18 |management JEUDI 24 OCTOBRE 2019
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Les ressources humaines à l’heure
du pleinemploi
Dans le Cantal ou la Mayenne, les recruteurs doivent s’adapter à la pénurie de candidats
R
echerche conducteur de
ligne de production »,
« Recrute fraiseur sur
commande numéri
que »... Dans les zones d’activité de
Mayenne, les offres d’emploi s’af
fichent parfois en pleine rue, sur
de grandes banderoles. Si la tech
nique de recrutement « n’est pas
forcément des plus efficaces », re
connaît un spécialiste de l’emploi
local, elle illustre toute la difficulté
d’une grande partie des entre
prises du département à trouver
les compétences qu’elles recher
chent. « Nous sommes en ultra
tension », résumetil. Contrôleurs
de gestion, maçons ou ingé
nieurs : le phénomène touche de
nombreux secteurs, et n’épargne
aucun niveau de qualification.
A l’origine de ces difficultés :
un dynamisme économique que
n’arrive pas à compenser la dé
mographie départementale, et
la pénurie de nombreuses com
pétences sur le territoire.
La Mayenne affiche un taux
de chômage particulièrement
bas (5,5 % au deuxième trimes
tre 2019 selon l’Insee, contre
8,5 % pour la France entière).
Une conjoncture flatteuse qui a
son revers : au pays du quasi
pleinemploi, chaque recrute
ment peut virer au cassetête.
« L’offre est très importante, il
existe donc une vraie compéti
tion entre entreprises pour atti
rer et garder les salariés », résume
Benoît Logeais, directeur indus
triel chez Bridor, dont un site de
production est situé en
Mayenne. Face à cette situation,
les sociétés ont repensé leurs
pratiques et appris à mettre en
avant leurs atouts.
« Leur positionnement RH évo
lue, confirme Frédéric Mellier,
directeur adjoint de l’agence de
développement Laval Economie.
Elles ont intégré le fait qu’elles
devaient être attractives. Elles
mettent donc en place des pro
cessus d’intégration, travaillent
sur l’ergonomie des postes de
travail... Elles réfléchissent par
ailleurs à leur empreinte écologi
que, question à laquelle les can
didats sont sensibles. »
A la tête du spécialiste de
l’emploi Actual, dont le siège so
cial est basé à Laval, Samuel
Tual confirme : « La question de
la marque employeur est un
vrai sujet dans notre territoire.
La plupart des entreprises tra
vaillent leur raison d’être, le
sens qu’elles veulent donner à
leur action. »
Attirer et fidéliser
« I l faut donner envie », résume
M. Logeais. Et faire connaître ses
métiers. Bridor organise donc
des visites de son site, notam
ment à l’intention des plus jeu
nes (élèves de lycée agricole, étu
diants en BTS...). Mais, pour re
cruter des agents de maîtrise ou
des cadres, l’entreprise doit bien
souvent porter son regard au
delà des frontières du départe
ment. Elle n’est pas la seule.
Laval Economie organise pour
plusieurs d’entre elles des dépla
cements dans des territoires
français durement touchés par
le chômage, afin de faire connaî
tre leurs offres. « On propose un
package aux personnes intéres
sées, car une offre d’emploi seule
ne suffira pas à les faire démé
nager », indique M. Mellier. Une
offre qui inclut un accompagne
ment dans la recherche d’emploi
du conjoint et dans la quête
d’un nouveau logement.
A quelques centaines de kilo
mètres de là, dans le Cantal, la
tension sur l’emploi est tout aussi
palpable. Le département détient
le record du plus faible taux
de chômage français, à 5 % au
deuxième trimestre 2019. Et, là
encore, entreprises, institutions
et collectivités multiplient les
initiatives pour attirer et fidéliser
les salariés. « Le vieillissement de
la population est un problème
sensible ici, nous manquons de
jeunes actifs, résume Bernard Vil
laret, le président de la chambre
de commerce et d’industrie (CCI)
du Cantal. Notre taux de chômage
peut être vu comme un indicateur
positif, mais il a des impacts néga
tifs sur notre économie. Par man
que de personnel, certaines socié
tés font le choix de ne pas répon
dre à des marchés. »
La startup cantalienne SiteW,
plateforme de création de sites
Internet, rencontre régulière
ment des difficultés de recrute
ment de profils à haut niveau
de qualification. Elle a ainsi mis
trois ans pour trouver un admi
nistrateur système. « Le départe
ment n’a pas de grandes écoles,
cela complique forcément le re
crutement de certains profils »,
explique le cofondateur, Fabien
Versange.
