son essor chez les hommes à la
fin du XIXe siècle, mais il n’a été
reconnu pour les femmes par les
fédérations que dans les années
- Ce développement tardif
expliquerait pour partie la faible
féminisation chez les officiels.
« L’arbitrage va de pair avec le dé
veloppement du foot féminin et
les résultats, tous deux récents »,
affirme Pascal Garibian, le pa
tron des arbitres à la FFF.
Mais il est difficile de faire abs
traction du fait que « le foot est un
milieu macho », souligne Julie
Bonaventura, qui a arbitré le
Mondial de handball masculin
en 2017. « C’est l’une des raisons
pour laquelle on voit si peu de fem
mes à cette fonction », ditelle.
Auditionnée en mars par la dé
légation aux droits des femmes
du Sénat, Laura Georges, secré
taire générale de la FFF, avait re
connu que, « souvent, il peut être
difficile d’arbitrer des hommes ou
de suivre des formations avec de
jeunes garçons pour une jeune
fille » et qu’un certain nombre de
jeunes arbitres pouvaient être
conduites à abandonner, lasses
d’être confrontées à la remise en
cause de leurs décisions.
S’il n’y a, a priori, pas de plafond
de verre pour les femmes voulant
arbitrer des hommes, les tests re
quis pour exercer sont les mêmes
pour les deux sexes, donc physi
quement plus durs pour les fem
mes. Et, comme dans toute pro
fession, elles doivent faire plus de
compromis que leurs homolo
gues masculins. « S’il n’y a
aujourd’hui que Stéphanie à ce ni
veau, il y a bien une raison, conti
nue Pascal Garibian. Il ne s’agit
pas d’avoir une politique de discri
mination positive. Elle est arrivée
là par son travail et sa compé
tence. »
Le ballon rond n’est pas le seul
cancre. Le rugby affiche le même
score, avec seulement 3 % de fem
mes arbitres. Christine Hanizet a
été la première à officier en Pro D
de 2015 à 2017. Aujourd’hui, il n’y
en a plus aucune. « Une des rai
sons incontestables est que le
rugby est un sport viril, de contact,
considéré comme réservé aux
hommes, comme le foot », avance
telle. Elle qui a arrêté en 2017, trop
âgée pour continuer, assure
qu’elle n’a jamais eu de problè
mes ni avec les joueurs ni avec les
sélectionneurs. « C’est dans les ins
tances dirigeantes et non pas sur le
terrain que j’ai senti qu’on ne me
voulait pas à cette place. »
En 2007, René Hourquet, alors
président de la commission cen
trale des arbitres, prononce une
phrase qui arrive aux oreilles de
Christine Hanizet par le respon
sable du secteur MidiPyrénées
alors qu’il est question de la faire
monter au niveau supérieur :
« Tant que je serai là, les femmes
n’arbitreront pas plus haut que la
Fédérale 2. » Si cela ne l’a pas em
pêchée de gravir les échelons,
Christine Hanizet n’est pas près
d’oublier cette sortie.
Hand et basket, plus féminins
D’autant que René Hourquet n’a
pas été le seul à lui mettre des bâ
tons dans les roues. Quand sa der
nière saison en Pro D2 arrive, elle
compte les matchs avant la fin de
sa carrière. « Des responsables à la
fédé m’ont dit qu’ils ne pouvaient
pas me convoquer car “tu com
prends, les matchs de fin de saison
sont importants” », rappelletelle.
Elle marque une pause, comme
en souvenir du choc éprouvé. « A
la fédération, tout le monde n’était
pas prêt à voir une femme à ce ni
veau », regrettetelle.
Deux ans plus tard, la situation
n’a pas évolué. Aucune femme n’a
pris le sifflet en Top 14. « Quand j’ai
pointé le bout de mon nez, la fédé
s’est dit qu’il fallait remédier au
problème, soulignetelle. Il n’y a
rien de concret. »
La place des femmes arbitres est
un tout petit peu plus assurée
pour les sports collectifs de salle,
où la pratique féminine est aussi
un peu moins déséquilibrée.
Laure Coanus, 24 ans, a par exem
ple arbitré son premier match de
basket en élite masculine le sa
medi 12 octobre à Pau, après avoir
passé un à un les échelons territo
riaux. « J’avais une pression folle,
racontetelle. J’étais avec un arbi
tre d’Euroligue, cela m’a mise en
confiance. Tout s’est bien passé. J’ai
fait quelques erreurs, mais je ne me
suis pas laissé marcher dessus. »
Un joueur est même venu la félici
ter à la fin du match.
Avec 20 % d’arbitres féminines
dans les rangs de la fédération,
comme au handball, et trois fem
mes officiant en première divi
sion masculine, le basket fait par
tie des bons élèves en matière de
parité. Et aussi d’ambiance : « Une
seule fois dans ma carrière, j’ai en
tendu des insultes sexistes, se sou
vient Laure Coanus. On est proté
gées dans ce sport, du fait qu’on est
plus nombreuses et plus visibles. »
Très peu à l’international
Même tonalité côté handball. Les
sœurs jumelles Julie et Charlotte
Bonaventura arbitrent régulière
ment des hommes. Elles n’ont ja
mais eu à se plaindre de ré
flexions déplacées. « On a en
tendu des “rentre chez toi, va faire
la vaisselle” dans des petites salles,
mais c’était rare, relate Julie Bon
naventura. Une fois, on est arri
vées dans un gymnase et on nous a
dit que le match des filles, ce n’était
pas ici. On a expliqué qu’on venait
bien pour le match des hommes :
les gens étaient étonnés, mais ce
n’était pas méchant. »
Là où la situation de Stéphanie
Frappart, en football, est excep
tionnelle, les prestations du duo
familial lors de matchs masculins
sont si courantes que plus per
sonne n’y fait attention.
