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JEUDI 24 OCTOBRE 2019 économie & entreprise| 17
A Strasbourg, une « agroparade » paysanne
contre l’agroindustrie
Associations, agriculteurs et organisations de consommateurs veulent peser dans les
négociations sur la future politique agricole commune européenne, entamées en juin 2018
strasbourg correspondance
I
ls étaient environ un millier,
mardi 22 octobre, à défiler de
vant les grilles du Parlement
européen, à Strasbourg, pour ré
clamer une politique agricole
commune (PAC) plus juste et du
rable. Des militants d’associations
environnementales et de solida
rité internationale, d’organisa
tions de consommateurs, mais
aussi des représentants de l’agri
culture bio et paysanne, venus à
l’appel de deux platesformes
d’action, française (Pour une autre
PAC) et allemande (Wir haben es
satt !, « Nous en avons assez! »).
Leur objectif : sensibiliser les dé
putés européens aux enjeux de la
future PAC, en cours de discus
sion, alors que ces derniers doi
vent encore approuver la compo
sition de la nouvelle Commission
européenne.
En tête du cortège, une abeille
géante croule sous le poids des
pesticides, du changement clima
tique et des attaques du frelon
asiatique. L’occasion pour les api
culteurs de rappeler qu’en vingt
ans la population d’insectes vo
lants a diminué de 80 %.
« Nous tenons le cheptel apicole
à bout de bras, confirme Michel
Kernéis, président de la Fédéra
tion des apiculteurs d’Alsace.
Aujourd’hui, pour éviter que les
ruches ne meurent de faim, nous
fournissons plus de sucre à nos
abeilles qu’elles ne produisent de
miel. Pour inverser la tendance,
notre agriculture doit laisser une
place aux auxiliaires des cultures
plutôt que d’utiliser des pestici
des. La nouvelle PAC doit accom
pagner les agriculteurs dans cette
transition. »
Entamées en juin 2018, les dis
cussions liées à la réforme de la
PAC devaient aboutir à une
meilleure prise en compte des en
jeux environnementaux et cli
matiques. Mais le Brexit et les dif
ficiles négociations du futur bud
get de l’Union européenne (UE)
ont retardé les débats. Si le Parle
ment européen a bien examiné le
texte en commissions avant les
élections européennes de mai, le
vote en plénière n’est pas prévu
avant 2020. Ce qui laisse le temps,
selon les membres du collectif, de
« recalibrer » ce qui constitue la
plus importante politique de l’UE
en matière de budget (56 mil
liards d’euros par an).
« La nouvelle PAC ne va pas se dé
cider ces prochains jours ; l’objectif
est d’être présents et de poser des
jalons. L’autre aspect de notre ac
tion est de relier les deux mondes
que forment les paysans et les ci
toyens », indique Clément Pairot,
coordinateur du mouvement
Pour une autre PAC. Créée en 2017,
cette plateforme en est à sa troi
sième mobilisation, après l’orga
nisation d’une table ronde au Sé
nat, à la fin de 2018, et d’une tren
taine de débats citoyens à travers
la France. En février, à l’occasion
du Salon de l’agriculture, elle a
présenté un programme en
douze points. Parmi ces derniers
figurent le soutien à l’agriculture
biologique et au développement
de filières territoriales de produc
tion alimentaire, la valorisation
des petites exploitations, la créa
tion d’une aide à la transition éco
logique pour les agriculteurs et,
surtout, la mise en place de paie
ments pour services rendus à
l’environnement.
La plateforme demande aussi
de passer d’une couverture a pos
teriori des aléas climatiques à un
financement en amont, pour en
courager les fermes à s’adapter, la
mise en place de mécanismes de
régulation des marchés, la fin des
exportations subventionnées et
le refus de tout nouvel accord de
libreéchange.
Un programme largement en
phase avec celui du mouvement
allemand Wir haben es satt !, qui
manifeste, depuis 2011, pour une
évolution du modèle agricole,
lors de la Semaine verte de Berlin
(l’équivalent, outreRhin, du Sa
lon de l’agriculture), mais aussi à
Bruxelles.
« On ne lâchera rien »
A l’agroindustrie, la cinquan
taine d’associations membres op
pose une agriculture paysanne,
plus proche des demandes des ci
toyens. « Nous ne sommes pas
contre les agriculteurs allemands.
Au cours de ces dix dernières an
nées, 100 000 exploitations ont
disparu. Nous demandons que les
petites exploitations agricoles
soient soutenues ; pour cela, c’est
toute la société européenne qui
doit changer », précise Saskia Ri
chartz, responsable de campagne.
