14 |économie & entreprise SAMEDI 26 OCTOBRE 2019
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Chaque civilisation construit ses
mythes, grands ou petits. Ces ré
cits fondateurs qui assurent la co
hésion d’une société autour de
valeurs communes. La technolo
gie en regorge, qui se déploient,
puis s’évaporent avant de réappa
raître. Ce début d’automne est
marqué par la remise en cause de
trois d’entre eux.
Le premier est justement illus
tré par un animal mythique, la li
corne. Il désigne ces entreprises
non cotées en Bourse et dont la
valorisation dépasse le milliard de
dollars. Seules importent dans
cette caste chérie des investis
seurs les perspectives de crois
sance et de rupture des modèles
existants. D’où les valorisations
stratosphériques d’entreprises su
perstar dont on ignore si elles ga
gneront de l’argent, comme Uber
ou WeWork. Mais les marchés ont
changé d’humeur.
De licornes à baudets
Uber s’est effondré en Bourse et
WeWork n’a même pas franchi
cette étape, racheté in extremis
par son principal actionnaire
après un plongeon de 80 % de sa
valorisation. Les licornes se sont
transformées en baudets.
Le deuxième mythe écorné est
celui de la téléphonie mobile de
5 e génération, la 5G. On nous a, là
encore, raconté l’histoire mer
veilleuse de cette technologie
supposée nous connecter à la vi
tesse de la lumière et nous ouvrir
en grand les portes de l’Internet
des objets et de la voiture auto
nome. Pressentant que l’avantage
pour le client ne sera pas suffisant
pour justifier un prix supérieur
de l’abonnement, indispensable
pour rentabiliser leur investisse
ment, les opérateurs mettent la
pression sur les fournisseurs,
comme Nokia. Ce jeudi, la firme à
perdu plus de 20 % en Bourse,
après avoir reconnu une baisse de
ses ventes.
Troisième mythe, celui de la voi
ture autonome. Depuis quelques
mois, une petite musique s’insi
nue dans nos oreilles. La techno
logie supposée révolutionner le
monde de l’automobile n’est pas
près de sortir de sa phase de test.
Après le patron de Ford, qui avait
reconnu en avril que l’avènement
de ces véhicules avait été « sures
timé », c’est au tour de l’une des
dirigeantes de Waymo, la filiale de
Google, de reconnaître, cette se
maine, que les gens avaient pris
« trop au sérieux » les promesses
d’une automobile sans chauffeur
avant 2020, blâmant au passage
l’enthousiasme excessif des mé
dias. Le monde de la technologie
est ainsi, condamné à produire
sans cesse des narratifs volontai
rement trop optimistes pour em
barquer dans ses aventures ses fi
nanceurs et ses clients.
PERTES & PROFITS|HIGHTECH
p a r p h i l i p p e e s c a n d e
Les trois mythes
technologiques de 2019
D I S T R I B U T I O N
Vers une ouverture des
magasins jusqu’à minuit
Le gouvernement va favori
ser l’ouverture des commer
ces alimentaires jusqu’à mi
nuit en assouplissant le
travail de nuit, ont indiqué,
jeudi 24 octobre, la CGT et le
ministère du travail. Ce sera
dans le projet de loi sur « di
verses mesures d’ordre so
cial » présenté d’ici à mino
vembre. – (AFP.)
B U D G E T
La charcuterie aux sels
nitrités ne sera pas taxée
L’amendement instaurant
une taxation de la charcute
rie contenant des sels nitri
tés a été rejeté, jeudi 24 octo
bre, à l’Assemblée. Ces
produitsallongent les durées
de conservation et donnent
une couleur rose au jambon,
mais sont accusés de favori
ser les cancers colorectaux.
- (AFP.)
A La RochesurYon, des « Michelin »
vigilants sur leur reclassement
Le rapport de force peine à s’enclencher alors que peu de salariés du site yonnais ont manifesté
REPORTAGE
larochesuryon correspondant
E
velyne Becker tire nerveu
sement sur sa cigarette. Elle
a fait le voyage depuis
Amiens pour soutenir les salariés
de Michelin de La RochesurYon.