Il faut donc, là encore, séduire.
« La première chose qu’on met en
avant lors des entretiens, c’est le
territoire, pour que les can
didats s’y projettent, aient envie
d’y vivre. » Plus de nature et de
pouvoir d’achat... L’entreprise a
pris l’habitude de « vendre » son
Cantal. Elle met aussi en avant un
« management assez horizontal,
participatif. Les nouvelles généra
tions y sont sensibles », poursuitil.
La question des salaires peut éga
lement s’inviter dans la réflexion
des entreprises. « Pour recruter des
ingénieurs, certaines sociétés doi
vent faire des efforts et s’aligner
sur les rémunérations pratiquées
dans une métropole comme Lyon,
explique un entrepreneur. Faute
de quoi ils ne feront bien souvent
pas le déplacement. »
Une politique de primes
Chez les Transports Lhéritier, qui
emploient deux cents salariés, on
reconnaît aussi des « difficultés de
recrutement : nous avons en per
manence dix à vingt postes à
pourvoir », indique le PDG, Jean
Marc Lhéritier. La concurrence
est rude, à ses yeux, entre entre
prises du territoire, des conduc
teurs n’hésitant pas à changer de
secteur, pour rejoindre l’indus
trie ou le bâtiment. « Les choses
ont évolué depuis environ trois
ans. A notre priorité initiale, con
server nos clients, nous avons dû
en adjoindre une seconde : garder
nos salariés. Et pour ce faire, nous
avons pris différentes initiatives. »
L’entreprise fait, par exemple, en
sorte que ses nouveaux camions
soient équipés d’un frigo et
d’une climatisation de nuit. Elle
propose aussi des offres avan
tageuses à ses collaborateurs,
comme des locations de voiture à
bas coût. Une politique de primes
est également en place.
Cette tension sur le marché
de l’emploi peut même avoir des
répercussions sur le manage
ment dans certaines entreprises.
« Les choses se complexifient,
explique un employeur. Les sala
riés sont en position de force, peu
vent avoir de nouvelles exigen
ces horaires, et estimer que leurs
contraintes personnelles sont
prioritaires. » En conséquence, il
dit travailler à « l’élévation du ni
veau de compétences des mana
geurs. Ils suivent désormais des
formations pour gérer, audelà
des savoirfaire techniques, le sa
voirêtre des salariés ».
françois desnoyers
LES CHIFFRES
5 %
C’est le taux de chômage
dans le Cantal au deuxième
trimestre 2019, le plus faible
de France devant la Lozère
(5,4 %) et la Mayenne (5,5 %),
contre 8,5 % à l’échelle
française, indique l’Insee.
61,7 %
C’est la part des projets de
recrutement jugés difficiles
par les entreprises du
département du Cantal en 2019,
contre 50,1 % à l’échelle
nationale, selon Pôle emploi.
P
ropos déplacés, dégradants, déni de reconnais
sance, cadeaux gênants, « promotion canapé » :
comment prévenir efficacement le sexisme au
travail, interrogent, mercredi 23 octobre à Paris,
les participants du colloque organisé par le cabinet Techno
logia, expert en prévention des risques professionnels. Les
récents résultats de l’Observatoire européen du sexisme et
du harcèlement sexuel au travail, publiés le 14 octobre par la
Fondation JeanJaurès, sont alarmants : 60 % des Européen
nes ont déjà été victimes de sexisme ou de harcèlement
au travail au cours de leur vie professionnelle ; 30 % des
Françaises ont déjà été harcelées ou agressées. L’enquête
européenne donne un début de réponse : en identifiant les
contextes de travail « pousse au crime », elle offre une nou
velle base de travail à disposition des manageurs.
« Dans les entreprises, le sexisme est encore abordé comme
un problème de comportement individuel, alors que l’émer
gence des violences est très souvent multifactorielle. Aucun
milieu n’est à l’abri et il existe des environnements de travail
qui surexposent », confirme Florence Chappert, chercheuse
à l’Agence nationale pour l’amélioration
des conditions de travail (Anact).
Il y a trois ans, une précédente étude du
ministère du travail avait établi deux
contextes à risque : les organisations du
travail qui donnent aux salariés le senti
ment de ne pas pouvoir remplir leur mis
sion correctement ; et les emplois ne cor
respondant pas aux stéréotypes sexués de
la division du travail (une femme dans un
milieu dit « masculin » et inversement).
L’enquête européenne franchit une étape
supplémentaire dans la connaissance des
environnements à risque.
