Devant la gare de Nice, vendredi. Photo Éric Gaillard. Reuters
Conflit à la SNCF : les trains
repartent, les cheminots tempêtent
Même si le trafic
ferroviaire reprend
progressivement,
les salariés,
menacés depuis
vendredi
de sanctions
individuelles,
n’entendent pas
refermer le débat
sur la présence
unique d’un
conducteur à bord
des TER.
S
ur les 50 000 kilomè-
tres du réseau ferré
français, le retour à la
normale est prévu pour ce dé-
but de semaine. Après le droit
de retrait massivement mis
en œuvre par les conducteurs
Charleville -Mézières et
Reims. A la hauteur de la
commune de Saint-Pierre-
sur-Vence, un train express
régional (TER) heurte un
convoi exceptionnel resté
coincé à un passage à niveau.
Bilan : 18 blessés légers, dont
le conducteur qui a dû sortir
de son poste de conduite
pour éviter un deuxième ac-
cident avec un autre TER ar-
rivant en sens inverse.
Cause légitime. Immédia-
tement, le débat sur la pré-
sence d’un seul conducteur,
sans l’assistance d’un contrô-
leur à bord du train, resurgit.
Un certain nombre de che-
minots estiment qu’il s’agit
d’une cause légitime d’exer-
cice du droit de retrait. Une
disposition qui permet l’arrêt
immédiat du travail, dès lors
qu’un «danger grave et immi-
nent» est constaté. Prise de
court, la direction de la SNCF
réagit en qualifiant le mou-
vement de «grève sauvage»
qui ne respecte pas le préavis
de 48 heures prévu par la lé-
gislation. Soucieuse d’obte-
nir le plus rapidement possi-
ble un retour à la normale du
trafic, la SNCF transmet alors
des consignes assez claires à
ses directions régionales.
Deux types d’actions sont en-
visagés : des procédures en
référé devant les prud’hom-
mes contre les cheminots qui
ont mis en œuvre leur droit
de retrait et des sanctions
disciplinaires. Pour autant,
une partie de l’équipe diri-
geante de la SNCF, devant la
reprise progressive du trafic,
plaidait plutôt, dimanche,
pour l’absence de sanctions,
de manière à ne pas raviver
les braises du conflit. D’au-
tant que, comme Libé l’a ré-
vélé dimanche, deux inspec-
teurs du travail sollicités par
la SNCF ont émis les plus
grandes réserves quant à la
validité des sanctions envi-
sagées à l’égard des chemi-
nots ayant exercé leur droit
de retrait. Soucieuse de son
image, la SNCF a également
annoncé le remboursement
de tous les billets «sans ex-
ception» et la création d’un
fonds d’indemnisation d’un
million d’euros.
Reste que la question de la
présence d’un conducteur
seul dans les trains régionaux
ne va pas s’éteindre rapide-
ment. Certes, ce mode d’ex-
ploitation existe depuis plu-
sieurs années en Ile-de-
France, mais sa mise en
œuvre dans les autres régions
est plus récente. Erik Meyer,
secrétaire national de SUD
rail, pointe les différences de
contextes qui rendent la pré-
sence du conducteur unique
de la SNCF, vendredi, environ
un TGV sur deux a circulé di-
manche. Les convois régio-
naux (TER), eux, demeurent
plus affectés par le mouve-
ment social, notamment en
Occitanie et en Champagne-
Ardenne, où a eu lieu l’acci-
dent qui a déclenché les ar-
rêts de travail en série. Il est
vrai que le gouvernement est
très vite sorti du bois, inquiet
d’une possible désorganisa-
tion du transport ferroviaire
alors que les vacances de la
Toussaint viennent de débu-
ter. Samedi, le Premier minis-
tre s’est fait menaçant, en dé-
nonçant «un détournement
du droit de retrait qui s’est
transformé en grève sauvage»,
avant de demander à la SNCF
«d’examiner toutes les suites
qui pouvaient être données, et
notamment judiciaires».
Tout est parti mercredi d’un
accident entre un TER reliant
Par
Franck Bouaziz
France
problématique : «En région, il
peut y avoir trente minutes de
trajet entre deux gares et l’on
peut traverser des zones inac-
cessibles, alors qu’un RER
s’arrête toutes les cinq ou
dix minutes.» En outre, l’acci-
dent de mercredi a montré
que le système radio d’alerte
accident n’avait pas fonc-
tionné. Et pour cause : le choc
étant frontal, la cabine de
conduite dans laquelle est
installé le dispositif a été
endommagée.
Une discussion devrait s’en-
gager sur ce thème avec les
organisations syndicales,
mais l’heure ne semble pas
au rétablissement systéma-
tique de la présence d’un
contrôleur dans ces trains. La
direction estime que le ser-
vice de sécurité de l’entreprise
donne satisfaction en effec-
tuant des contrôles aléatoires
à bord des rames. S’ajoute
néanmoins la question des
incivilités contre les agents de
la SNCF, qu’ils soient contrô-
leurs ou guichetiers. Dans ce
contexte, la question du con-
ducteur seul de jour comme
de nuit dans certaines zones
sensibles est inévitablement
d’actualité. Outre la direction
et les syndicats, un troisième
acteur pourrait très rapide-
ment se retrouver à la table
des négociations : les régions
financent et organisent en
effet le trafic des TER. Il est
donc fort probable qu’elles
soient sollicitées par les re-
présentants des salariés à
propos du retour systéma-
tique des contrôleurs à bord
des trains régionaux.
Régime spécial. Ce mou-
vement est le premier d’am-
pleur depuis les grèves inter-
mittentes qui avaient suivi
l’adoption de la réforme de
la SNCF, au printemps 2018.
Et le front social ne semble
pas près de s’éclaircir. Un ap-
pel est lancé pour un arrêt de
travail le 5 décembre. Cette
fois-ci, c’est la réforme des re-
traites et la fin du régime spé-
cial des cheminots qui sont à
l’origine du mouvement. Le
tout sur fond de succession à
la tête de l’entreprise. Le PDG
de la SNCF, Guillaume Pépy,
quittera ses fonctions le 5 no-
vembre, dans un climat pas
totalement apaisé. Ce qui fait
dire à un responsable syndi-
cal rompu aux soubresauts de
l’entreprise : «Le successeur,
Jean-Pierre Farandou, a du
boulot devant lui.»•
Immobilier : une méthode pour
en finir avec la spéculation
Edouard Philippe a chargé le député Jean-
Luc Lagleize (Modem) d’une mission sur la maîtrise du coût
des terrains qui font flamber les prix. A la clé : la séparation de
la propriété du foncier et du bâti. Dans un pays où la Constitu-
tion prévoit que le droit de propriété est «inviolable et sacré»,
ce n’est pas rien. Le dispositif sera débattu en novembre à l’As-
semblée. Photo Thierry Pasquet. Signature
LIBÉ.FR
16 u Libération Lundi^21 Octobre 2019