« Pensez, souffletelle, en 2007,
c’est moi qui étais à leur place. » Fi
gure emblématique de la lutte des
« Goodyear », cette quinquagé
naire est émue. « Tant de souvenirs
qui remontent », lâche celle qui n’a
plus retrouvé de travail, suite à son
engagement syndical.
Au moment de prendre le micro,
la militante retrouve ses réflexes.
« Je ne suis pas venue ici vous faire
la leçon, mais vous dire que si vous
le choisissez, la lutte risque d’être
longue mais fructueuse! » Quel
ques maigres applaudissements
fusent. Chacun des salariés mobi
lisés a en tête le résultat de la con
sultation mise en place, le 18 octo
bre, par l’équipementier français.
78,7 % des 619 ouvriers se sont pro
noncés à 96,1 % en faveur de négo
ciations, contre 2,1 % pour l’instau
ration d’un rapport de force collec
tif et juridique.
« On pourrait presque les com
prendre, peste Hervé, arrivé du
PuyenVelay. Dans sa stratégie
d’annonce de fermeture, la direc
tion a été d’un tel cynisme que la
plupart ont aujourd’hui envie
d’oublier Michelin. » Un mauvais
calcul selon cet ouvrier qui comp
tabilise 21 ans d’ancienneté.
« Quand j’entends JeanPaul Chioc
chetti [directeur de Michelin
France] parler de reclassement
dans un territoire dynamique, je dis
“attention”! Si c’est pour troquer
un CDI contre un CDD ou redémar
rer à temps partiel ou en intérim,
cela n’a aucun intérêt. »
La crainte de l’intérim
Ce n’est pas Didier qui dira le con
traire. Si cet ancien « Michelin » est
venu de Tours, c’est pour dire à ses
collègues yonnais « que chez nous,
aussi, la direction a fermé la pro
duction de pneus poids lourds et
supprimé 706 emplois... avant d’en
rappeler un certain nombre sous
contrat intérimaire pour aider les
200 salariés restés sur le site de
JouélèsTours [IndreetLoire]. »
Retraitée en linguistique au
CNRS, Chantal est une des rares
parmi les habitants à être présente
sur le parking de l’usine. « Je suis
venue parce que l’argument du bas
sin d’emplois dynamique est un
mythe. Certes, nous avons un des
taux de chômage les plus faibles de
France [6,5 % contre 8,5 % pour la
moyenne nationale], mais pour un
nombre record de postes en inté
rim », croit savoir la retraitée.
D’après les derniers chiffres pu
bliés par la chambre de commerce
et d’industrie de Vendée, au 1er tri
mestre 2019, l’emploi intérimaire
est en net recul sur le départe
ment. Un repli de 10,9 % représen
tant quelque 1 365 postes.
Une réalité économique que
connaît très bien Luc Bouard, le
maire de La RochesurYon, ancien
LR, investi depuis le 23 octobre par
La République en marche pour les
municipales. « Bien sûr que cette
annonce des RH de proposer
300 postes dans un rayon de 30 km
autour de La Roche est une bonne
nouvelle. Mais Michelin devra aller
plus loin. Dans un territoire de
pleinemploi comme le nôtre, ce
n’est pas le nombre de postes à
pourvoir, le problème. Je serai vigi
lant aux conditions réelles de recru
tement proposées aux salariés. »
Face à quelques centaines de
« Michelin », venus essentielle
ment de Vannes, Cholet,
ClermontFerrand, Roanne et du
PuyenVelay, Evelyne Becker pré
vient : « Il n’y aura pas de bonne né
gociation sans une mobilisation
forte. Goodyear avait annoncé une
prime de licenciement de
40 000 euros, sans tenir compte de
l’ancienneté. De recours juridiques
en manifestations, nous avons fini
par obtenir 100 000 euros pour les
plus anciens, détaille la syndica
liste. Avant d’ajouter : « Ce qui n’a
pas empêché le suicide d’une quin
zaine de nos camarades et tant
d’autres de finir au RSA. »
Yohann reste à l’écart des débats.