On sait désormais que les délits sont
plus nombreux dans une équipe majori
tairement masculine, ou lorsque les femmes sont en contact
avec le public, ou encore lorsqu’une tenue professionnelle
« sexy » est imposée. « L’étude [de l’Observatoire] nous dit
aussi qu’il faut être vigilants à la formation et à la sensibilisa
tion de tous les collaborateurs, car 46 % des violences verbales
ou visuelles ne viennent pas d’un supérieur hiérarchique, mais
d’un collègue », souligne Amandine Clavaud, responsable Eu
rope et égalité femmeshommes à la Fondation JeanJaurès.
De quoi aller bien audelà de la nomination d’un « réfé
rent », comme le prévoit la loi, ou de la libération de la parole,
en veillant par exemple « à ne jamais laisser une femme
seule dans une équipe masculine, à constituer des binô
mes pour les salariés en contact avec le public, ou à contrôler
l’équilibre dans la répartition des tâches plus ou moins
dégradantes », explique Florence Chappert.
Pour protéger les salariés, « on va avoir de plus en plus
d’éléments sur le lien entre organisation et conditions de
travail et sexisme », ajoutetelle. Les entreprises y ont
intérêt, audelà du cadre légal. L’Anact lance en novembre
un cycle de webinaires qui les incite à considérer les
comportements sexistes comme un risque professionnel
à part entière. La prévention pourrait enfin aller audelà
des promesses de « tolérance zéro ».
LES DÉLITS SONT
PLUS NOMBREUX
DANS UNE ÉQUIPE
MAJORITAIREMENT
MASCULINE
OU LORSQU’UNE
TENUE « SEXY »
EST IMPOSÉE
Avec un taux
de chômage
particulièrement
bas, chaque
recrutement
peut virer
au casse-tête
Déménagement, aménagement : avancées et reculades du « flex office »
Les Rencontres RH organisées le 15 octobre ont mis au jour un fort besoin d’appropriation de leur lieu de travail par les salariés
L
es années 1970 ont été celles
d’un grand mouvement des
entreprises vers les open
spaces. « Nous sommes aujour
d’hui à nouveau dans un grand
mouvement de réorganisation
des espaces, qui touche à l’iden
tité professionnelle, au rapport au
métier. Plus qu’un simple dépla
cement d’un point A à un point B,
il s’agit d’un chaos produit par les
modalités d’appropriation », expli
que JeanMarie Charpentier, doc
teur en sciences de l’informa
tion et grand témoin des Rencon
tres RH qui se sont tenues,
mardi 15 octobre, à la Maison de
l’Amérique latine, à Paris.
Ce rendezvous mensuel, orga
nisé par Le Monde en partenariat
avec Leboncoin, a réuni une di
zaine de responsables des res
sources humaines pour échan
ger sur les expériences et les
problèmes posés par les déména
gements et l’aménagement de
l’espace de travail. Une nouvelle
stratégie, des contraintes éco
nomiques, un regroupement de
toutes les entités avec le siège
historique : les raisons de démé
nager une entreprise sont diver
ses. Mais une telle réorganisation
ne s’improvise pas. Les open spa
ces ont leurs détracteurs, les
« flex offices [pas de bureau atti
tré]», qui ont le vent en poupe,
aussi. Les retours d’expérience
des responsables des ressources
humaines révèlent la nécessité
de bien connaître les besoins des
salariés selon leur activité avant
de réorganiser.
Chez Axa, « en open space,
les collaborateurs souffraient des
nuisances sonores. On a identifié
des usages, puis le mode d’organi
sation a été repensé pour créer des
espaces de convivialité et des es
paces de silence, des salles de réu
nion hyperconnectées. Les collabo
rateurs qui sont passés en mode
“agile” ne veulent plus revenir à
l’open space classique », assure Si
bylle QuéréBecker, directrice des
relations sociales d’Axa France.
Au Club Med, en plein projet de
réaménagement pour gagner en
efficacité, la RH veut avancer pro
gressivement sans négliger l’ac
compagnement. « Le décloisonne
ment total est déjà un énorme
changement, raconte Linda Fro
ment, DRH mobilité internatio
nale du Club Med. Pour ceux qui
étaient en bureau fermé, le monde
ne vient plus à eux. Et il a fallu or
ganiser des ateliers d’expression
sur ce qu’un manageur peut ou ne
peut pas dire en open space. »
Chez Devoteam, une entreprise
de conseil en technologies numé
riques, il ne s’agit plus de criti
quer, mais de revenir en arrière :
« Le côté open space pour faciliter
la communication n’a plus vrai
ment d’utilité. Avec les nouvelles
technologies, on échange très bien
à distance. Aujourd’hui, l’entre
prise est répartie dans cinq bâti
ments. Mais, sur les grands pla
teaux, ça devient très dense. On ré
fléchit à recréer de petits espaces »,
témoigne Matthieu Rivière, direc
teur du recrutement.