Arrivée au pied de l’Hémicycle,
l’« agroparade » a été accueillie
par une quinzaine de députés de
l’Alliance progressiste (S&D), de
l’Alliance libre (Verts) et de la
Gauche unitaire. « Nous avons be
soin de vous. Faites du bruit, n’hé
sitez pas à déranger pour que no
tre politique agricole change »,
déclare Maria Noichl, députée
(S&D) allemande, membre de la
commission agriculture. « On ne
lâchera rien », lui promet Nicolas
Girod, porteparole de la Confé
dération paysanne.
Pour peser dans le débat à venir,
organisations environnementa
les et agricoles vont devoir pour
suivre leur mobilisation.
nathalie stey
La Chine bloque 23 %
des médias étrangers
Malgré l’étendue de la censure, Pékin veut
promouvoir « l’ouverture du cyberespace »
pékin correspondant
L
e New York Times, la BBC, le
Guardian, Reuters, El Pais,
The Hindu, le Spiegel, Le
Monde, Libération, RFI... Près d’un
quart des médias étrangers pré
sents en Chine ne peuvent pas y
être diffusés. Leurs sites Internet y
sont bloqués par les autorités, ré
vèle une étude du site GreatFire.
com pour le club des correspon
dants étrangers (FCCC), publiée
mardi 22 octobre.
Selon le ministère des affaires
étrangères chinois, 536 journalis
tes étrangers sont accrédités dans
ce pays. Ces journalistes travaillent
pour 215 médias, dont 23 % sont
bloqués. Alors que mardi s’ache
vait aussi à Wuzhen la sixième
conférence mondiale de l’Internet,
l’étendue de cette censure peut pa
raître contradictoire avec l’atta
chement proclamé de Pékin à
l’ouverture du cyberespace.
« Etablir un leadership »
Lors du discours inaugural de ce
sommet rassemblant 80 pays,
Huang Kunming, responsable de
la propagande au sein du comité
central du Parti communiste (PC),
a déclaré que la Chine allait conti
nuer de « promouvoir l’ouverture
du cyberespace » tout en défen
dant « la sécurité du cyberespace et
construire sa gouvernance interna
tionale ».
Alors que les Chinois n’ont tou
jours pas accès à Facebook, Google
ou Twitter, les dirigeants de ces en
treprises n’avaient pas fait le dé
placement. Pékin ne s’en offusque
pas. « Cette conférence a montré la
volonté de la Chine de créer un es
pace de discussion sur la gouver
nance de l’Internet qui ne soit pas
dominé par les EtatsUnis et donc
d’espérer établir un leadership »,
note Séverine Arsène, chercheuse
associée au Medialab de Sciences
Po, basée à Hongkong.
Avec ses 854 millions d’utilisa
teurs d’Internet et ses géants (Ali
baba, Huawei, etc.), Pékin estime
ne plus avoir de leçon à recevoir
mais être au contraire en mesure
de faire prévaloir ses propres critè
res. Et établir, selon le président XI
Jinping, « une communauté de des
tin du cyberespace ». Or, la Chine
n’a pas davantage l’intention
d’ouvrir ses frontières aux médias
occidentaux qu’elle n’a eu l’inten
tion de totalement libéraliser son
économie en adhérant à l’OMC
en 2001. D’où la censure des sites
étrangers. « La liberté d’expression
n’est jamais libre », a théorisé, dé
but octobre, le Global Times.
Mardi, le China Daily, quotidien
du PC, relatait un rapport de trois
think tanks chinois sur la souve
raineté du cyberespace. Elle con
siste à « faciliter un ordre interna
tional juste et équitable sur la base
de la souveraineté nationale et
construire une communauté avec
un destin partagé dans le cyberes
pace ». En clair : être libre de refu
ser de l’Occident ce qui ne corres
pond pas aux « caractéristiques
chinoises », et profiter du pro
gramme d’investissements des
« nouvelles routes de la soie » pour
promouvoir à l’étranger la concep
tion chinoise du Web.
Cette position n’est pas sans am
biguïtés. Ces derniers jours, la
presse locale tire à boulet rouge
sur Twitter, jugeant qu’il y a un
« biais antichinois dans les algo
rithmes » du réseau qui empêche
ses utilisateurs d’« avoir une image
complète de ce qui se passe à Hon
gkong », alors que les Chinois n’ont
quasiment aucune information
sur ce qui s’y joue.
frédéric lemaître
Il en va du monde du spectacle
comme de celui de l’immobilier
ou des startup. Les milliards
pleuvent de bulle en bulle, avant
d’éclater quand le rêve s’achève.
Prenez Endemol, l’inoubliable
producteur néerlandais de « Loft
Story », la première émission de
téléréalité diffusée en France à
partir de 2001. L’émission origi
nale, appelée « Big Brother » dans
les autres pays, a connu un succès
si fulgurant que, en 2000, six ans
seulement après la création de la
société par John de Mol, l’entre
prise est rachetée 5 milliards
d’euros par l’opérateur téléphoni
que espagnol Telefonica. Cinq ans
plus tard, passé l’éclatement de la
bulle télécoms, le groupe intro
duit Endemol en Bourse sur une
valeur de 1,1 milliard d’euros. Pas
fameux comme investissement.
