Les Echos Lundi 14 octobre 2019 MONDE// 09
Les plus
fortunés
tentés par
l’émigration
« On essaie de garder espoir, on conti-
nue à se battre pour conserver nos
libertés, mais c’est dur... » Chris Ho,
47 ans, a décidé de sauter le pas. Dès
que sa femme aura son visa, ils quit-
teront Hong Kong pour s’installer
au Canada. Musicien professionnel,
il songeait à émigrer depuis plu-
sieurs années. « J’ai commencé à me
renseigner sur les propositions
d’emplois à Vancouver il y a cinq ans
lorsque Pékin a réformé le mode élec-
toral à Hong Kong et qu’il y a eu la
révolte des parapluies », explique-t-il.
Son projet s’est accéléré ces derniers
mois l orsque la présentation
d’un projet de loi d’extradition vers
la Chine (enterré depuis) a mis le feu
aux poudres. « J’ai également beau-
coup d’amis qui cherchent à partir et
me demandent des conseils », indi-
que-t-il, non sans tristesse.
A la tête d’une société de conseil
en émigration, John Hu confirme la
tendance. Il a vu son activité explo-
ser depuis le début des manifesta-
tions en juin. « Je reçois environ 1.
demandes par mois, trois fois plus
qu’en début d’année, et mon chiffre
d’affaires a été multiplié par quatre »,
indique-t-il dans son bureau du
quartier de Wan Chai. « Avant, beau-
coup de gens venaient seulement se
renseigner. Depuis juin, mes clients
sont beaucoup plus déterminés à par-
tir. Ils ont l e sentiment q ue H ong Kong
ne sera plus jamais comme avant. »
7.600 Hong-Kongais
ont émigré en 2018
Chiffrer l’ampleur des départs n’est
pas simple à Hong Kong. D’autant
que, comme Chris, beaucoup de
citoyens parmi les plus riches de
l’ex-colonie britannique ont déjà un
double passeport. Selon les services
de police – qui gèrent les demandes
de casier judiciaire, environ 7.
Hong-Kongais ont émigré l’an der-
nier, contre 6.500 en 2017.
Les principales destinations sont
traditionnellement des pays anglo-
phones avec de grandes commu-
nautés chinoises, comme l’Austra-
lie, les Etats-Unis ou le Canada. Mais
les nouveaux retraités ou les jeunes
couples avec enfants sont davantage
disposés à émigrer en Europe, où
certains pays (Portugal, Grèce,
Malte, Bulgarie...) offrent des condi-
tions d’obtention de visas moins
contraignantes. Plus récemment,
des destinations asiatiques comme
Taïwan, la Malaisie ou la Thaïlande
ont vu les demandes de visa bondir.
Avant même les manifestations et
les premières arrestations par la
police, John Hu ne manquait déjà pas
de travail : « Mon business a toujours
connu une croissance à deux chiffres :
coût exorbitant de l’immobilier, sys-
tème éducatif fondé sur une culture de
la p erformance, e nvironnement politi-
que, il y a de nombreuses raisons de
quitter Hong Kong », indique-t-il. Les
troubles actuels et la perte totale de
confiance de la population à l’égard
de l’exécutif ont un effet « cataly-
seur », selon lui. Pour les Hong-Kon-
gais, il est devenu urgent « d’avoir un
plan B », indique John Hu. —F. S.
Les projets de départ
se multiplient du fait
de la tension politique
croissante et des craintes
d’une mainmise de la Chine.
Certains Hong-Kongais
se tournent vers l’Europe
et d’autres destinations
en Asie du Sud-Est.
Le 1er octobre dernier, le centre commercial IFC Mall a fermé ses portes au moment
où des manifestants pro-démocratie s’insurgeaient contre les célébrations du 70e anniversaire
de la République populaire de Chine. Photo Anthony Wallace/AFP
lLes arrivées de touristes à Hong Kong s’effondrent, notamment en provenance du continent chinois.
lLa restauration, l’hôtellerie et le commerce flanchent dans cette capitale du shopping après quatre mois de manifestations.