Là où le bât blesse, c’est l’arbi
trage par des femmes de rencon
tres internationales chez les
hommes. Au football, en officiant
lors la Supercoupe d’Europe en
août, entre Chelsea et Liverpool,
Stéphanie Frappart a réalisé une
première.
Les deux sœurs Bonaventura,
elles, vont arbitrer le champion
nat d’Europe masculin de hand
ball début 2020 (du 10 au 26 jan
vier en Autriche, Norvège, Suède),
après avoir officié lors du Mon
dial masculin en 2017. « On com
mence à être connues. C’est rentré
dans les mœurs », sourit Julie.
Du côté du basket en revanche, si
Chantal Julien a arbitré des hom
mes à l’Euro 2005 et aux Jeux
olympiques d’Athènes et de Pékin,
il n’y a plus de Françaises
aujourd’hui dans les compétitions
masculines internationales.
chloé ripert
« C’est dans
les instances
dirigeantes
et non pas sur
le terrain qu’on
ne me voulait
pas à cette
place »
CHRISTINE HANIZET
ancien arbitre de rugby
« L’arbitrage
va de pair
avec le
développement
du foot féminin »
PASCAL GARIBIAN
patron des arbitres à la FFF
LES CHIFFRES
FOOTBALL
24 651 arbitres,
dont 825 femmes. 15 arbitres
dans l’élite féminine.
RUGBY
2 992 arbitres, dont 110 femmes.
Une arbitre internationale fémi-
nine, qui arbitre des femmes.
HANDBALL
32 000 arbitres,
dont 7 058 femmes.
Sur sept binômes internatio-
naux, un seul est féminin.
BASKETBALL
8 204 arbitres, dont 1 641 femmes.
16 femmes sur 107 en élite.
13 internationaux dont 3 femmes.
Dans le football, inciter et former
Auditionnée fin mars par la délégation aux droits des femmes du
Sénat, Laura Georges avait exposé le plan de développement de
l’arbitrage féminin de la Fédération française de football (FFF),
dont elle est la secrétaire générale. « Notre objectif est que des
femmes puissent arbitrer des équipes d’hommes et travailler avec
des arbitres masculins, avait-elle expliqué. Nous faisons en sorte
de les doter matériellement, de les accompagner médicalement
et de les aider financièrement. » Pour inciter les ligues et districts
à former et à recruter des femmes, la fédération attribuera
des soutiens sous forme de dotations. Pour mieux se former et
s’entraîner les femmes arbitres pourront suivre six stages
annuels, contre deux jusqu’alors. Elles bénéficieront d’un suivi
médical, les tests physiques seront systématisés pour préparer
la saison et elles seront accompagnées par un préparateur
physique et un manageur. La FFF met en place un statut
semi-professionnel à travers une indemnité fixe et des primes
de match pour les femmes, à compter de cette saison.
MUSÉE DESBEAUX-ARTS
Peut-on composer avec un « allié »
américain à la gouverne irrationnelle?
ElisabethVallet et MichelDuclos
AniméparMarcSemo
Le « surtourisme », une plaie pour
les villes et le patrimoine
Fabien Durif,Martin Soucy, Delphine Bürkli et
MélaniePaul-Hus-Animé parMichel Guerrin
Est-ce aux politiques de dire le beau?
NathalieBondil,Dinu Bumbaru,ClaudeProvencher
etJean-JacquesAillagon-Animé parMichel Guerrin
La vérité journalistique existe-t-elle?
PierreTrudel,Sylvain Lafrance,MyriamRevault d’Allonnes
et Gérald Bronner-Animé parBrian Myles
Comment réinventer la famille à l’heure
de l’égalité des sexes?
Diane Pacom,SamuelArchibald et IrèneThéry
AniméparViolaine Morin
Après la vague de #Moiaussi,
qu’est-ce qui a changé?
Sandrine Ricci,Véronique Hivon
etAstrid DeVillaines-AniméparIsabelle Porter
La maternelle dès 3 ans : le modèle
français est-il effi cace et exportable?
ChristaJapel,Pauline Marois,Pascale Garnier
etJean-Michel Blanquer-Animé par
Marie-Andrée Chouinard
Entre promesses et défi s, l’intelligence
artifi cielle redessinera-t-elle notre monde?
Marc-Antoine Dilhac,Yoshua Bengio et LaurenceDevillers
AniméparClaireLegros
Le développement durable peut-il être
rentable pour les entreprises?
PierreBélanger,PaulineD’AmboiseetC hristophe Itier
AniméparEric Desrosiers
L’intelligence artifi cielle au secours de la santé?
FabriceBrunet,Patrick Nataf,Anne-LaureRousseau
et Ma’nHZawati -Animé parFranck Nouchi
Comment garantir une plus grande égalité
entre les territoires?
ClaudineRoy,AlexandreCusson,Ben-MarcDiendéré,JacquesLévy
etXavier Bertrand-Animé parChristianRoux
Urgence climatique : faut-il instaurer
une dictature environnementale?
Catherine GauthierDominic Champagne,Patrick Bonin et
DominiqueBourg-AniméparSimon Roger
Rap et hip-hop réinventent et bouleversent
les codes linguistiques
Aly Ndiaye (Web ster) et Ogden Ridjanovic
AniméparManon Dumais
UNIVERSITÉCONCORDIA
Matinée«Réinventer la ville:agir...vite!»
Atelier«Open urbanisms:Public spaces as aliving organisms »