Criblé de dettes
La société est récupérée par
d’autres prétendants, puis aboutit
dans les mains du fonds améri
cain Apollo, qui aime les entrepri
ses à mauvais bilan (très endet
tées) et gros potentiel. Il la fu
sionne avec la société Shine, du
groupe Murdoch, et avec le pro
ducteur CoreMedia. Le « loft » re
prend de la valeur, mais reste cri
blé de dettes. Mis en vente autour
de 3,5 milliards d’euros, le groupe,
après un an d’enchères, devrait
être cédé à peine 2 milliards
d’euros à la société Banijay, une
startup créée en 2007 par Sté
phane Courbit, celuilà même qui
a fait connaître le « loft » aux
Français quand il était patron de
la branche française d’Endemol.
Un sacré pari. Banijay est certes
devenu un grand du secteur, en
absorbant son concurrent Zodiak
en 2016, mais il reste deux fois
plus petit que l’anglonéerlandais.
Il est, de plus, lui aussi, très en
detté. Mais qu’importe. Le « loft »
convoité semble très cher, mais
son prix inclut une dette qui se
rait de l’ordre de 1,75 milliard
d’euros. Il ne devrait donc dé
bourser au total qu’un petit
250 millions. Surtout, il s’est as
suré du soutien de beaucoup plus
riches que lui. A commencer par
Vivendi, qui possède déjà plus de
30 % de Banijay et suivra l’aug
mentation de capital envisagée.
Comme Apollo, Vincent Bolloré,
l’homme fort de Vivendi, aime les
mauvais bilans qui cachent de
belles perspectives.
Cellesci s’appellent Netflix, Ap
ple, Amazon, Disney, Warner, qui
ont décidé de dépenser des dizai
nes de milliards de dollars pour
gagner la bataille des contenus
avec leurs chaînes de vidéo sur
Internet. Banijay Endemol, qui
rassemblera les jeux « Fort
Boyard », « Big Brother », « The
Voice » et les séries Peaky Blin
ders ou Black Mirror, a de quoi at
tirer ce bel argent frais. A Hol
lywood, comme à Paris, Londres
ou Amsterdam, les vendeurs de
rêve sur écran ont toujours su
prospérer en ruinant conscien
cieusement leurs actionnaires.
PERTES & PROFITS|ENDEMOL SHINE
p a r p h i l i p p e e s c a n d e
Un « Loft »
à 2 milliards d’euros
Au Brésil, Jair Bolsonaro fait
passer sa réforme des retraites
Le Congrès a voté en faveur d’un texte moins ambitieux que prévu
rio de janeiro correspondant
C’
est sans doute la mesure
économique la plus at
tendue, et peutêtre la
plus importante, du mandat de
Jair Bolsonaro : la réforme du sys
tème des retraites a été adoptée en
plénière au Sénat, ce mardi 22 oc
tobre. Le texte a été voté par une
large majorité (60 voix contre 19) à
la Chambre haute du Brésil.
« Félicitations, peuple brésilien!
Cette victoire, qui met le pays sur la
voie du décollage, est celle de vous
tous! », s’est immédiatement féli
cité le président brésilien sur Twit
ter. Le texte a pourtant été le fruit
d’un accouchement dans la dou
leur, fruit d’une gestation de plus
de huit mois et d’intenses négocia
tions entre le Congrès et l’exécutif.
Début octobre, le scrutin avait
été repoussé à la dernière minute,
pour une raison des plus sacrées :
le 13 était canonisée par le Vatican
la « sœur Dulce », bahianaise et
première sainte brésilienne de
l’histoire. Un événement auquel se
sont pressés de nombreux parle
mentaires, et pas mal de séna
teurs, empêchant la réunion du
quorum nécessaire au vote de la
profane réforme des retraites.
Dans un Brésil à l’économie tou
jours morose (0,9 % de croissance
du PIB prévu pour 2019 par le FMI),
la réforme vise à restaurer la crédi
bilité financière du pays. « C’est la
mesureclé que les entreprises
étrangères attendaient pour reve
nir investir », assure une bonne
source diplomatique. Dans le dé
tail, la loi réorganise en profon
deur le système des retraites,
fixant un âge légal de départ
(65 ans pour les hommes et 62
pour les femmes), augmentant de
cinq ans les annuités nécessaires à
l’obtention d’une pension à taux
plein, modifiant la base de calcul
du montant des pensions et intro
duisant un taux de cotisation pro
gressif pour les fonctionnaires.
