taires. Cette situation indique un
retour à la normale après la crise
de 2008 ayant conduit à un envol des
dépenses publiques, des déficits et
donc de l’endettement. A l’inverse, la
France a eu, pendant la phase
d’embellie économique des derniè-
res années, un comportement aty-
pique par rapport au reste de l’UE.
En phase de crise, les administra-
tions publiques françaises évo-
luaient en général de façon syn-
chrone avec le reste de l’UE, tout en
restant plus dépensières. Mais elles
se sont désynchronisées dans la der-
nière période de reprise. Les dépen-
ses publiques françaises n’ont quasi-
ment pas reflué entre 2009 et 2018
(–1,2 %), baissant trois fois moins vite
que dans l’UE (–4,4 %). La France a
écourté prématurément la tradition-
nelle phase post-crise de réduction
du poids des dépenses publiques.
Dans le même temps, les recettes
publiques augmentaient de 3,5 %,
soit deux fois plus vite que la
moyenne de l’UE (+1,6 %). Coincé
entre des dépenses publiques diffici-
les à diminuer faute d’une démarche
adaptée et une fiscalité record qu’il
serait dangereux d’alourdir encore,
le ministre regarde ailleurs dans
l’espoir d e trouver une échappatoire.
Cet espoir est un aveu d’impuis-
sance. Nous cherchons une raison
externe à des problèmes français
pourtant bien identifiés. Si notre
croissance est trop faible, c’est parce
que nos entreprises n’investissent
pas assez, handicapées par un impôt
sur les sociétés trop élevé et des
impôts de production dépassant
tout entendement.
Selon Eurostat, les impôts de pro-
duction représentaient 105 mil-
liards d’e uros en 2017. L’essentiel de
taux normal de l’impôt sur les socié-
tés (33,3 %) devait être ramené à
25 %. En tenant compte de la contri-
bution sociale sur les bénéfices
(CSB), cela donnera un taux maxi-
mal d’imposition de 25,8 %. Mal-
heureusement, cette baisse prend
plus de temps que prévu pour les
grands groupes réalisant plus de
25 0 millions de chiffre d’affaires,
tandis que le sujet des impôts de
production n’est toujours pas réglé.
Tout le monde sait que l’équation
budgétaire française est un réel cas-
se-tête. Reste qu’il est dangereux
d’accuser les pratiques vertueuses
de l’Allemagne quand il faut, au con-
traire, plancher sérieusement sur
des solutions franco-françaises à
nos dilemmes.
Cécile Philippe est présidente
de l’Institut économique Molinari.
ces impôts porte sur les entreprises,
avec 72 milliards d’euros. L es impôts
de production étaient six fois plus
élevés en France qu’en Allemagne,
avec 0,7 % du PIB (dont 0,4 % sur les
entreprises). Ils contribuent négati-
vement à l’attractivité de la France,
en freinant par exemple le dévelop-
pement de son tissu de PME et d’ETI.
Du côté d e l’impôt s ur les sociétés,
le taux maximal est de 34,4 % (con-
tribution sociale sur les bénéfices
incluse), largement supérieur à la
moyenne de l’UE. D’ici à 2022, le
Nous cherchons
une raison externe
à des problèmes
français pourtant
bien identifiés.
LE
COMMENTAIRE
de Cécile Philippe
Critique des excédents allemands :
un aveu d’impuissance de la France
D
ans la presse allemande, le
ministre français de l’Eco-
nomie, Bruno Le Maire, a
exhorté notre voisin à mettre fin à sa
politique de rigueur budgétaire en
guise d’acte de solidarité vis-à-vis de
la zone euro qui connaît une phase
de ralentissement.
Depuis plusieurs années, en effet,
l’Allemagne accumule des surplus,
comme un certain nombre de pays
de l’Union européenne. La France
fait plutôt figure d’exception dans ce
vaste mouvement de retour à l’équi-
libre, en montrant son incapacité à
combler ses déficits et en conti-
nuant d’étouffer ses entreprises
avec une fiscalité excessive.
L’Allemagne est spécifiquement
dans la ligne de mire du ministre
Bruno Le Maire, alors que 13 pays de
l’Union européenne (UE) sont capa-
bles de générer des surplus budgé-
Gabriel Grésillon
@Ggresillon
—Bureau de Bruxelles
Le rejet, par le Parlement européen,
de la candidature de Sylvie Goulard
au poste de commissaire européen
a provoqué un coup d e tonnerre s ur
la scène européenne, dont l’onde de
choc risque de se faire sentir long-
temps. A court terme, deux lectures
diamétralement opposées peuvent
en être faites. Selon l’une, c’est à une
victoire de la démocratie que l’on
vient d’assister. Le Parlement euro-
péen a fait la démonstration de son
rôle de vigie dans un système gan-
grené par l’entre-soi et les compro-
missions. Selon l’autre, c’est au
contraire le petit jeu politique au
Parlement européen qui a débou-
ché sur un résultat tragique. Dans
cette perspective, Sylvie Goulard est
la victime expiatoire d’une mécani-
que qui la dépasse, qui a vu le Parle-
ment foncer sur sa proie afin de
frapper un ennemi distant mais
honni : Emmanuel Macron.
Il y a pourtant un point sur lequel
les deux camps seront bien obligés
de s’entendre : cette incontesta-
ble débâcle pour Emmanuel
Macron est un signal inquiétant
pour l’avenir. Elle révèle au grand
jour la crise larvée qui menace l’UE
depuis quelques années et qui ris-
que de se matérialiser au cours
des cinq prochaines années. A bien
y réfléchir, ce sont les dysfonction-
nements institutionnels de la
machine européenne qui viennent
de devenir flagrants.
