Le Monde - 24.10.2019

(Jacob Rumans) #1

6 |flottes d’entreprise JEUDI 24 OCTOBRE 2019


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La télématique


s’impose comme


un outil essentiel


Les entreprises cherchent à tirer avantage des données


générées par des véhicules toujours plus connectés,


notamment pour adapter leur flotte aux usages


A


près s’être imposée comme un
outil de contrôle, la télématique
s’ouvre aujourd’hui à de nou­
veaux usages. Portées, dans un
premier temps, par leur capacité
à localiser en direct ou en différé
les véhicules et à retracer leur parcours, ces
technologies aident désormais les gestionnai­
res de flotte à collecter des informations pour
réduire les coûts d’utilisation, prévenir le risque
routier et promouvoir l’écoconduite.
Poids lourd du marché européen, Masternaut
s’est considérablement développé au cours des
dernières années. Pour Olivier Mansard, son
vice­président chargé du commerce, la téléma­
tique s’ouvre à de nouveaux champs d’applica­
tion : « Des enjeux extérieurs vont obliger les
entreprises à l’exploiter à un niveau renforcé.
L’arrivée des véhicules électriques, hybrides et
hydrogènes et la transition énergétique vont
mobiliser l’attention, et la télématique pourra
faire la démonstration de son utilité. » Grâce à
l’analyse des trajets, celle­ci permettra notam­
ment d’aider les entreprises en identifiant les
usages compatibles avec l’autonomie de l’élec­
trique. Après avoir expérimenté ses fonction­
nalités, les entreprises veulent désormais en
exploiter tout le potentiel pour en retirer tous
les bénéfices possibles.
Celles­ci ont tendance à associer de plus en
plus tôt les salariés au déploiement de leurs so­
lutions de télématique. « Les processus de déci­
sion qui vont du haut vers le bas passent de
moins en moins bien, constate Olivier David,
directeur commercial France de Coyote, qui a
racheté Traqueur début 2018 et commercialise
désormais les solutions de télématique de ce
dernier sous le nom de Coyote Business. Les en­
treprises se soucient davantage de l’acceptabilité
de la solution. L’obligation d’information exigée
par la CNIL ne suffit plus. »

Les GAFA en embuscade
Le développement de l’autopartage offre égale­
ment un terrain de jeu privilégié : « A travers cette
pratique, la mobilité se consomme comme un ser­
vice avec un paiement à l’usage, observe Olivier
Mansard. Grâce à la remontée des informations
en temps réel, la télématique apportera la techno­
logie pour proposer ce mode d’utilisation. »

Autre évolution, l’interopérabilité entre les
différents systèmes d’information se renforce.
Pour les professionnels, ce sujet va d’ailleurs
dominer les débats au cours des dix prochaines
années. « Il faudra être capable de gérer un vo­
lume d’informations suffisant, que ces dernières
soient qualitatives pour produire et livrer des
statistiques pertinentes à un coût maîtrisé »,
explique Olivier David. D’autant que le flux
d’informations va encore se renforcer. De nou­
velles fonctionnalités, de nouveaux services
sont appelés à exploiter plus en profondeur les
données de la conduite et les positions géogra­
phiques pour créer des modèles prédictifs.
D’ailleurs, Masternaut investit massivement
d a n s l a r e c h e r c h e d a

ns le domaine du big data, pour accompagner
encore plus précisément ses clients, notam­
ment dans la traque aux coûts cachés.
« Avec l’intelligence artificielle, explique Oli­
vier Mansard, les conducteurs pourront se
comparer et améliorer leur conduite en utili­
sant des projections statistiques. Grâce à des
algorithmes spécifiques, ils pourront recevoir
des conseils en temps réel. » Qu’il s’agisse de big
data, d’intelligence artificielle ou d’algorith­
me, la technologie permettra, notamment, de
mettre en place des outils capables de prédire
l’évolution de l’état des véhicules, ou d’antici­
per les conditions de circulation. A titre
d’exemple, si un capteur indique que la route
est particulièrement glissante dans un virage
où la vitesse est limitée à 60 km/h, le système
pourra demander au conducteur de ralentir

jusqu’à 40 km/h.
Si l’évolution des fonctionnalités de la téléma­
tique se dessine avec une relative clarté, le deve­
nir du marché soulève encore des questions.
Dans le secteur automobile, le destin des GAFA
n’est pas encore écrit. A plus ou moins long
terme, la voiture pourrait devenir un simple
terminal mobile sur roues, avec la consultation
de contenus en ligne comme principale valeur
ajoutée. Dans ces conditions, les constructeurs
automobiles pourraient perdre leur raison
d’être et une bonne part de leurs revenus.
Android Auto, l’application de Google, est déjà
disponible chez de nombreux constructeurs
automobiles et pourrait jouer le rôle d’un che­
val de Troie. Par le passé, des géants de l’Inter­
net ont phagocyté des fabricants de smartpho­
nes auxquels ils avaient fourni leurs systèmes
d’exploitation dans un premier temps. Pour
survivre, les constructeurs automobiles devront

« Avec l’arrivée des


véhicules électriques,


hybrides et hydrogènes,


la télématique pourra


démontrer son utilité »
olivier mansard
vice­président de Masternaut

« De nouveaux services pour la voiture connectée vont arriver »


e n t r e t i e n | Pour Fawzi Nashashibi, directeur de recherche à l’Inria, la 5G va permettre l’essor des véhicules autonomes


A


u sein de l’Institut national de
recherche en informatique et
en automatique (Inria), Fawzi
Nashashibi dirige une équipe
de recherche spécialisée dans la voiture
autonome et la voiture connectée.

