Le Monde - 24.10.2019

(Jacob Rumans) #1

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FRANCE


JEUDI 24 OCTOBRE 2019

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A LR, une équipe renouvelée et des ténors


La nouvelle direction de LR a été annoncée mercredi. François Baroin fait son entrée au conseil stratégique


C


ertains y voient la fin de
la chute électorale du
parti Les Républicains
(LR), d’autres espèrent
tout juste l’amortir. Quelle que
soit l’analyse, Christian Jacob
devait poser, mercredi 23 octobre,
dix jours après son élection à la
présidence du parti Les Républi­
cains (LR), la première pierre du
nouvel édifice du parti, en dévoi­
lant une équipe dirigeante mar­
quée par l’entrée de jeunes dépu­
tés et d’élus locaux, tout en ména­
geant les ténors et en faisant de la
place pour le retour en politique
de son ami et « frère de lait en Chi­
raquie », François Baroin.
Pour le chiraquien qui doit dé­
sormais faire sienne la formule
« Un chef, c’est fait pour cheffer »,
ce premier cercle a été longue­
ment mûri, quoique l’intéressé
démente toute tractation (« J’ai
toujours refusé de rentrer dans ces
petits jeux », disait­il avant son
élection). Dès sa victoire le 13 oc­
tobre, au siège parisien de la rue
de Vaugirard, à Paris, on pouvait
voir se dessiner les contours de la
« présidence Jacob ».
Parmi les personnalités venues
le féliciter, il y avait les députés
Guillaume Peltier, Eric Ciotti,
Daniel Fasquelle et Pierre­Henri
Dumont, le sénateur Roger Ka­
routchi, et la directrice du cabinet
de François Baroin Aurore Mouys­
set. Et, au titre des élus locaux, le
maire de Rillieux­la­Pape et prési­
dent de la fédération LR du Rhône
Alexandre Vincendet ; le maire de
Chalon­sur­Saône, Gilles Platret,
ainsi que des représentants des
jeunes LR. Tous sont allés célébrer
ses 62 % au Père Claude, restau­
rant du 15e arrondissement affec­
tionné par Jacques Chirac, dans
un « esprit de corps et de franche
camaraderie », selon les mots
d’un participant. La table histori­
que de l’ancien président de la Ré­
publique était trop petite pour ac­
cueillir la vingtaine de convives,
mais le clin d’œil était là.
Faire entrer la nouvelle garde
sans froisser l’ancienne, tout en
courtisant des élus locaux
cruciaux dans la survie du parti
aux élections municipales de
mars 2020, c’est l’équilibre de
cette nouvelle équipe. L’heure de
la récompense a sonné pour le dé­
puté du Loir­et­Cher Guillaume
Peltier, qui a refréné ses ambi­
tions pour la tête du parti. De vice­
président, celui qui entend incar­
ner une droite populaire devient
vice­président délégué, second
dans l’ordre hiérarchique. Par rap­
port à Guillaume Larrivé et Julien
Aubert, incarnations comme lui
de cette génération de quadras de

la droite frustrés par l’accession
au pouvoir d’Emmanuel Macron,
« c’est finalement celui qui se sor­
tira le mieux de la situation, il reste
sur la ligne de flottaison », note un
de ses collègues.

Sang neuf
A un autre poste­clé, la députée
Annie Genevard perd celui de se­
crétaire générale pour prendre la
présidence du conseil national,
appelé à devenir une « véritable
assemblée du parti après les muni­
cipales », assure l’ancienne fillo­
niste. A sa place, Christian Jacob
fait entrer du sang neuf en la per­
sonne du remuant député du Lot
Aurélien Pradié, 33 ans, et auteur
récemment d’un coup d’éclat :
faire voter à la majorité parlemen­
taire une proposition de loi si­
gnée LR sur la lutte contre les vio­
lences conjugales. Pour celui qui
réfute être un homme d’appareil
et veut tirer la droite sur des sujets
de société éloignés de ses habitu­