A Hong Kong, la montée
des tensions fait flancher l’économie
Frédéric Schaeffer
@ fr_schaeffer
—Envoyé spécial à Hong Kong
« C’est la catastrophe. Mon activité
s’effondre chaque mois un peu plus.
J’ai dû revoir tout mon plan d’affai-
res, en mettant en place des fermetu-
res temporaires d’établissements,
réduire le temps de travail des
employés et même revoir les menus
pour limiter les pertes », confie le
patron d’une chaîne de restau-
rants. Plus de quatre mois de mobi-
lisations ont porté un coup dur à
l’économie d e Hong Kong, q ui s ouf-
frait déjà de l’impact de la guerre
commerciale sino-américaine. Et
les choses sont allées de mal en pis,
avec la montée des affrontements
entre manifestants et policiers,
l’occupation de l’aéroport début
août et l’incapacité de l’exécutif à
régler cette crise.
200 restaurants
ont fermé leur porte
Dans cette capitale asiatique du
shopping, la restauration, l’hôtelle-
rie et le commerce sont les secteurs
les plus impactés. « La vie est à peu
près normale en semaine mais les
Hong-Kongais n’osent plus sortir le
week-end, n ’ont plus l e cœur à la fête,
et les touristes désertent la ville »,
poursuit ce gérant pour qui la fer-
meture d u métro e n début de s oirée
la semaine dernière a été un nou-
veau coup dur. Plus de 200 restau-
rants ont fermé leur porte de juin à
septembre, selon un pointage de la
fédération du secteur. Les hôtels
ont, eux, vu l eurs taux d’occupation
s’effondrer, c ontraint p arfois de fer-
mer des étages entiers, tandis que
plusieurs salons et grands événe-
ments sportifs ou culturels ont été
annulés. Et pour cause. Les arri-
ASIE
« Il y a un sentiment de désespoir chez les jeunes »
A
ncienne numéro deux du
gouvernement local de
Hong Kong sous mandat
britannique puis après la rétroces-
sion en 1997, Anson Chan fait par-
tie, selon la propagande chinoise,
de la « bande des quatre » qui mani-
pulerait en sous-main la jeunesse
de Hong Kong, jouant un rôle pré-
pondérant dans les manifestations.
Malgré les menaces, cette figure
respectée du camp pro démocratie
refuse de se taire.
Les manifestations sont désor-
mais quasi quotidiennes et
de plus en plus violentes.
Comment en est-on arrivé là?
Nous en sommes là car la cheffe de
l’exécutif, Carrie Lam, est restée
totalement inflexible. Il lui a
fallu trois mois de manifestations
pour annuler le projet de loi d’ extra-
dition vers la Chine, mais elle n’a
montré aucune volonté d’accéder
aux autres revendications des
manifestants, ni même de com-
mencer à en discuter. Tout montre
qu’elle n’a pas le contrôle de la situa-
tion e t qu’e lle prend ses instructions
auprès de Pékin. Cela sape le prin-
cipe même d’« un pays deux systè-
mes » et la soi-disant semi-autono-
mie de Hong Kong.
Comment désamorcer les
tensions et restaurer le calme
dans les rues?
En acceptant d’amorcer un vrai dia-
logue avec la population sans rejeter
en préambule les quatre demandes
des manifestants. L’établissement
d’une commission d’enquête indé-
pendante sur les événements en
cours et cette crise politique sans
précédent est le seul moyen d’établir
les faits de manière impartiale et
d’envisager les prochaines étapes
pour commencer à réparer les fissu-
res profondes au sein de la société.
Le peuple a perdu totalement con-
fiance dans l’exécutif local et, encore
plus inquiétant, en la p olice de Hong
Kong, qui jouissait jusque-là d’une
excellente réputation en Asie. Les
manifestations n’ont aucune raison
de s’arrêter et je crains qu’elles
deviennent encore plus violentes.
Mais la police aussi est devenue
incontrôlable et c’est pour cela que,
en dépit des violences que je con-
damne, les manifestants bénéficient
toujours d’un large soutien de la
population.
