Libération - 21.10.2019

(Tuis.) #1
Jenifael, Timoléon,
Kylienzo : fusionner
deux prénoms en
un, la belle astuce
pour parents
indécis.

T


outes nos félicitations à no-
tre chère Nabilla qui vient, il
y a quelques jours, de mettre
au monde son premier enfant («le
plus beau jour de sa vie», dit-elle
émerveillée à toute la presse hyper
émue), prénommé Milann. Milann?
Un dérivé du prénom plus classique
Emmilien, qui signifie «émule» ou
«rival», et auquel la «reality showo-
man» a ajouté un «n», s’inscrivant
ainsi dans la cohorte des parents de
plus en plus nombreux qui créent
ou inventent un prénom. Pour
changer des Camille, Louise, Léa,
ou Louis, Gabriel, Léo, prénoms les

Par
Emmanuèle Peyret
Photo
Rosanna Lefeuvre

Vous


trice Ashlee Simpson-Wentz), etc.
M’enfin ce sont des stars, hein.

Clitorine et Vagina,
c’est niet
Ces prénoms rares sont en général
formés avec quelques astuces oscil-
lant entre variations graphiques,
prénoms exotiques auxquels on
change une lettre, combinaison de
deux prénoms, ajout abondant de
consonnes et de voyelles, on va y
venir, mais rappelons d’abord que
de grands écrivains se sont adonnés
à l’invention de prénoms : «Ysé, pré-
nom inventé par Paul Claudel pour
un personnage du Partage de Midi,
ou encore Malvina par un poète
écossais et ­Paméla, par un poète an-
glais du XVIe siècle, cite Baptiste
Coulmont. Mais, en France, jus-

qu’en 1993 [la loi du 8 janvier sur
les prénoms, ndlr] le contrôle des
prénoms par les officiers d’état civil
rendait complexe leur adoption,
même si, ici où là, des arrangements
étaient possibles.»
La loi est claire et offre la possibilité
de choisir un nom original «dans la
mesure où il ne porte pas préjudice
à des tiers ou à l’enfant». L’officier
d’état civil est tenu d’inscrire le pré-
nom choisi et d’alerter éventuelle-
ment le procureur de la République.
Genre Oussama ben Laden, c’est
niet, Clitorine et Vagina aussi, le très
original mais pas facile à prononcer
Brfxxccxxmnpcccclllmmnprxvcl
mnckssqlbb11116 a été retoqué, Ba-
bord et Tribord ou Fish and Chips
pour des jumeaux, et on en passe,
dont Adolf Hitler, curieusement
­interdit.
Cela étant, ça ne veut pas dire que
certains n’ont pas affublé leurs gos-
ses de prénoms parfaitement abs-
trus, sous couvert d’originalité ou
de désir de donner en cadeau à son
petit son propre prénom créé avec
amour par papa et maman : à être
unique, prénom unique (lire témoi-
gnages ci-contre). Ainsi Tuba, Bru-
ce-Lee, Merci Mireille, Alkapone,
Batman, Barack Obama, Rolce-Ro-
méo, Lola-Poupoune, Dior Gnagna,
Cacharel, Louboutin, Meibelyne,
Boghosse, Youyou, Jesunette, Jean-
Clode, Djustyne, Zac-Harry, Kill-
Yann, on continue? Non, il y en a
trop, il vaut mieux aller se gondoler
avec l’hilarant Antiguide des pré-
noms (3) écrit il y a trois ans par

deux officiers d’état civil sous cou-
vert d’anonymat. Ils se sont mani-
festement régalés à épingler un mil-
lier (la liste n’est pas exhaustive) de
prénoms folkloriques donnés par
des «papounes» et des «mamounes»
comme s’autonomment les parents

«Je m’appelle Berline, recomposition du prénom de
mes parents, Benoît et Kerline. Je suis née en Haïti
et je suis arrivée en France à l’âge de 8 ans. J’en ai au-
jourd’hui 26, je suis mère d’une petite fille de 5 ans
que son père, Nicolas, et moi avons appelée Khay-
ena. Mon histoire familiale est très compliquée. Mon
père ayant plusieurs épouses, je ne connais pas tous
les enfants issus de ces unions. Côté maternel, ils ont
changé leurs prénoms, de Sylvain et Kerline en Sa-
muel et Louisa choisis dans la Bible : on peut dire que
les prénoms sont importants dans la famille.
«J’ai connu le père de ma fille à 17 ans, notre petite
est métisse, de l’île de Haïti et de celle de Madère.
Nous avons tout de suite voulu un prénom qui sorte
de l’ordinaire : avec nos origines, c’était très compli-

qué, aucun ne nous parlait vraiment. Ensuite, nous
avons essayé, comme pour moi, la contraction
de Berline et Nicolas, rien n’en est sorti. Puis on s’est
dit, si c’est un garçon c’est le père qui choisit, si
c’est une fille, c’est la mère. J’aimais Kenya, lui Inaya.
Un jour, en regardant un film, nous avons entendu
le prénom Khayena, et là j’ai dit : “Notre fille s’appel-
lera comme ça.” L’orthographe, nous l’avons choisie
nous-mêmes, car la manière dont nous l’écrivions
était ce qui nous correspondait le mieux : dans notre
relation unique, le prénom de notre enfant devait
l’être aussi. Mon rêve a toujours été de créer mon
­petit monde, ma famille, et je trouvais que ce pré-
nom faisait petite princesse.»
Recueilli par E.P.

Khayena, choisi par Berline, 26 ans
«On a entendu ce prénom dans un film»

plus donnés en France en 2019, se-
lon le fameux Guide des prénoms (1)
sorti en septembre et qui donne le
palmarès depuis 2008.
«Il y a environ 750 000 naissances
par an en France actuellement. Le
prénom le plus donné, Gabriel, l’a
été à 5 400 bébés, soit moins de 1 %.
Aujourd’hui, un bébé sur dix reçoit
un prénom qui été donné six fois ou
moins dans l’année. Ces prénoms
très rares ne servaient qu’à 2 % des
naissances en 1975», explique Bap-
tiste Coulmont, sociologue, spécia-
liste des prénoms, et maître de con-
férences à l’université Paris-VIII (2).
Quelques stars ont ouvert le bal
avec des Tallulah Belle (fille de
Demi Moore et Bruce Willis), Bear
Blaze (fils de Kate Winslet), Bronx
Mowgli (fils de la chanteuse et ac-

Le petit Robaire


des prénoms inventés


Jesunette, Alkapone, Zac-Harry... A mille lieux des populaires


Gabriel ou Camille, nombre de parents préfèrent sortir des sentiers


battus et donner à leur progéniture un nom créé sur mesure.


Amoureux de la belle orthographe, s’abstenir.


18 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Lundi^21 Octobre 2019

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