Libération - 21.10.2019

(Tuis.) #1

Lui C bien


Karim Rissouli L’animateur de «C politique»


évoque ses deux cultures, son athéisme respectueux


des religions et sa passion pour le journalisme.


Par Jérôme Lefilliâtre
Photo martin colombet

se dit «laïc profond», athée, «respectueux des religions et de
leur histoire», «fêtard» et amateur de bon pinard, «de plus en
plus nature».
Père d’un garçon de 7 ans et d’une fille de 2 ans, Karim Rissouli
vit avec la journaliste Mélanie Taravant, présentatrice de
C à dire ?! sur France 5. Le couple ne cache pas ses engage-
ments. Elle a cofondé l’association Viens voir mon taf, qui
oriente des collégiens de REP vers des entreprises pour leurs
stages. Lui anime chaque semaine «un atelier d’actualité»
dans un établissement scolaire parisien d’éducation priori-
taire. Par le biais de l’association d’aide Singa, ils ont accueilli
des réfugiés à leur domicile parisien – un ancien resto-bar
dans le nord de la capitale – pendant deux ans. Un Afghan,
un Ougandais et un Soudanais se sont succédé dans la cham-
bre d’amis, devenue celle de la petite dernière à sa naissance.
A l’évidence, Rissouli penche à gauche. «Je ne dis pas pour qui
je vote, évacue-t-il. Cela n’a pas d’intérêt.» On ne grattera rien
sur son salaire : «Je gagne beaucoup d’argent. Ce serait indécent
pour beaucoup de gens.»
Une légende urbaine court, selon laquelle Karim Rissouli au-
rait failli devenir footballeur professionnel après avoir fré-
quenté le centre de formation du SCO d’Angers (club qu’il sup-
porte). Faux : il a seulement fait un sport-études au collège.
«Je n’avais ni la motivation
ni le niveau pour le foot. A la
fin de la troisième, j’avais en-
vie d’aller dans un lycée nor-
mal, voir mes potes et les
filles.» Et puis, le journalisme
le titille depuis qu’il est ga-
min. A la maison, on cause
d’actualité et on lit Ouest-
France. Suffisant pour faire
naître des rêves d’ailleurs. «Je
me revois à la fenêtre de ma
chambre imaginer des gratte-ciel au fond. J’étais fasciné par
les grandes villes. Je venais à Paris dès que possible. Au risque
d’être caricatural, c’était pour moi l’endroit où tout était possi-
ble.» Histoire si classique, pour une émanation de ce qu’on
n’appelait pas encore les zones périurbaines.
Il a commencé sa carrière à Europe 1 comme reporter, aux
trousses d’un Sarkozy ministre et déjà engagé sur la route de
l’Elysée. Il a publié trois livres, l’un sur les arcanes du Parti
socialiste, les deux autres sur Hollande. Des étapes de pur
journaliste politique, qui auraient pu le conduire à un poste
de rédacteur en chef ou d’éditorialiste. «Mais ce n’est pas moi,
dit celui qui a arrêté de déjeuner avec les politiques. Je n’ai pas
voulu ressembler à quelqu’un qui ne me ressemble pas. Dans
les médias, les services politiques sont le plus souvent des servi-
ces de stratégie politique... J’avais envie de démocratiser la po-
litique. Elle concerne tout le monde.» Il bascule d’abord sur
­Canal +, en chroniqueur de feues les émissions Dimanche +
et le Grand Journal. En 2015, il quitte la chaîne passée sous
pavillon Bolloré, invoquant une question d’indépendance.
C’est aussi que son nouveau mentor, le producteur Renaud
Le Van Kim, qui lui a promis de ne pas le lâcher et dispose d’un
réseau puissant, s’est fait débarquer par le milliardaire. En ré-
compense de sa fidélité, Le Van Kim lui a offert un tout petit
bout du capital de son média social Brut, pour lequel Rissouli
commence à faire des grandes interviews, comme celle de
­Booba récemment.
Renaud Le Van Kim lui a aussi confié en 2016 la présentation
de C politique, magazine télé de haute tenue conviant des in-
tellectuels et des artistes, et jamais de politiques, à réfléchir
sur la chose publique. La quatrième saison vient de débuter.
«Je pratique le journalisme aujourd’hui de la manière dont
j’avais envie de le pratiquer. On parle de politique au sens no-
ble, au sens sociétal. Je suis heureux et fier de faire cette émis-
sion», entonne celui qui a arrêté de regarder les chaînes d’info
en continu. A entendre son camarade d’école de journalisme,
Nabil Wakim, qui travaille au Monde, cette ambition profes-
sionnelle vient de loin : «A l’époque, on était imbibé d’une lec-
ture critique des médias. C’était un ou deux ans après la publi-
cation du livre les Petits Soldats du journalisme de François
Ruffin [qui pointait le processus d’uniformisation des étu-
diants en journalisme, ndlr]. Karim a toujours voulu s’adresser
au plus grand nombre et proposer une vision critique de l’ac-
tualité politique. Il a réussi à construire un espace où il peut
faire ce qu’il veut.» Ce n’est pas si fréquent.•