des de pensée, le poste, qui impli­
que avant tout de faire fonction­
ner la machine interne, s’an­
nonce comme un défi.
Pour la stabilité, enfin, Eric
Ciotti continue de présider la
commission nationale d’investi­
ture et Daniel Fasquelle les finan­
ces du parti. Jean Leonetti, après
avoir assuré l’intérim, prend la
tête d’une mission de réflexion
sur une fondation du parti, à
l’heure où de nombreux LR rê­
vent d’une version française de la
Fondation Konrad Adenauer de la
CDU pour alimenter en idées une
droite asséchée par la concur­
rence du parti présidentiel. Au­
delà de ce premier cercle exécutif,
six vice­présidents et six secrétai­
res généraux adjoints sont nom­
més pour incarner le rassemble­
ment tant promis par Christian
Jacob : parmi les premiers, la pré­
sidente du conseil régional des
Pays de la Loire, Christelle Moran­
çais, proche de Bruno Retailleau,

les députées Valérie Bazin­Mal­
gras et Virginie Duby­Muller,
mais aussi les sarkozystes Frédé­
ric Péchenard et Gilles Platret, et
le maire de Saint­Etienne, Gaël
Perdriau. Parmi les seconds, on
trouve notamment les jeunes dé­
putés Fabien Di Filippo (déjà en
poste sous Laurent Wauquiez),
Pierre­Henri Dumont à « la jeu­
nesse et la rénovation » et Raphaël
Schellenberger.
A un troisième rang et dans des
intitulés encore plus longs, les
treize postes de « secrétaires géné­
raux adjoints délégués », un par ré­
gion, font de la place aux élus lo­
caux, jeunes en particulier :
Alexandre Vincendet, le maire de
Rillieux­la­Pape et ancien proche
de Jean­François Copé, Constance
de Pélichy, la maire de La Ferté­
Saint­Aubin (Loiret), mais aussi Ju­
lien Dive, député proche de Xavier
Bertrand. Rares sont les membres
du « comité de renouvellement »
créé à l’été 2019 par la jeune garde

de LR à ne pas être dans l’organi­
gramme. Au conseil stratégique,
noyau dur décisionnaire « où se
font les aiguillages essentiels » se­
lon un député, le président de l’As­
sociation des maires de France,
François Baroin, objet de spécula­
tions régulières sur ses envies de
candidature en 2022, fait son en­
trée. Avec lui, les premiers vice­
présidents des deux autres asso­
ciations d’élus (ADF et ARF) siè­
gent aux côtés de personnalités
déjà installées, comme le prési­
dent du Sénat, Gérard Larcher, et le
président du groupe LR, Bruno

Les chantiers qui attendent le nouveau président du parti


A défaut de solution immédiate pour s’extirper de l’étau RN­LRM, le parti concentre ses efforts sur les élections municipales


P


assé la composition de son
équipe rapprochée, Chris­
tian Jacob envisage un
conseil national avant la fin de
l’année, mais le renouvellement
de fond en comble du bureau po­
litique devrait attendre après les
élections municipales. Quant à
2022, le président de parti martèle
qu’il entend éviter les questions
de personne pour privilégier
d’abord le rassemblement. « Op­
posé » à la primaire, il n’a pas dé­
voilé comment serait désigné le
candidat de la droite lors du pro­
chain scrutin présidentiel, tout
en accompagnant un retour en
politique de son ami de toujours
François Baroin, au sein du con­
seil stratégique de LR.
Au­delà de l’organigramme, les
élections locales s’imposent com­
me le grand défi du parti, qui y

joue son va­tout : un précieux
maillage territorial pour l’heure
inégalé. Pour investir maires sor­
tants et candidats en conquête,
Eric Ciotti restera à la tête de la pré­
sidence de la commission natio­
nale d’investiture, malgré la déli­
cate équation niçoise dans
laquelle il continue de faire durer
le suspense sur une candidature
contre le sortant Christian Estrosi.
Récemment, un sondage Ipsos So­

pra­Steria pour Franceinfo, France
Bleu Azur et Nice­Matin a pour­
tant tempéré ses chances de suc­
cès : Christian Estrosi est crédité
de 38 % des intentions de vote des
Niçois au premier tour face à une
liste soutenue par LR et conduite
par Eric Ciotti (24 %). Polémiques
ou non, les investitures des muni­
cipales seront bouclées d’ici à dé­
but décembre, a assuré Christian
Jacob dans un entretien au Figaro.
Outre Nice, il lui faudra rapide­
ment apaiser, à Marseille, le duel
entre Martine Vassal et Bruno
Gilles, ou encore asseoir, à Paris, la
candidature peu rassembleuse de
Rachida Dati. Et enfin attribuer ou
non, avec délicatesse, l’étiquette
LR à des maires sortants bien po­
sitionnés dans les grandes villes,
comme Jean­Luc Moudenc à Tou­
louse ou Arnaud Robinet à Reims.

