Le Monde - 24.10.2019

(Jacob Rumans) #1

Cahier du « Monde » No 23261 daté Jeudi 24 octobre 2019 ­ Ne peut être vendu séparément


Flottes d’entreprise


T


elle un pilote de course sans
freins, voyant se dresser un obs­
tacle au bout de la ligne droite,
l’industrie automobile fonce à
toute vitesse vers le « mur du
CO 2 ». L’impact est imminent : à
partir de l’année 2020, les émissions de
dioxyde de carbone des véhicules vendus se­
ront examinées, comptabilisées, et gare à
ceux qui auront dépassé leur objectif de ré­
duction. Les contrevenants sont menacés
d’amendes sévères en 2021.
Les constructeurs doivent donc prendre le vi­
rage qui leur permettra non seulement d’éviter
de perdre leur chemise mais aussi de contri­
buer à la lutte contre le réchauffement climati­
que. Et, dans cette manœuvre, les flottes d’en­
treprise peuvent apporter une aide précieuse.
Petit retour en arrière. Afin de respecter l’ac­
cord de Paris sur le climat de 2015, l’Union
européenne a défini un objectif de réduction
de CO 2 des automobiles immatriculées en Eu­
rope, fixé à 95 grammes par véhicule et par ki­
lomètre parcouru au 1er janvier 2021. Ce chiffre
de 95 n’est d’ailleurs qu’une moyenne. Cha­
que constructeur a son propre niveau de ré­
duction. Et le régulateur européen ne s’est pas
arrêté là. Les exigences de l’UE vont se renfor­
cer au fil des années. Les émissions devront
encore être réduites à 80 grammes en 2025
(− 15 %) puis à 60 en 2030 (− 38 %).
Problème : aujourd’hui, à quelques mois de
l’échéance, on est encore loin du compte.

Selon le dernier chiffre donné en juin dernier
à l’échelle européenne, les émissions de CO 2
des automobiles dans l’UE, en 2018, ont aug­
menté par rapport à 2017, pour atteindre les
118 grammes. Si on constate en France un
premier vrai recul ce mois de septembre
(109,6 grammes après des mois de stagna­
tion autour des 112 grammes), il reste un
gouffre à combler.

Une vente sur deux pour les entreprises
Pour y parvenir, une seule issue : augmenter
très fortement la part des voitures à zéro ou
très faible émission dans les ventes des cons­
tructeurs. Donc immatriculer beaucoup plus
de voitures électriques qu’aujourd’hui. Et c’est
là que le marché des véhicules professionnels
est à même de jouer un rôle­clé.
En France, les ventes aux sociétés et aux pro­
fessionnels représentent la moitié des imma­
triculations totales de voitures neuves. Tradi­
tionnellement, les flottes d’entreprise étaient
le paradis de la motorisation diesel, bien
adaptée à l’utilisation intensive caractéristi­
que des véhicules professionnels. Si les véhi­
cules à moteur thermique et en particulier
diesel restent ultradominants dans l’univers
professionnel, depuis moins de deux ans, la
donne est en train de changer. Les flottes d’en­
treprise ont commencé leur électrification et
le sommaire de ce cahier en est le reflet.
« Il y a des signes de l’intérêt croissant des ges­
tionnaires de flottes pour l’électrique, confirme

François Piot, président de l’Arval Mobility
Observatory, think tank spécialisé dans le vé­
hicule d’entreprise et la mobilité. Notre étude
annuelle réalisée auprès de 3 000 chefs de parc
montre que 17 % d’entre eux ont au moins une
voiture électrique dans leur flotte et surtout
que 34 % envisagent désormais l’achat ou la
location d’un véhicule à batteries. »
Certes, la part de marché des véhicules élec­
triques dans les ventes de voitures neuves
aux sociétés reste modeste : 2,2 % en 2019.
Mais c’est déjà un taux franchement supé­
rieur à celui des achats de particuliers, où la
part des véhicules électriques avoisine 1,2 %.
« Tour à tour, les freins à l’achat des véhicules
électriques par les sociétés sont en train de
tomber », souligne M. Piot. Parmi les éléments
déclencheurs, la possibilité d’un abattement
de 1 800 euros pour compenser le surcoût de
la batterie a convaincu de nombreux profes­
sionnels. Il est désormais appliqué dans le cal­
cul de l’avantage en nature soumis à charges
sociales et impôts.
Par ailleurs, l’autonomie des voitures élec­
triques a fait un bond qui les rend plus opéra­
tionnelles. « Les marques proposent mainte­
nant des véhicules qui arrivent dans la zone des
300 à 400 kilomètres sans avoir à recharger,
constate François Piot. Si c’est évidemment in­
suffisant pour un commercial qui doit traver­
ser la France, une telle autonomie convient lar­
gement à des véhicules qui accomplissent des
tournées de proximité. »

Autre élément facilitant la diffusion des voi­
tures à batteries dans les entreprises, l’offre,
jusqu’ici relativement faible, est en train de
s’étoffer. Côté marques françaises, Peugeot et
DS proposent enfin leurs propres modèles
100 % électriques, avec la 208 et la DS3 Cross­
back. En matière de voitures de dirigeants et
cadres supérieurs, les Tesla sont désormais
concurrencées par Audi, Mercedes, Jaguar,
Volvo, qui vendent de lourds et puissants SUV
fonctionnant uniquement sur batteries.
Mais des entraves au développement de­
meurent. Les gestionnaires de parc craignent
un sous­dimensionnement du réseau de re­
charges au cas où le succès des voitures élec­
triques serait au rendez­vous. Par ailleurs, les
atermoiements et les contradictions de la
fiscalité continuent à rebuter les décideurs.
Enfin, l’entrée des véhicules utilitaires légers
(VUL) – fourgons, fourgonnettes et camion­
nettes – dans la mécanique de l’homologation
CO 2 devrait aussi faciliter le basculement vers
l’électrique de ces types de véhicules, évidem­
ment très concernés par les immatriculations
professionnelles (91 % des ventes totales de
VUL en septembre 2019). Les nouveaux modè­
les d’utilitaires de moins de 3,5 tonnes sont,
depuis le 1er septembre, soumis au nouveau
protocole d’homologation, dit WLTP. Les don­
nées de consommations de carburant (et donc
d’émissions de CO 2 ) seront communiquées
aux acheteurs à partir du 1er janvier 2020.
éric béziat

Electrique : virage obligatoire


Les constructeurs doivent vendre des véhicules propres, notamment aux entreprises,


afin de respecter les normes de l’Union européenne


ILLUSTRATIONS : NINI LA CAILLE
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