« Un impact limité »
C’est une victoire pour le gouver
nement de Jair Bolsonaro, mais en
demiteinte. Le pouvoir a dû négo
cier et souvent reculer face à un
Congrès frondeur et éclaté, ne
comptant pas moins de 23 partis
politiques. La réforme permettra
d’économiser quelque 800 mil
liards de reais (176 milliards
d’euros) sur dix ans, soit 500 mil
lions de moins que ce que pré
voyait au départ la réforme. Elle
préserve également le régime de
retraite par répartition en place, se
gardant d’ouvrir la voie à un sys
tème par capitalisation, souhaité
par le pouvoir.
Selon les projections du Trésor,
le déficit du système des retraites
pourrait atteindre les 314 milliards
de reais en 2019. « C’est une ré
forme positive, mais elle aura un
impact limité, explique Helio Bel
trao, économiste libéral influent,
président de l’Institut Mises, et
proche du ministre de l’économie,
Paulo Guedes. Elle permet de ré
duire le “trou” des retraites, mais
seulement un temps. Il faudrait
quatre réformes de ce genre pour
équilibrer les comptes à long
terme! Surtout, elle ne change rien
aux problèmes structurels. Dans les
années 1960, 14 actifs cotisaient
pour un retraité. Aujourd’hui, c’est
7 actifs pour un retraité et d’ici peu
ce sera 3! Ce n’est pas soutenable »,
poursuit M. Beltrao, favorable à
une retraite par capitalisation.
De son côté, la gauche est vent
debout contre une loi accusée de
faire porter l’essentiel des efforts
sur les épaules des plus modestes.
« Cette réforme est brutale, estime
Ligia Bahia, professeure d’écono
mie à l’université fédérale de Rio
de Janeiro (UFRJ). Elle ne prend pas
du tout en compte les parcours in
dividuels, et ne prévoit rien pour le
secteur informel, où travaillent en
core 40 % des Brésiliens. Surtout,
elle ne touche pas au statut privilé
gié dont bénéficient les militaires et
la police. » Ces deux corps, où il de
meure possible de prendre sa re
traite à un peu plus de 50 ans, bien
souvent à taux plein, sont très liés
à l’excapitaine Bolsonaro.
Victorieux de la « bataille des re
traites », le ministre « star » de
l’économie, Paulo Guedes, y a ce
pendant laissé des plumes. L’an
cien « Chicago boy », ultralibéral,
dont le ralliement à la candidature
Bolsonaro avait été essentiel lors
de la présidentielle de 2018 pour
rassurer les milieux économiques,
s’est révélé piètre négociateur,
souvent brutal, voire tricheur. La
loi votée mardi doit tout autant au
rusé président de la Chambre des
députés, Rodrigo Maia, qui a su se
placer au centre du jeu politique.
De même, d’autres conseillers
économiques sont en train de
monter en puissance autour du
président, en particulier des mili
taires à la philosophie plus « éta
tiste ». Ce « parti de l’armée » tente
rait de limiter l’impact trop libéral
des réformes Guedes. Ils auront
fort à faire. En 2020, le ministre
prévoit un vaste plan de privatisa
tion – qui inclut l’électricien Eletro
bras ou l’imprimeur de billets de
banques Casa da Moeda – et des ré
formes importantes et sensibles
du système d’imposition et du sta
tut des fonctionnaires publics.
bruno meyerfeld
« Cette loi
ne touche pas au
statut privilégié
dont bénéficient
les militaires
et la police »
LIGIA BAHIA
professeure d’économie
La FNSEA et les JA excédés par l’agribashing
« Macron, réponds-nous! » Les paysans ont fait entendre leur dé-
tresse, mardi 22 octobre, devant les préfectures, exprimant leur
ras-le-bol de l’« agribashing ». A l’appel de la Fédération nationale
des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes agri-
culteurs (JA), ils ont demandé au chef de l’Etat de les défendre
contre les maux qui affectent un secteur en crise d’identité et en
crise économique, à l’appel de la Fédération nationale des syndi-
cats d’exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes agriculteurs
(JA). D’Arles à Epinal, de la Haute-Savoie à la Gironde, les pay-
sans se sont rassemblés devant les préfectures de « 85 % des dé-
partements de France », selon les JA. Depuis Mayotte, M. Macron
a jugé les attaques contre les agriculteurs « inacceptables ». « No-
tre pays s’est emparé d’une drôle de mode, en tout cas d’un drôle
d’état d’esprit, qui a consisté à pointer du doigt, voire à stigmati-
ser, nos agriculteurs en disant qu’ils étaient les ennemis du bien-
être animal, les ennemis de la bonne alimentation », alors même
que « nous avons l’une des agricultures les plus exigeantes ».