Besoin de repères
Les vingt dernières années ont
été marquées par « une améliora
tion de la compréhension des rela
tions interpersonnelles et de leurs
conséquences sur l’organisation
du travail, notamment grâce à
l’apport de plusieurs disciplines
comme la sociologie, la psycholo
gie, le droit et les sciences cogniti
ves. Les connaissances actuelles,
bien que partielles, montrent que
les individus au travail restent at
tachés aux lieux », indique Ber
trand Sergot, maître de conféren
ces en sciences de gestion de
l’université ParisSud.
Le flex office, au même titre que
l’open space, est tentant pour ga
gner des mètres carrés, même s’il
impose de créer de nouveaux es
paces d’isolement et de réunion.
En effet, « le déménagement peut
substantiellement modifier les
modes de communication lors
qu’il éloigne les manageurs, les RH
ou les syndicats du travail réel.
Ce qui se traduit par des salles de
réunion supplémentaires », expli
que M. Charpentier.
Mais le principal bémol est que
les salariés ont besoin de repères.
« Tout le monde a besoin de repè
res, de savoir qui est où. Dans
les flex offices, au fil du temps, on
s’aperçoit que tout le monde s’as
soit toujours à la même place »,
explique Matthieu Rivière. Chez
Axa, où l’on ne parle pas de flex
office, car on a maintenu une
identité de service par étage, les
bureaux sont « non attribués »,
en « clean desk », avec des casiers.
Le flex office, présent sous diffé
rentes formes dans la plupart des
organisations des entreprises re
présentées ce mardi 15 octobre, a
révélé un fort besoin d’appropria
tion des lieux par les salariés,
quelle que soit la génération. « Les
jeunes s’approprient leur bureau.
On a beau déménager tous les six
mois, ils affichent leurs souvenirs
¶
Ont participé aux Rencontres RH organisées le 15 octobre :
Laetitia Bonnefoy, DRH Groupe Leboncoin ; Jean-Marie Charpentier,
coauteur de « Communiquer en entreprise » (Vuibert, 2019) ; Julien
Danquigny, juriste du groupe Agrica ; Caroline Delpey, responsable de
l’accompagnement RH d’ADP ; Mickaël Dubois, responsable RH d’Unicef
France ; Dominique Florent, directrice de formation d’Allianz ;
Linda Froment, DRH mobilité internationale du Club Med ; Catherine
Gallet-Rybak, secrétaire générale de l’Arcep ; Caroline Haquet, DRH
GroupM ; Céline Parrot, responsable du développement RH international
d’Yves Rocher ; Sibylle Quéré-Becker, directrice des relations sociales
d’AXA France ; Matthieu Rivière, directeur du recrutement de Devoteam ;
Anne Rodier, journaliste, « Le Monde » ; Bertrand Sergot, professeur
en sciences de gestion à l’université Paris-Sud ; Gilles van Kote, directeur
délégué, « Le Monde ».
de soirée. Il y a un stress du bureau
blanc », remarque Mattthieu Ri
vière. « Au Boncoin, on a dû rapide
ment mettre en place des points
d’ancrage, des espaces collectifs
que peuvent s’approprier les équi
pes », explique la DRH groupe,
Laetitia Bonnefoy.
Baptisés « lounges », ces nou
veaux espaces accompagnent
ainsi les flex offices au Boncoin,
chez Axa, à l’Arcep (Autorité de
régulation des communications
électroniques et des postes). « Il y
a des changements et des inva
riants, comme des espaces de tra
vail portables ou des espaces par
destination. La question étant :
jusqu’où peuton individualiser? »,
interroge Bertrand Sergot. Le Club
Med, dans sa démarche « précau
tionneuse », met en place le flex
office petit à petit, « sur certaines
activités, pour des équipes qui
fonctionnaient déjà en mode pro
jet, car il faut que ça ait du sens »,
explique Linda Froment. Dans
l’entreprise, les besoins doivent
être différenciés, analyse M. Char
pentier. Lorsque Accenture a
commencé le flex office dans les
années 1990, cela concernait un
effectif de consultants. Mais « tou
tes les fonctions et tous les indivi
dus ne sont pas égaux face à l’orga
nisation flexible », prévientil. Un
sage appel à la prudence.
anne rodier
CARNET DE BUREAU
PAR ANNE RODIER
Sexisme au travail : la
prévention peut débuter