Comment l’automobile va­t­elle
évoluer dans les années à venir?
Avec la voiture connectée, la conduite
va­t­elle radicalement changer?
L’évolution dépasse la simple connec­
tivité nécessaire à l’intégration du multi­
média dans le véhicule. La connexion en
temps réel va renforcer la sécurité et le
confort. A titre d’exemple, les échanges
de données vont permettre d’optimiser
les trajets. Les infrastructures routières
et urbaines émettront des informations
accessibles via le cloud. Après la naviga­
tion simple, puis la prise en compte du
trafic routier, le véhicule va désormais
obtenir des informations sur les travaux
en cours, sur les voitures ou engins
arrêtés sur les voies, sur l’adhérence
dégradée de telle ou telle chaussée, etc.

Tous les événements qui auront un im­
pact sur la conduite utiliseront ce même
mode de communication. Nous allons
passer de la sécurité passive à la sécurité
active et interactive. Les infrastructures
(routes, feux tricolores, ponts, etc.) et les
véhicules vont communiquer. Ainsi, à
l’approche d’une intersection, les véhi­
cules présents sur les autres voies appa­
raîtront à l’écran. Des interactions se fe­
ront également avec les piétons à partir
des smartphones. Chacun sera prévenu
de la présence ou de l’arrivée des autres.
Par ailleurs, grâce à la communication en­
tre les véhicules, les dépassements seront
moins risqués. Tous ces services ont été
testés. Un jour, ils arriveront sur le mar­
ché et leur développement s’accélérera
avec le déploiement de la 5G.

Comment les différents acteurs
occupent­ils ce nouveau marché?
La question fondamentale est celle de
l’identité de celui qui va gérer les don­
nées. Qui va les piloter et comment vont­
elles être déployées? Les réponses sont

difficiles à apporter. Des acteurs de tou­
tes origines se mettent à travailler sur la
voiture connectée. Les métiers connais­
sent de véritables métamorphoses. A ti­
tre d’exemple, les constructeurs automo­
biles se transforment en opérateurs de
téléphonie. Avec des intérêts économi­
ques colossaux en ligne de mire, toutes
les lignes bougent. Chacun développe
des prototypes : Valeo, Bosch, les équipe­
mentiers comme les opérateurs de télé­
phonie et, bien sûr, les constructeurs
automobiles jusqu’aux exploitants rou­
tiers et autoroutiers.
Pour qu’émergent certaines avancées, le
travail devra être mené sur un mode coo­
pératif. C’est le cas sur le dossier de la com­
munication de véhicule à véhicule, pour
laquelle des standards devront émerger.
Les premières fonctionnalités à voir le
jour seront les alertes de sécurité passive
sur les autoroutes. Les systèmes devront
être interopérables au niveau européen.
Dans tous les pays, les véhicules devront
communiquer de la même manière avec
les infrastructures. C’est indispensable,

notamment pour pouvoir demander à un
conducteur de changer de voie afin de
laisser passer un véhicule d’urgence.

Quels services vont se développer
à plus long terme? Quels sont
les freins à leur déploiement?
Les applications de sécurité critique,
dont la fiabilité repose sur une commu­
nication en temps réel, mettront da­
vantage de temps à s’imposer. A titre
d’exemple, sans communication fiable
et en temps réel, les voitures autono­
mes ne peuvent pas franchir une inter­
section. La 5G le permettra. Lorsque le
temps de latence aura suffisamment di­
minué, le véhicule autonome pourra se
développer. Avec l’arrivée de la 5G, les
véhicules en autopartage pourront être
télécommandés pour être réattribués
ou réacheminés à l’atelier pour un en­
tretien ou une réparation. A l’exception
des applications dont la fiabilité repose
sur le temps réel, les autres fonctionna­
lités de la voiture connectée ont atteint
un niveau de maturité élevé.

Les réseaux nécessaires au fonction­
nement de la voiture connectée
sont­ils suffisamment sécurisés?
Existe­t­il des risques de piratage?
Le hacking constitue le principal dan­
ger de la voiture connectée et auto­
nome. Les données doivent s’échanger
de manière sécurisée et anonyme. Si­
non, des pirates pourraient prendre le
contrôle des véhicules ou envoyer de
fausses informations pour dégrader la
sécurité ou le confort, ou encore créer
des embouteillages. L’information at­
teint un niveau critique quand elle s’atta­
che au conducteur ou à la conduite. Un
hackeur pourrait créer un obstacle vir­
tuel pour contraindre une voiture auto­
nome à freiner ou à s’arrêter. Il est im­
portant de sécuriser l’information, et
cette responsabilité incombe à l’opéra­
teur de la flotte. Diffuser l’information
est facile, mais il faut pouvoir la protéger.
A ce titre, le développement de la voiture
autonome va accélérer la recherche en
faveur de la cybersécurité.
propos recueillis par é. gi.

défendre leur modèle pied à pied.
Avec ses solutions commercialisées sous la
marque Free2Move Connect Fleet, le groupe
PSA entend bien jouer un rôle de premier plan
sur ce marché. Ses responsables ne manifestent
aucune inquiétude quant à l’arrivée des GAFA
dans l’automobile, ou face à la concurrence des
spécialistes dont les deux principaux – Tom­
Tom Telematics (devenu Webfleet Solutions) et
Masternaut – ont été rachetés par les manufac­
turiers Bridgestone et Michelin. « Quel que soit
le fournisseur de télématique, s’il a besoin de se
connecter au véhicule, il pourra utiliser nos équi­
pements et le marché se structurera à travers des
partenariats », estime Olivier Emsalem, respon­
sable des services télématiques du groupe PSA
sur le marché BtoB. Le smartphone sur roues
n’est pas encore pour demain.
éric gibory
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