Malgré les appels répétés de
certains, comme le président du
groupe LR du Sénat, Bruno
Retailleau, à débattre au plus vite
du fond des propositions du parti,
les idées, elles, attendront. Par
souci d’apaisement, on se gardera
de remuer la boue des divergen­
ces idéologiques pendant le « tun­
nel des municipales ». « On ne peut
pas débattre d’une ligne politique
pendant que nos candidats font
campagne sur le terrain », expli­
que un élu local.

Travail de sape électoral
Ce n’est donc qu’après mars 2020
que commencera la structuration
idéologique du parti affaibli par
les défaites. La constitution d’une
ligne est d’autant plus difficile
que c’est sur ce terrain que LR
souffre du travail de sape électoral

de la majorité d’un côté, du Ras­
semblement national de l’autre.
« Le problème de LR est avant tout
idéologique », estime ainsi le poli­
tologue Jérôme Sainte­Marie, ci­
tant la tenaille formée par le RN
d’un côté, pour un volet identité
et immigration, et La République
en marche de l’autre, en matière
réformatrice. « Leur objectif princi­
pal est de faire profil bas d’un point
de vue idéologique pour maintenir
leur réseau d’élus locaux, quitte à
faire des compromis, par exemple
sur la visibilité de l’étiquette LR. »
Rares sont ceux qui n’ont pas
conscience de l’étroitesse de la
voie. « Le seul chemin c’est durcir le
régalien, tracer une voie libérale, et
sur les questions sociétales, moins
on en parle, mieux on se porte »,
estime un député. C’est sans
compter quelques escarmouches

en matière économique, entre les
tenants d’un libéralisme acéré ou
d’un gaullisme assumé, comme
l’a montré en avril l’éparpille­
ment des votes des parlementai­
res LR en faveur de l’organisation
d’un référendum contre la priva­
tisation du groupe ADP.
Pour le politologue Jérôme Four­
quet (IFOP), trois voies subsis­
tent : « Investir le régalien et l’iden­
tité, se tourner vers une droite po­
pulaire » ou enfin se concentrer
sur le « procès d’un réformisme en
trompe­l’œil » de la part du gou­
vernement, procès d’autant plus
difficile que les électeurs gardent
en mémoire l’exercice du pouvoir
de Nicolas Sarkozy. Autant de fac­
teurs qui amènent de sa part un
présage : à droite, « la crise existen­
tielle n’est pas terminée ».
j. ca.

Christian Jacob, après son élection à la présidence du parti Les Républicains, à Paris, le 13 octobre. MARTIN BUREAU/AFP

Les treize postes
de « secrétaires
généraux adjoints
délégués » font de
la place aux jeunes
élus locaux

Retailleau. Lot de consolation, Ju­
lien Aubert et Guillaume Larrivé y
sont aussi nommés. Enfin, nou­
veauté, une commission « chargée
de la réforme des statuts » prend
forme, peut­être pour rassurer sur
la rénovation des structures re­
portée après les municipales.
Comme un symbole, le rôle de
porte­parole, qui avait été gal­
vaudé par le départ notable de
Laurence Sailliet pour devenir
chroniqueuse de Cyril Hanouna,
ou encore la lourde charge portée
contre son camp par l’eurodéputé
Geoffroy Didier au lendemain des
élections européennes, est sup­
primé. Rajeunis et tournés vers les
municipales, LR verraient­ils la vie
en rose? Il reste quelques perdants
pour relativiser. Julien Aubert, par
exemple : « Christian Jacob aurait
pu faire un choix unitaire, associer
à son équipe ceux qui représentent
40 % des voix des militants, il en a
fait un autre, je m’y plie. »
julie carriat

« Le problème
de LR est
avant tout
idéologique »
JÉRÔME SAINTE-MARIE
politologue
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