Libération - 21.10.2019

(Tuis.) #1
ne conteste pas que ses enfants ont
écouté l’anasheed glorifiant les
­attentats de janvier 2015, elle l’expli-
que par le fait «que tout le monde
l’écoutait, le chantait, même les
­petits». Certes, Jean-Michel a «un
peu poussé le bouchon», admet-elle,
condamnant pour sa part les atten-
tats d’un argument imparable : «Tu
vas annoncer l’islam à qui si tout le
monde est mort ?»
Anne Diana dit n’avoir compris que
tardivement que leurs textes de re-
vendication étaient «hard». Sur de-
mande des enquêteurs, elle identi-
fie la voix de ses frères sur chacune
des vidéos. Interrogé à son tour, son
mari, Mohamed Amri, niera quant
à lui toute velléité d’aller en Syrie. Il
soutient que le voyage était simple-
ment calibré pour ramener la fille
d’Anne Diana, Fanny, et qu’il igno-
rait les attentats ayant eu lieu en
France. «C’est quoi le 13 Novembre?
Il s’est passé quoi ?» tente-t-il. Puis
d’inviter les magistrats à prendre les
déclarations de sa compagne au «se-
cond degré», estimant que leurs en-
fants écoutaient juste des anasheed
«pour le côté chant, danse».
Aujourd’hui, ces derniers sont
­confiés à l’aide sociale à l’enfance de
Saint-Denis, comme le veut le pro-
tocole à chaque retour de la zone de
guerre irako-syrienne. Plus généra-
lement, ce sont des dizaines de ne-
veux et nièces des frères Clain qui
sont pris en charge par des éduca-
teurs spécialisés. Le nouveau chapi-
tre de la saga des Clain s’écrira donc
dans l’Hexagone, avec le défi de
­réintégrer cette nouvelle génération
de «petits revenants».•

Le départ semble avoir été précipité
par le désir de sa mère, Marie-Ro-
sanne, d’avoir tous ses enfants
­auprès d’elle. Selon Anne Diana,
c’est Jean-Michel, avec qui elle a
échangé via la messagerie chiffrée
Telegram, qui assure l’aiguillage,
«pour dire où on devait aller». Ils
passent par Marseille, Monaco et
l’Italie, puis embarquent sur un
­bateau pour la Grèce. A partir de ce
moment-là, plus rien ne va se pas-
ser comme prévu. La famille est
­refoulée à la frontière turque et doit
rebrousser chemin vers la Bulgarie.
Elle y reste quelques mois en atten-
dant de «trouver une solution».
Jean-Michel Clain lui fait parvenir
des virements par Western Union.
Néanmoins, à partir de février ou
avril 2016, elle perd le contact. Le
propagandiste se serait vu interdire
par l’EI tout contact vers l’extérieur
pour des raisons de sécurité. Moha-
med Megherbi, proche des deux
frères à l’époque toulousaine,
prend le relais. C’est en tentant de
passer une deuxième fois la fron-
tière pour rejoindre la Syrie que la
famille est arrêtée.
Les enquêteurs font alors moisson
de plusieurs téléphones regorgeant
d’images jihadistes, de drapeaux et
de scènes de combats. Ils exhument
aussi un texte saisissant d’Ismaël P.,
manifestement inspiré par les
chants de ses oncles : «En faisant
tout exploser, on ne fera que se ven-
ger. Mais faudra pas pleurer quand
Paris sera fini. Par milliers on fera
péter des bombes toute la nuit.» Lors-
qu’un policier montre ce «poème» à
sa mère, elle se dit «choquée». Si elle

tamment lorsqu’elle a hébergé, chez
elle à Ambax (Haute-Garonne), sa
belle-sœur Mylène, «très radicali-
sée» et de retour de Syrie. «Adoptant
un air faussement benoît», comme
dit le juge d’instruction, Anne Diana
a longtemps soutenu ne rien connaî-
tre des projets familiaux : «Je sais
seulement que Jean-Michel chante
des anasheed et que mon frère Fa-
bien les écrit. [...] Je n’ai pas de nou-
velles d’eux.» A l’époque, elle assure
aussi avoir tout mis en œuvre pour
éviter que sa fille ­aînée, Fanny P., ne
suive le même chemin. En vain... Il
faut attendre des auditions ultérieu-
res pour que la sœur Clain recon-
naisse son intention de s’installer
elle aussi en Syrie. «Tout le monde est
parti, je me suis dit que c’était mieux
de rejoindre une terre d’islam. [...]
On partait à l’aveuglette, si ça nous
plaisait, on restait, sinon on partait
vivre en Turquie», raconte-t-elle.

pouvant être ignorée par les mem-
bres de leur famille».
Dès avril 2015, dans la foulée des
­attentats de Charlie Hebdo et de
l’Hyper Cacher, Jean-Michel Clain
diffuse un premier chant intitulé
«On ne va pas se laisser abattre»
via le hub médiatique de l’EI,
­Al-Hayat Media Center. «Il faut ta-
per la France, il est temps de l’humi-
lier, on veut de la souffrance et des
morts par milliers», serine l’enre­-
gistrement. Par la suite, la voix de
son frère se fera entendre le lende-
main des tueries du 13 novem-
bre 2015 (130 morts et une centaine
de ­blessés) dans un communiqué
revendiquant «l’attaque bénie con-
tre la France croisée». La suite se lit
comme un inventaire de messages
mortifères et d’appels au massacre,
égrenés quasiment chaque mois
de 2016 à 2018. Il faudra plusieurs
frappes de drone pour que la maca-
bre logorrhée se taise. Le 14 mars,
l’hebdomadaire de l’EI, ­Al-Naba,
confirme la mort des frères Clain.
«Des chevaliers des médias», louera
Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de
l’Etat islamique.

«Bombes toute la nuit»
Anne Diana Clain n’aura donc ja-
mais réussi à rejoindre ses cadets.
Pour ses avocats, Martin Desrues et
Xavier Nogueras – qui essayeront
de l’extraire de la sombre trajectoire
familiale –, «son patronyme, aussi
stigmatisant qu’il soit, est en réalité
bien plus un élément de compréhen-
sion qu’un critère de culpabilité».
Il n’empêche qu’Anne Diana a tou-
jours fait corps avec ses proches, no-

Syrie. Sur place, le duo friand de rap
est chargé d’écrire et interpréter les
anasheed (chants) et rappels reli-
gieux en français, soit des litanies
haineuses qui vont accompagner
les revendications des différents
­attentats. C’est ainsi qu’ils vont
se faire connaître du grand public
comme les «voix françaises de l’Etat
islamique», une performance «non
exclusive d’autres activités criminel-
les», notent les magistrats, et «ne

«Je me suis dit que


c’était mieux de


rejoindre une terre


d’islam. On partait


à l’aveuglette, si ça
nous plaisait,

on restait, sinon


on partait vivre


en Turquie.»
Anne Diana Clain à propos du
départ de sa famille vers la Syrie

L’immeuble à Alençon où Fabien Clain louait un appartement. Photo Delphine Le Normand. OUEST FRANCE. MaxPPP

Photo Patrick Chauvel. Sipa


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