Embauché il y a quatre ans sur le
site vendéen, il ne « s’attendait pas
à tout ça ». Quand on lui pose la
question de l’après, le salarié de
27 ans répond du tac au tac : « Les
anciens sont nés dans le syndica
lisme, pas ma génération. Je suis
dans un drôle d’état, à me dire
qu’il faut rester solidaire tout en
réfléchissant à prendre mes
30 000 euros et aller voir ailleurs. »
Prévue pour la fin 2020, la ferme
ture du site pourrait avoir lieu dès
le début de l’année. « Mardi, la di
rection nous a indiqué qu’elle aime
rait boucler les “négos” au 11 dé
cembre, enrage le délégué syndical
CGT Antony Guilloteau. Nous al
lons tout faire pour défendre nos
camarades sans oublier tous les
emplois détruits par cette ferme
ture. » Soit 2 400 postes indirects,
selon le syndicaliste.
pierreyves bulteau
Accident de TER: la SNCF admet
devoir renforcer la sécurité
Très attendu, le rapport d’enquête interne met hors de cause l’entreprise.
La question du conducteur seul dans son train n’est pas abordée
U
ne SNCF dédouanée, un
convoi routier montré
du doigt, des recom
mandations pour amé
liorer la sécurité des trains régio
naux et une grande absente : la
question de l’agent de conduite
seul dans son train. C’est, à grands
traits, le résumé du rapport d’en
quête interne de la direction
générale de l’audit et des risques
de la SNCF sur l’accident de TER
survenu le mercredi 16 octobre
dans les Ardennes et publié ven
dredi 25 octobre.
Le document était très attendu.
L’accident, qui a fait, d’après le
rapport, trois blessés (dont le
conducteur) et nécessité l’hospi
talisation de deux femmes en
ceintes pour contrôle, avait sus
cité un vif émoi au sein de la
communauté cheminote, déclen
chant un droit de retrait des
agents SNCF à l’échelle nationale
entre le 18 et le 21 octobre. Cet ar
rêt de travail inopiné avait forte
ment perturbé la circulation des
trains pour le début des congés
scolaires de la Toussaint.
Après avoir rappelé en détail la
chronologie des événements (un
convoi exceptionnel immobilisé
sur un passage à niveau ; le TER
qui le percute à 16 h 12 et, dé
raillant légèrement, se déporte
vers la voie contiguë ; le conduc
teur qui, bien que touché à une
jambe, quitte son train et ses
70 passagers afin de stopper les
autres trains), les cinq auteurs
du rapport n’ont repéré aucun
manquement à la sécurité de la
part de la SNCF.
Le passage à niveau a bien fonc
tionné, la conduite du train était
conforme au règlement, le con
ducteur a appliqué à la lettre la ré
glementation, le frein n’a pas
donné de signes de faiblesse
(contrairement à ce qui s’était
produit lors d’un accident sur ce
même type de matériel, en 2015).
Le rapport insiste sur robustesse
de l’autorail accidenté : « Malgré
la violence du choc à environ 118
kilomètresheure, l’intégrité de la
cabine de conduite et de l’habita
cle voyageurs a été préservée. »
C’est plutôt sur le poids lourd
que la direction des audits porte
ses griefs. « Le convoi exceptionnel
n’avait manifestement pas pris les
mesures nécessaires et réglemen
taires pour emprunter ce passage
à niveau », souligne Frédéric De
lorme, le directeur général de la
sécurité de la SNCF dans une lettre
accompagnant le rapport propre
ment dit. Le convoi routier trac
tait une remorque surbaissée. Or
la signalisation indique (partielle
ment toutefois) l’interdiction du
passage à ce type de véhicule.
La question de la sécurité des
passages à niveau pourrait donc
être remise sur la table, en parti
culier dans l’autre enquête de sé
curité menée par le Bureau d’en
quêtes sur les accidents de trans
port terrestre, qui a été saisi par
le ministère des transports.