Carrie Lam a invoqué une loi
d’urgence datant de l’époque
coloniale pour interdire le
port du masque aux manifes-
tants. Est-ce le signe que Pékin
perd patience?
Savoir ce que Pékin a en tête est
impossible. Les autorités chinoises
et l’exécutif local se disent sans
doute que plus les manifestations
durent, plus elles sont violentes et
plus l’opinion va se retourner contre
les manifestants. Jusqu’à présent,
cette stratégie n’a absolument pas
marché. Pour les jeunes protestatai-
res, les mesures punitives, les bruta-
lités policières et l’absence totale de
leadership politique les renforcent
dans l’idée que c’est aujourd’hui que
se joue le dernier combat pour la
défense de leur liberté. Certains sont
même prêts à mourir pour cela. Il y a
un sentiment de désespoir qui est
très dangereux.
Une intervention de l’armée
populaire est-elle possible?
Cela serait un désastre pour Hong
Kong, mais aussi pour Pékin. Les
autorités chinoises doivent réaliser
que la communauté internationale
regarde de très près la façon dont la
Chine traite Hong Kong, qui en dira
long sur son rôle dans le monde à
l’avenir, comme l’a dit Donald
Trump. Faire intervenir l’armée
chinoise à Hong Kong, c’est dire au
monde que le principe d’« un pays
deux systèmes » est mort.
Propos recueillis par F. S.
ANSON CHAN
Ancienne cheffe
de l’administration
de Hong Kong
« Les
manifestations
n’ont aucune
raison de s’arrêter
et je crains qu’elles
deviennent encore
plus violentes. »
vées de touristes à Hong Kong ont
chuté de 40 % en août sur un an, du
jamais vu depuis la crise du SARS
en 2003 qui avait totalement para-
lysé la ville. Le même mois, les ven-
tes de détail ont, elles, enregistré
une chute de 23 %, inédite depuis la
crise asiatique de 1998. Mais le pire
reste à venir, craignent les profes-
sionnels. « Nous ne voyons aucune
lumière au bout du tunnel », indique
la Hong Kong Retail Management
Association. La première semaine
d’octobre a été désastreuse : alors
que des milliers de touristes chi-
nois prennent traditionnellement
d’assaut les malls de Causeway Bay
durant leur « golden week »,
« notre chiffre d’affaires a plongé de
50 % », indique-t-on chez une
grande marque de luxe.
Hong Kong est un marché très
important pour les enseignes de
luxe. A elle seule, la ville représente
entre 5 et 10 % des ventes mondia-
les du secteur, selon le cabinet
Bernstein. Certaines marques de
luxe ont déjà commencé à renégo-
cier leurs loyers et envisagent
même de fermer définitivement
certaines boutiques. « L’écart de
prix de nos articles entre la Chine
continentale et Hong Kong s’est con-
sidérablement réduit, avec la chute
du yuan et les baisses de taxes déci-
dées par Pékin, explique un profes-
sionnel. Les Chinois ont beaucoup
moins d’intérêt à venir faire leurs
achats à Hong Kong, sans même
tenir compte des tensions actuelles. »
Hong Kong est confronté à sa
première récession depuis la crise
financière de 2008, avec un PIB en
retrait de 0,4 % au deuxième tri-
mestre et un chiffre qui devrait être
encore plus mauvais pour le troi-
sième trimestre. « La seule façon
d’esquiver une récession durable est
une réponse politique urgente qui
s’attaque aux inégalités sociales qui
alimentent le mécontentement
public », estime Alicia Garcia Her-
rero, cheffe économiste de Natixis,
à Hong Kong. Carrie Lam, la cheffe
de l’exécutif de Hong Kong, devrait
annoncer des mesures sociales l ors
d’un discours très attendu mer-
credi pour la reprise de la session
parlementaire.n
Hong Kong
est confronté
à sa première
récession depuis
la crise financière
de 2008.
Il a dit
« Quiconque tente
de diviser la Chine
sera écrasé. »
XI JINPING
Président de la République
populaire de Chine
Photo AFP