1981 Naissance.
2005 Europe 1.
2009 Canal +.
2015 Chroniqueur
à Des paroles et
des actes (France 2).
2016 Présente
C politique (France 5).

I


l n’a pas été besoin de le pousser dans ses retranchements
pour qu’il en vienne à se confier. A l’adolescence, Karim
Rissouli a été suivi par un psy. «J’étais un enfant tiraillé en-
tre mes deux cultures», raconte l’Angevin d’origine, née d’une
mère française et d’un père marocain, tous deux travailleurs
sociaux. «Je n’étais pas du tout français ici, jamais marocain
là-bas», ajoute l’animateur sur France 5 de C poli­tique, l’une
des meilleures émissions de la télé française. A Brain-sur-l’Au-
thion, la petite ville où il a grandi, en péri-
phérie d’Angers, «j’étais le seul Karim du
bled. J’ai vécu des insultes racistes. Pas
quotidiennes, mais cela m’a percuté». Et de
l’autre côté de la Méditerranée, où il avait l’habitude de passer
les vacances d’été, à Beni-Mellal, dans la famille dont son père
était l’aîné de onze enfants, le journaliste a vécu un épisode
traumatisant, à l’âge de 8 ans. «Mon oncle, le deuxième fils, mé-
decin anesthésiste, s’est converti au salafisme. C’était le premier
de la ville. Il a mis la main sur mes tantes, a fait enlever les por-
traits de ma grand-mère, a interdit la musique... L’été 89, il a
essayé de mettre la main sur moi aussi, en l’absence de mes pa-
rents. Cela m’a beaucoup fragilisé.» Il dit tout cela avec cette
douceur nonchalante, qui semble le caractériser.

Cet été-là, ses géniteurs sont intervenus à temps, provoquant
un «schisme familial» dont des traces persistent. «Cet oncle
avait soif de pouvoir. C’est un frustré qui a pris sa revanche sur
la vie par la religion. Il aurait voulu être le fils aîné, préféré,
celui qui réussit le mieux. Il a converti ceux qui rêvaient d’une
vie meilleure. Tous ceux qui ont résisté étaient ceux qui étaient
forts.» Comme son père, pour lequel le journaliste a des mots
qui transpirent l’admiration portée à un homme arrivé en
France à 20 ans et s’étant élevé par l’obten-
tion d’une maîtrise de sciences sociales.
«Toute cette histoire explique que je de-
viens dingue quand les mecs du Printemps
républicain m’accusent de favoriser le voile. Cela appuie sur
une blessure d’enfance.» Une allusion à des polémiques lan-
cées par des militants du mouvement ultralaïque. Pour
ceux-là, Rissouli s’est rendu coupable d’avoir fait discuter Ma-
nuel Valls et une femme voilée sur France 2 et d’avoir diffusé
un portrait de Rokhaya Diallo sur France 5. «Si je m’appelais
Jérôme ou Julien, cela n’arriverait jamais. J’ai parfois l’impres-
sion que je devrais manger du porc et boire du vin à la télé pour
qu’il n’y ait pas de soupçon. Dès que je parle de l’islam, il y a
la présomption que j’ai un agenda caché», commente celui qui

Le Portrait


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