Le Monde - 26.10.2019

(Wang) #1
L’artcontemporainet l’artbrut, main dans la main?
Voilà encoredix ans, untelmélange entrel’artdit «noble»etcelui
produit pardes cr éateurssans aucune cultureartistique seraitpassé
pour sacrilège. Etpourtant,jusqu’au 15 décembre, au Crédac, à
Ivry-sur-Seine,SarahTritz fait dialoguer ses propres œuvres, brico-
lages fragiles etpoétiques,avec celles d’invitésmystérieux sortis
des confins de l’artbrut,commeBenjamin Bonjour,Madame
Erlihabt ou AlfredLeuzinger.Ilyaun an, au même endroit, le duo
LouiseHervé-ChloéMailletavait choisi decommunieravec des
œuvres d’artistes spirites prêtéesparleLille MétropoleMusée d’art
moderne, d’artcontemporain et d’artbrut (LaM),àVilleneuve-
d’Ascq.Enretour,lemusée nordisteles ainvitéesàintervenir dans
l’exposition«Lesage, Simon, Crépin:peintres, spirites et guéris-
seurs»,qu’il orchestrejusqu’au5janvier.
Coïncidence?Pasvraiment. Depuis la Biennale deVenise de 2013,
où cohabitaientautodidactes singuliersetartistes«profession-
nels», nombreux sontdésormais les plasticiensàguigner ducôté
des internés et des prisonniers, des asociaux et des solitaires, des
médiumsetdes marginaux.L’affaire, certes, n’estpas tota lement
nouvelle. Bienavantque JeanDubuffetinvente en 1945 l’expression
«art brut», lepeintr eVassil yKandinskyinscrit, en 1911, les dessins
d’enfants dans l’almanachdumouvementexpressionnisteLe
Cavalier bleu.QuantàAndréBreton, il déclareque l’artdes fous est
«unréservoir de santé morale».Dans les années 1960-1970,toute-
fois, l’artconceptuel et minimal impose ses dogmes. Seuls quelques
raresartistes,comme Annette Messager,continuentdeseréclamer
de l’artbrut,sotto voce.Jusqu’àce qu’une plus jeune génération ne
s’en empare, ilyacinq ans. PierreArdouvin etAurélien Froment
se cristallisentainsi sur le dédalevertigineux duPalais idéal que le
Facteur Chevalaconstruit de ses mains,àHauterives.
Pourquoice retour durefoulé?Lemarchand parisien d’artbrut
Christian Berstyvoit«une volonté de s’abreuveràune source ori-
ginelle, l’enfancedel’art, en quelque sorte».«Cette génération est
la premièrepour laquelle l’artcontemporainn’est pas uncombat,
contra irementàcequ’il aété jusque dans les années 1980,ajoute
Stéphane Corréard,patrondelafoireGaleristes, et amateur d’art
brut.Maintenant, non seulementilest partout, mais ilgénèreparfois
son propreacadémisme et devient, danscertains de sesexcès, l’un
desemblèmes ducapitalismetriomphant.Parréaction, des jeunes
artistesrecherchentd’autres filiations.»Ceque confirme Chloé
Maillet,venueàl’artbrut alorsqu’elle menait desrecherches
autour desextraterrestres :«Ons’intéresse aux artistes quifont de
l’art parce que c’est une nécessité, pas pourfairecarrière. Sans doute
parce que nous-mêmes avons peur du succèsmercantile.»Pour
SarahTritz, quiaété biberonnée auxexpositions d’artsingulier de
la Halle Saint-Pierre, l’artbrut n’ad’ailleursjamais étéunart
«autre»:«Cela fait partie de ma culturevisuelle, j’ai la même jubi-
lation devantl’artconceptuel et l’art brut, dontles obsessions peu-
ventser essembler»,confie-t-elle. Et d’ajouter :«Notregénération
agagné en liberté, rien ne nous est interdit!»
«J’aime le rosepâle et les femmes ingrates», Jusqu’au15décembre,
au crédac,lamanufacture des œillets,1,place pierre-gosnat,
àivry-sur-seine.credac.fr
«lesage, simon,crépin:peintres,spiriteset guérisseurs»,
Jusqu’au5Janvier2020.le lam,1,allée du musée,àvilleneuve-d’ascq.
musee-lam.fr

D’oùçASorT?

L’artbrutentre au musée.


Texteroxana AzIMI

Dehautenbaset
degaucheà
droite. Vuede
l’exposition
«J’aimelerose
pâleetles
femmes
ingrates»,de
Sarah Tritz.
Le Temple des
fantômes(1940),
deFleury-Jospeh
Crépin.ABCD,
d’Alfred
Leuzinger.
La Toile judéo-
chrétienne
(1937),de
VictorSimon.

de plusenplus dejeunesplasticiensseréclament
aujourd’hui del’ artbrut, celuidesmalades
mentaux, prisonniersetautresmarginaux. une
formederetourauxsources dela création.

André Morin


/leC rédac. DR/Photo N. Dewitte/LaM, Villeneuve-d’Ascq. Cécile Dubart. D. Cueco/LaM, Villeneuve-d’Ascq.

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