D’autant plus que, jeudi, deux col
lisions se sont produites sur deux
passages à niveau, l’un d’entre
eux, en CharenteMaritime, im
pliquant, sans faire de blessés, un
poids lourd et le même type
d’autorail que celui des Ardennes.
Face à des situations qu’elle n’a
en général pas déclenchées, la
SNCF émet dans son rapport plu
sieurs recommandations pour li
miter les conséquences d’un acci
dent comme celui du 16 octobre.
Elle va devoir, avec le fabricant de
l’autorail Bombardier, renforcer
les circuits électriques basse ten
sion de ces autorails. C’est en effet
la coupure du circuit 72 volts à la
suite du choc qui a empêché les
alertes radio et lumineuse desti
nées à arrêter les circulations.
Dans l’attente de ce renforce
ment, l’entreprise va fournir à
chaque conducteur les numéros
les plus adaptés à appeler sur le
trajet (lors de l’accident arden
nais, le conducteur a joint la gare,
alors qu’il aurait été plus efficace
qu’il soit directement en contact
avec le poste d’aiguillage) ainsi
qu’un appareil portatif de liaison
GSMrail (qui permet au conduc
teur de communiquer en mode
conférence avec tous ses collè
gues alentour) en doublon du
GSMrail fixe du train.
Contexte social explosif
Enfin, une modification des ges
tes recommandés dans cette si
tuation est envisagée. « Dans les
six secondes entre le moment où le
conducteur a vu le convoi et l’a per
cuté, il a, conformément au règle
ment, freiné et sifflé, indique un
expert. Il aurait aussi eu le temps
de déclencher l’alerte radio, qui blo
que toutes les circulations, mais ce
n’est pas prévu dans les prescrip
tions de la SNCF sur les gestes ré
flexes à tenir en cas d’urgence. »
Ce sujet, comme tout ce qui
touche à l’accident ardennais, de
vrait être évoqué lors d’une en
trevue prévue avec les syndicats
de cheminots, vendredi dans
l’aprèsmidi. Il y sera évidem
ment question du fait que le TER
n’avait pas de conducteur à bord,
principal reproche des agents en
colère depuis le 16 octobre. Le
rapport mentionne à peine ce su
jet, pourtant brûlant d’un point
de vue social, se contentant de se
satisfaire du fait qu’en laissant
ses passagers seuls plus de dix
minutes, parce qu’il donnait
priorité à la sécurisation de la
voie, l’agent de conduite a agi
« dans le respect des prescriptions
réglementaires ».
Il n’est pas sûr que cela satisfera
les représentants des cheminots
dans un contexte social explosif.
Un peu partout, des foyers de
contestation s’allument à l’appro
che de la mise en place de la ré
forme de la SNCF, le 1er janvier
- En ChampagneArdenne, la
colère a eu du mal à s’apaiser.
Jeudi, le trafic des TGV Atlantique a
été perturbé par une grève locale
en région parisienne. Le trafic est
revenu à la normale vendredi.
Mais sous la cendre, le feu couve.
éric béziat
Un peu partout,
des foyers
de contestation
s’allument à
l’approche de la
mise en place
de la réforme
ferroviaire
LES CHIFFRES
147
C’est le nombre d’« événements
de sécurité remarquables »
(incidents sérieux ou accidents
sur le réseau ferré) qui se sont
produits entre le 1er janvier
et l’accident de TER survenu le
16 octobre dans les Ardennes.
Soit 18 % de moins qu’en 2018 à
la même date (179).
15
C’est le nombre de passages
à niveau recensés en France
en 2017. Ils ont été à l’origine
de 96 collisions en 2018.
99 %
C’est la part des accidents sur
passage à niveau imputables à
une faute du véhicule routier.
hors-série
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les décideurs\
les activistes\
les initiatives\
générations
climat
GÉNÉRATIONS CLIMAT
Un hors-série du «Monde»
100 pages - 8,50 €
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