Pourquoi les parlementaires ont-
ils à ce point fait preuve d’intransi-
geance devant la Française? Pour
trois raisons. D’abord, parce que
son éthique était réellement en
cause. Les arguments de la candi-
date pour justifier le fait qu’elle
accepte le poste de commissaire
alors qu’elle avait démissionné de
celui de ministre des Armées n’ont
pas convaincu. Quant à ses activités
de consultante, elle a peiné à en
démontrer l’utilité.
La deuxième explication est poli-
tique, pour ne pas dire politicienne.
Il s’agissait de prendre une revan-
che sur Emmanuel Macron, coupa-
ble d’avoir bloqué l’accès à la prési-
dence de la Commission
européenne a u candidat tête de liste
du Parti européen capable de for-
mer une coalition. Emmanuel
Macron paye son attitude de défi
face aux conservateurs européens
du PPE, jusqu’alors maîtres du jeu.
D’où cette improbable c oalition, qui
a vu s’associer les extrêmes aux
grands partis de gouvernement
(droite, gauche, Verts) pour rejeter
la candidature de Sylvie Goulard.
Ce qui amène à la troisième e xpli-
cation, plus s tructurante. L’esprit de
revanche du Parlement européen
vient de loin. Si l’affront d’Emma-
nuel Macron a été si mal digéré,
c’est qu’il ciblait une institution
complexée. Le Parlement européen
coécrit les grandes législations
européennes, mais il ne peut passer
outre une autre institution, le
Conseil, qui rassemble les Etats. Ce
que les grands Etats refusent caté-
goriquement ne pourra jamais se
décliner en politique concrète.
Quant aux sujets les plus sensibles
(fiscalité, diplomatie), ils sont tout
simplement en dehors du cadre
d’intervention du Parlement, qui
n’a qu’un rôle consultatif.
Cette situation est logique
- l’Union européenne n’e st pas une
fédération mais un groupe d’Etats
souverains – mais elle n’est pas saine.
Elle pousse parfois les parlementai-
res à friser la démagogie. L’A ssem-
blée européenne est bien sûr occu-
pée, au quotidien, à négocier des
textes d’une redoutable complexité.
C’est toute la noblesse du travail des
eurodéputés, dont les plus coura-
geux se débattent avec cette ingrate
technicité. Mais le Parlement est
aussi passé maître dans l’art de voter
des résolutions tonitruantes et sans
effet, qui lui permettent de se posi-
tionner comme étant plus proche
des citoyens face à d’incorrigibles
Etats membres arc-boutés, eux, sur
leurs seuls intérêts économiques.
Quand on sait l’intensité du lobbying
qui se pratique au Parlement, la
pilule est un peu grosse. Mais com-
ment en vouloir aux parlementai-
res? Ce n’est qu’ainsi qu’ils intéres-
sent les médias européens. Pour
faire mentir la remarque de la série
« Borgen » selon laquelle « A Bruxel-
les, p ersonne ne vous e ntend
crier », rien ne vaut les coups d’éclat
et les postures de justicier. La bataille
autour de Sylvie Goulard aura été un
modèle du genre.
Ce déséquilibre institutionnel n’est
pas neuf. Mais il prend aujourd’hui
une tournure acide, conséquence de
la fin du duopole qui a longtemps
régi la vie politique européenne. Tant
que les sociaux-démocrates et les
conservateurs (allemands, notam-
ment) se partageaient le gâteau du
pouvoir européen, l’UE était une
machine l ourde mais capable
d’avancer. Maintenant que quatre
partis, moins bien « tenus » qu’aupa-
ravant par leur direction, sont char-
gés de travailler ensemble, le poten-
tiel chaotique est immense.
Comment espérer qu’une nou-
velle Commission européenne soit
rapidement opérationnelle? Com-
ment ne pas craindre que chaque
dossier, aussi stratégique soit-il, soit
l’objet de calculs politiciens contre-
productifs? Comment croire
qu’émergeront des compromis
satisfaisants dans ces conditions?
On savait l’Union e uropéenne a nky-
losée par ses élargissements suc-
cessifs. On découvre aujourd’hui
que son émiettement politique, qui
porte e n germe une a pproche b eau-
coup plus conflictuelle au Parle-
ment, la menace de paralysie.n
L’ANALYSE
DE LA RÉDACTION
Le rejet de la candida-
ture de Sylvie Goulard
au poste de commis-
saire européen par le
Parlement révèle un
signal inquiétant pour
l’avenir de l’Union
européenne. Ce sont
les dysfonctionne-
ments institutionnels
de la machine euro-
péenne qui viennent
de devenir flagrants. Et
qui risquent de paraly-
ser durablement
son fonctionnement.
Boll pour « Les Echos »
D
Les points à retenir
- Trois raisons ont poussé les
parlementaires européens à
rejeter la candidature de la
Française : l’éthique de celle-ci
était en cause ; l’affront
commis par Emmanuel
Macron aux conservateurs
européens du PPE ; et le fait
que le Parlement, institution
complexée face au Conseil,
aime les postures de justicier. - Ce coup de tonnerre a révélé
un déséquilibre institutionnel. - La fin du traditionnel
duopole conservateurs/
sociaux-démocrates et
l’émiettement politique
qui règne au sein de l’UE la
menacent désormais de chaos.
L’affaire Goulard, symptôme
d’un dysfonctionnement
majeur en Europe
Les Echos Lundi 14 octobre 2019 // 11