Libération - 21.10.2019

(Tuis.) #1

D


epuis sa cellule de la prison
de Fleury-Mérogis (Es-
sonne), le 6 août 2018, Anne
Diana Clain écrit à ses juges. Elle
veut les convaincre qu’elle a profité
de sa détention «pour apprendre de
ses erreurs», qu’elle regrette d’avoir
cru en «l’utopie» de l’Etat islamique
(EI). Elle conclut par ces mots, écor-
nant la photo de famille : «On ne
peut imaginer que des membres de
notre famille soit devenus aussi hai-
neux.» Et quelle famille, les Clain,
chez qui le jihad est une vocation
qui traverse les générations. Les 19
et 20 novembre prochains, Anne
Diana, 44 ans, sera jugée avec son
mari par le tribunal correctionnel
de Paris – notamment pour «asso-
ciation de malfaiteurs en vue de la
préparation d’actes de terrorisme».
Mais c’est bel et bien l’ombre de ses
deux frères, Fabien et Jean-Michel,
qui planera au-dessus de l’au-
dience. Propagandistes acharnés de
l’Etat islamique, ils ont été abattus

en février 2019 par une frappe aé-
rienne de la coalition internationale
à Al-Baghouz, en Syrie. Mais en
bons chefs de meute, ils se sont
constitué une descendance étoffée,
au gré des mariages religieux et des
naissances. Dans l’ordonnance de
renvoi que Libération a pu consul-
ter, l’ex-compagnon d’Anne Diana
les décrit comme une «secte». Jus-
qu’à récemment, cette dernière était
la seule de la famille Clain en prison
en France. Le 24 septembre, sa fille
d’une première union, Jennifer,
28 ans, l’a rejointe. Arrêtée dans le
nord de la Syrie, elle a été remise à
la France avec neuf enfants de 3 à
13 ans – cinq sont les siens.

«On veut de la souffrance»
Cette saga familiale sur les routes
du jihad commence en France.
Les Clain sont originaires de la Réu-
nion où Anne Diana est née en 1975.
Ses deux frères cadets, eux, verront
le jour à Toulouse, après que le
père, militaire, y a été muté. Les pa-
rents se séparent assez vite, Jocelyn
renouant avec sa vie insulaire tan-
dis que Marie-Rosanne pose ses

­valises à Alençon, en Normandie.
La famille Clain est alors catho­-
lique, mais elle va se convertir à l’is-
lam vers 1999, sous l’influence de
Mohamed Amri – le compagnon
d’Anne Diana Clain – mais aussi,
plus tard, d’Olivier Corel, le charis-
matique «émir blanc» du village
d’Artigat (Ariège). L’aînée des Clain
raconte avoir eu un «déclic» lors-
qu’Amri a «apporté toutes les répon-
ses à leurs questions» sur la créa-
tion, «sur le pourquoi on est là». Peu
à peu, une virulente radicalité s’im-
pose, impliquant trois couples clés :
Anne Diana Clain et Mohamed
Amri (trois enfants ensemble), Fa-
bien Clain et Mylène Foucre (trois
enfants), Jean-Michel Clain et Do-
rothée Maquere (six enfants, dont
un né sur zone). Ils déménagent à
proximité de Toulouse, endroit
qu’ils estiment plus propice à la
pratique d’un islam rigoriste et en-
trent vite dans les radars des servi-
ces de ­renseignement en raison de
leur prosélytisme. Les deux frères
fréquentent alors deux autres fra-
tries à la destinée maculée de sang :
les Essid et les Merah.

En 2014 et 2015, les Clain décident
de gagner la Syrie pour «mieux ap-
pliquer leur religion et vivre sous un
Etat islamique», pour reprendre les
mots d’Ismaël P., 16 ans, fils d’Anne
Diana Clain. Trois générations – la
mère, Marie-Rosanne, les trois frères
et sœurs, leurs conjoints mais aussi
leurs enfants – font le voyage en plu-
sieurs groupes. Tous parviendront
à franchir la frontière syrienne, sauf
Anne Diana Clain et les siens (son

mari, leurs trois enfants mineurs
et Ismaël P. issu d’une précédente
union), interpellés le 1er juillet 2016
par les autorités turques.
Pour comprendre les faits qui leur
sont désormais reprochés, il est
­nécessaire d’examiner «le rôle des
frères Clain au sein de l’Etat isla­-
mique», préviennent les juges d’ins-
truction. D’ailleurs, l’ordonnance de
renvoi offre une plongée inédite au
cœur de la propagande de l’EI en

Par
Julie Brafman
et Willy Le Devin

Anne Diana Clain, aînée de Fabien et Jean-Michel,


morts en Syrie cette année, sera jugée en novembre


pour «association de malfaiteurs en vue de


la préparation d’actes de terrorisme». Son procès


éclairera d’un jour nouveau le rôle central joué par


ses cadets dans la propagande de l’Etat islamique.


Famille Clain


Le jihad

de frères

en sœur

france


La femme de Jean-Michel Clain, Dorothée Maquere, en Syrie en mars.

14 u Libération Lundi^21 Octobre 2019

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